Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Sur le vif - Page 713

  • Démocratie et connaissance, même combat

    asdfsd.jpg
     

    "Unterwegs zur Kenntnis" - Dimanche 07.02.16 - 15.03h

     

    Pas de démocratie sans connaissance. Pas de modernité de la langue allemande sans traduction de la Bible par Luther, en 1523. Pas de diffusion des idées de la Réforme sans essor de l’imprimerie, Genève en sait quelque chose. Pas de Révolution française sans le long travail de préparation, en amont, des Lumières. Sans les Encyclopédistes. Sans les progrès de la science. De la même manière, pas de démocratie directe, ce système suisse unique au monde, sans l'effort individuel de chaque citoyenne, chaque citoyen, pour s’informer.

     

    La démocratie n’est pas un loto. Ni un sondage d’opinion. Notre système suisse, avec ses initiatives et ses référendums, demande quatre fois par an au corps électoral de trancher. Il s’agit de le faire en connaissance de cause. Il s’agit que chaque citoyen, en remplissant son bulletin, sache de quoi il retourne. Sinon, c’est la loi du hasard. Ou celle du plus fort. Ou de l’opinion dominante. Ça n’est plus le démos, c’est la doxa.

     

    Pas de démocratie sans chemin de connaissance. « Unterwegs zur Sprache », titre Heidegger dans l’un de ses ouvrages les plus pénétrants. « Unterwegs zur Kenntnis », dirons-nous là. En route vers le savoir ! Pas de démocratie sans école, sans liberté de la presse. Pas de démocratie sans responsabilité individuelle.

     

    Partisan farouche de la démocratie directe, je relève ici que cette dernière n’a aucun sens, si elle n’est pas portée par l’immense travail de chacun pour accéder aux sujets, parfois difficiles, sur lesquels on lui demande de trancher. Ici intervient la presse, celle que je veux pratiquer depuis trente ans, celle à laquelle j’ai toujours cru : la presse politique, qui certes donne son opinion, mais en même temps accueille tous les courants, les met en débat, montre les antagonismes, les lignes de tension, décrypte les réelles intentions du pouvoir, bref donne à chacun les outils de sa décision.

     

    C’est à cette presse que je crois, j’en ai fait la preuve par l’acte. Créé des émissions qui durent encore aujourd’hui. Une presse où il est question de la politique, notre vie commune, notre Histoire, notre destin comme communauté nationale (ou cantonale). De ma vie de journaliste, je n’ai jamais fait autre chose que cela, jamais trempé dans une autre forme de presse.

     

    Notre démocratie directe, aujourd’hui, est attaquée de toutes parts, par des cléricatures ou des élites, des juges, des professeurs de droit, des vicaires de la bonne conscience, des parlementaires, des corps intermédiaires, qui prétendent à la place du peuple détenir la souveraineté. La seule réponse que nous puissions donner à tout ce petit monde, c’est le chemin de chacun vers la connaissance des sujets. Et les seuls qui puissent, avec les moyens d’aujourd’hui, aider les citoyens dans cette démarche d’information, ce sont les médias. Journaux, radios, TV, sites. Chacun dans son genre. Chacun avec sa couleur. Mais réunis par l’aspiration à élever le niveau de connaissance.

     

    Le vrai service public, c’est cela. Expliquer les enjeux. Monter des débats. Recueillir des témoignages. Travailler sur le fond. Sur la connaissance. Sur le contenu. Unterwegs zur Kenntnis.

     

    Je suis persuadé, je l’ai déjà écrit ici, que d’ici quelques générations, disons un ou deux siècles, l’actuel système de démocratie représentative, issu de la fin du 18ème siècle, donc du temps des diligences, aura peu à peu été remplacé par un système de suffrage universel élargi. Mais il est très clair que l’avènement d’une telle révolution ne doit en aucun cas nous conduire vers une démocratie d’opinion, ou de sondage, où chacun voterait par un simple « clic ». Non, le pouvoir de décision accru doit s’accompagner d’un immense chemin du corps des citoyens vers la connaissance. Cela passe par l’école. Et par la qualité des médiateurs.

