Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Sur le vif - Page 711

  • Seule la tradition est révolutionnaire

    Score_Composers_KG2A.jpg
     

    Vendredi 18.03.16 - 16.04h

     

    Depuis tant d'années, je pense - presque tous les jours - à ce moment de mars 1829 où le jeune Felix Mendelssohn, à Leipzig (il n'avait que 20 ans), a ressuscité la musique de Jean-Sébastien Bach. Je tiens cette exhumation de la Passion de Mathieu pour un acte majeur de l'Histoire humaine. Comme si, par la présence d'un manuscrit, le génie du retrouvant et celui du retrouvé, la lumière jaillissait de la lumière. À dessein, j'use ici d'une minuscule, pour ne pas confondre avec l'autre, celle du siècle précédent, la Lumière de l'Aufklärung prussienne, dont le plus éblouissant représentant avait justement été Moses Mendelssohn (1729-1786), émancipateur des Juifs d'Allemagne, et... grand- père de Felix ! On se dit parfois qu'il n'y pas de hasard.

     

    Le thème de la lumière, chez moi, est central. Toujours avec une minuscule. Le lumignon d'une chapelle de montagne, à la nuit tombante, m'émeut bien plus que la totalité tentée des Encyclopédistes. Dans le miracle Mendelssohn-Bach, il y a du Champollion. Du cosmique. Quelque chose de l'ordre d'une révélation. Comme si toutes les grammaires du monde, toutes les complexités talmudiques, d'un coup se clarifiaient à nos sens.

     

    Lorsque j'étais, en juillet 1999, en reportage à Weimar, avec mon ami Pierre-Alexandre Joye, qui nous a quittés il y a quelques semaines, nous avions passé une demi-journée entière, sans un mot, à visiter le camp de Buchenwald. En fin d'après-midi, retour dans la ville de Goethe et Schiller. Nous tombons sur un musicien de rue, un Juif vêtu et coiffé de façon traditionnelle. Il nous explique qu'il vient de New York, qu'il a perdu sa famille dans les camps, et qu'il a choisi de retourner s'établir en Allemagne. Il nous dit qu'il va nous jouer un morceau de son musicien préféré. Et il attaque un air de Jean-Sébastien Bach.

     

    La mode, c'est ce qui se démode. La tradition, au contraire, se joue de la poussière pour retrouver la vie. Elle réinvente et ressuscite. Comme l'a dit Péguy, seule la tradition est révolutionnaire.

     

    Pascal Décaillet

     

     

  • Thomas le fouineur

    Blasi.png
    Commentaire publié dans GHI - Mercredi 09.03.16

     

    A quoi sert un député ? A faire des lois, bien sûr. Mais aussi, c’est très important, à contrôler l’activité du Conseil d’Etat et de l’administration. Celui qui n’accomplit pas cette seconde mission, manque à sa tâche. Celui, au contraire, qui la remplira, se fera plein d’ennemis partout, à commencer par le gouvernement, ses états-majors, ses réseaux de courtisans. Mais il aura au moins, ce député-là, été le digne représentant des citoyens qui l’ont élu. Et des autres, aussi, dans la foulée.

     

    Ainsi, par exemple, Thomas Bläsi. Le député UDC, pharmacien, président de la commission de la Santé jusqu’à la semaine dernière, multiplie les motions et interventions concernant ce secteur, notamment la gestion des HUG. Faut-il lui en vouloir ? Évidemment, non ! Pas plus qu’il ne fallait reprocher au député Eric Stauffer d’avoir fourré son nez dans les affaires des SIG. Ni au député Jean Romain de s’intéresser de très près à la gestion du DIP. Ni au député Roger Deneys de se montrer très actif aux Finances : ils sont là pour ça, les parlementaires ! Pour bosser ! Quitte à déranger, parfois.

     

    Alors oui, le député Bläsi commence sérieusement à exaspérer le ministre de la Santé, Mauro Poggia, qui le lui a sèchement laissé entendre, dans un débat de Genève à chaud, sur Léman Bleu, la semaine dernière. Mais le même M. Poggia n’est-il pas, quant à lui, jamais meilleur que lorsqu’il critique, par exemple, la lenteur de Berne à rembourser le surplus de primes maladie payées par les Genevois ? En politique, hommage à ceux qui fouinent dans l’intérêt public. L’excellent député Bläsi en fait partie.