     

    Pas de démocratie sans compétence. En dehors des champs de pouvoirs et d’antagonismes de la société, doivent pouvoir faire leur travail, en toute indépendance, ceux qui ont pour métier, ou mission, de tendre le miroir. A ceux-là, qui bénéficient d’espaces publics pour produire des textes, du son ou de l’image, incombe la responsabilité de ne pas faire n’importe quoi. La Matinale radio est là pour informer, ce que fait fort bien la RSR, et ne font pas, hélas, tous les émetteurs privés, certains sombrant dans le bavardage, entre deux disques, entre soi. La radio, la TV du début de soirée, ont une mission d’information et de mise en débat des sujets politiques, économiques, culturels, sportifs, etc, de la journée, tout ce qu’on veut, pourvu qu’on y apporte du sens. Rigoler entre soi, sur un ton branché et sympa, reprendre les causeries de bistrot pour en reproduire l’impasse, ne relève d’aucune espèce de mission de service public.

     

    Pas de démocratie sans école. Sans culture. Sans livres. Sans auteurs. Sans comédiens, Sans metteurs en scène. Pas de démocratie sans solitude. Celle de chacun de nous, nourrissant sa citoyenneté, donc son apport à la société, par un long, un patient, un lumineux chemin vers la connaissance. Comme un élève qui fait ses devoirs, par un dimanche de brume, à la lumière de la bougie. Seul. Inspiré. Heureux, je crois. Unterwegs zur Kenntnis.

     

     

    Pascal Décaillet

     

     

  • Nouvelle Comédie, ou Comédie Nouvelle ?

    masks.gif 

    Sur le vif - Samedi 30.01.16 - 17.36h

     

    « Ma comédie est faite, car l’intrigue est bâtie. Il faut juste ajouter les vers ». Le grand Ménandre, le père de la Comédie Nouvelle, au IVème siècle avant notre ère, cité ici par Plutarque, aurait-il fait un bon député PLR au Grand Conseil genevois ? Question difficile. Quand on scrute la genèse de l’acceptation, hier soir, par 58 voix, 29 non et 9 abstentions, des 45 millions de part cantonale pour la Nouvelle Comédie, on se dit que seul un dramaturge de la plus grande verve athénienne aurait pu produire un tel enchaînement de positions contraires, pour finalement se terminer, deus ex machina, par une issue heureuse.

     

    Nouvelle Comédie, ou Comédie Nouvelle ? Pour tout savoir sur la seconde, lire absolument « Dans les marges de Ménandre », de mon ancien professeur André Hurst, publié l’automne dernier chez Droz, et que nous évoquerons sans tarder avec l’auteur sur mon plateau. Devant l’Histoire, pour la Comédie grecque, c’est le grand rival de son prédécesseur Aristophane, auquel Plutarque, par exemple, le préférait.

     

    « Ma comédie est faite, l’intrigue est bâtie ». Un parti charnière, le PLR. Le protagoniste, Frédéric Hohl, tel Pénélope, tisse son rapport de majorité le jour, pour le défaire la nuit. Des mois passés à nous répéter que le projet coûte décidément trop cher. Noël arrive, le bœuf et l’âne passent, puis l’Epiphanie, quelque myrrhe et quelque encens pour honorer l’An neuf, et voilà qu’hier, miracle, le parti fusionné, malgré des abstentions, donne son aval à un projet qu’il semblait bouder.

     

    Nouvelle Comédie, ou Comédie Nouvelle ? Comme chez Ménandre, il s’est passé quelque chose d’invisible au spectateur. Tenez, chez le grand auteur grec, comme plus tard chez Plaute, Térence, et notre Comédie à nous, surgit souvent un jumeau. Docteur Frédéric, Mister Hohl. Docteur Cyril, Mister Hélène. Par le miracle d’une gémellité, le cours des choses se renverse. Un mariage est possible. Le pauvre devient riche. L’avenir s’éclaircit. Nouvelle Comédie, ou Comédie Nouvelle ?