     

    Pascal Décaillet

     

  • Harnoncourt, l'âme du monde

    harnoncourt-c_kmetitsch481-1680x1120.jpg 

    Sur le vif - Dimanche 06.03.16 - 16.53h

     

    Si la musique est l’âme du monde, alors il est possible que le monde ait perdu, hier à Vienne, une partie de son âme. Johann Nikolaus Graf von Lafontaine und Harnoncourt-Unverzagt, tout juste trois mois après avoir annoncé, dans un message poignant, son retrait pour raisons de santé, « a rendu paisiblement son dernier souffle dans le cercle familial ». Né à Berlin le 6 décembre 1929, mort à Vienne le 5 mars 2016. Fondateur, en 1953, du Concentus Musicus de Vienne. L’homme qui a ressuscité le baroque dans la seconde moitié du vingtième siècle. Comme le jeune Mendelssohn, qui rendait vie à Bach, autour de 1829. Harnoncourt, un monument ? Non ! Bien plus que cela ! Un passeur de l’âme du monde. Avec elle envolé, hier à Vienne.

     

    Un passeur de l’âme du monde. Violoncelliste, gambiste, incomparable chef, à l’écoute des musiciens, il avait créé à Vienne, avec ses auditeurs, une intensité de communion qui restera exemplaire. Le 5 décembre dernier, il faisait glisser dans le programme du Concentus ces quelques phrases qui resteront dans l’Histoire : « Mes capacités physiques exigent l’annulation de mes projets…. Une relation incroyablement profonde s’est nouée entre nous sur la scène, et vous dans la salle. Nous sommes devenus une joyeuse communauté de pionniers ». L’âme du monde, celle qui relie, crée du sens.

     

    Cet homme qui a restitué, dès les années 60, les instruments d’époque sur la musique ancienne et les formations baroques, cet homme dont les écrits montrent une encyclopédique érudition sur l’Histoire de la musique, était le contraire même d’un brasseur de nostalgie. La poussière des ans, il la métamorphosait en fragments d’âme. Réinventant le tempo, dans ce qu’il considérait comme la fidélité à la partition d’origine, il nous restituait la lumière d’un siècle, le 18ème, qui, tiens justement, porte ce nom. Ce descendant direct de François 1er, Empereur du Saint-Empire, tellement puissant dans la relation avec les musiciens, était lui-même chaleur et lumière, invention, défrichage, révolution.

     

    Parce qu’il était cosmique. Et qu’interprétant Bach ou Haendel, Monteverdi ou Purcell, Mozart ou Beethoven, et jusqu’à un étonnant Deutsches Requiem de Brahms, il n’y avait plus ni Lumières, ni ombre du passé, ni Jour de Colère, ni Nuit d’Oubli. Ni baroque, ni classicisme, ni romantisme, ni modernisme. Il n’y avait plus que l’essence de la musique, le sens et la précision d’une partition, le contact (exceptionnel) avec ses musiciens. Avec Harnoncourt, pourtant incroyable connaisseur de l’Histoire musicale, ce sont paradoxalement les barrières de la chronologie, des nomenclatures, qui s’effondrent. C’est cela, son travail sur la musique ancienne, sur le baroque. D’autres l’ont fait aussi, bien sûr. Mais sa part, à lui, est inaliénable.

     

    Un demi-millier d’enregistrements. Parmi lesquels il faut évidemment compter l’intégrale des Cantates de Bach, avec Gustav Leonhardt, entre 1971 et 1990. Pour le reste, de L’Ode à Sainte-Cécile de Haendel à des œuvres beaucoup plus récentes, d’un autre ordre et d’une autre classification musicales, comme la Chauve-Souris de Strauss, un legs impressionnant, fruit d’un travail acharné, d’une vie intégralement consacrée à la musique.

     

    Passeur de l’âme du monde. Par l’intimité de sa connaissance des partitions. Sa passion à communiquer. Son lien sacré avec l’orchestre. Sa joie à diriger. Ses réflexions géniales sur la musique. « L’unité de la musique et de la vie est perdue », avait-il dit. Il a passé sa vie à nous prouver le contraire. Une partie de l’âme du monde s’envole. Blessée. Quant à Nikolaus Harnoncourt, il est là. Au milieu du monde. Il est vivant.

     

    Pascal Décaillet