     

    Comme chez Ménandre, comme chez Plaute ou Marivaux, on laisse entendre que d’autres personnages, hors du plateau, ourdissent. Des dieux ? Docteur François ? Docteur Sami ? Comme chez Ménandre, comme chez Goldoni, on passe par un moment, dans le cœur de la pièce, où plus personne n’y comprend rien. Les maîtres sont valets, les jumeaux se confondent, le destin se joue de tous. Alors, intervient l’un des mots les plus laids de la langue française : désenchevêtrement. Une saloperie d’hexasyllabe, avec une seule voyelle, le « e », six fois recommencée. Les lettres, aussi, se jumellent, se marient, font diphtongues, nous soufflent de fausses pistes. D’un mécène l’autre, de la Ville au Canton, il paraîtrait qu’on se refile l’enjeu, sur la durée, en maquignonnage avec d’autres. Secrets de coulisses, Docteur François, Mister Sami. Sabots d'Hélène.

     

    Au final, une issue heureuse. Il semble que les manants n’aient même pas l’idée de lancer un référendum. L’essentiel s’est passé dans une opacité de coulisses, mais nul ne semble en souffrir exagérément. On se dit sans doute qu’il y a déjà le Musée, et que deux psychodrames culturels, ça ferait peut-être trop. Alors, Nouvelle Comédie ! Et pour la première pièce de la première Saison, je suggère une Comédie Nouvelle. Avec des maîtres, des valets, des jumeaux. Et quelque part, larrons en foire, ricanant de leur bon coup, Docteur Sami, Mister François.

     

    Pascal Décaillet

     

     

  • Migrants en Allemagne : rien à voir avec 1945

    XVM15de4672-4bf8-11e5-85f9-b3a2541532ed.jpg 

    * Réflexions sur l'état des migrations en Allemagne - Dimanche 24.01.16 - 17.47h

     

    En ouvrant tout grands les bras aux migrants, avant de se rétracter, puis de changer à nouveau d’avis, donnant ainsi l’impression de naviguer à vue, Angela Merkel a commis l’automne dernier une faute politique. Face à un afflux massif sur le flanc Sud-Est des Allemagnes, il a fallu, à plusieurs reprises, que l’excellent Ministre-Président de Bavière, Horst Seehofer (CSU), donne de la voix pour ramener la Chancelière à la raison. La Bavière, premier Land à encaisser le choc : la frontière sud-orientale, c’est elle, justement.

     

    Le 10 septembre dernier, ici même, dans l’épisode no 24 (sur 144) de ma Série Allemagne, je racontais «Le Grand Exil », l’arrivée en 1945, dans une Allemagne détruite et vaincue, de ces millions d’Allemands venus de l’Est, où certains étaient implantés depuis Frédéric II, voire avant. Ces réfugiés n’ont trouvé, en guise de Mère Patrie, qu’un pays dévasté, des villes rasées, une nation vaincue, où tout était à reconstruire. Eh bien ce pays-là, en cendres comme il ne l’avait jamais été depuis la Guerre de Trente Ans (1618-1648), les avait accueillis. Des millions de bouches supplémentaires à nourrir !

     

    J’ai vécu chez l’un d’entre eux, un Allemand de Pologne, qui avait fait la guerre à l’Est, me l’a racontée par le détail, avait juste pu franchir l’Elbe au printemps 1945, échappant aux Soviétiques, mais… tombant aux mains des Américains, qui l’ont quasiment laissé crever de faim dans un camp de prisonniers (cette Histoire-là commence à sortir, il y a tant et tant à dire encore, sur cette période). Cet homme, qui avait combattu les Russes pendant quatre ans, n’éprouvait aucun ressentiment à leur égard, alors qu’il n’appréciait que modérément la présence de l’Oncle Sam en Allemagne.

     

    Alors, beaucoup de gens se disent : « Si une Allemagne totalement détruite a été capable d’accueillir des millions de réfugiés en 1945, une Allemagne en pleine santé, celle d’aujourd’hui, doit bien pouvoir faire de même ». La question est pertinente. Et mérite réponse.

     

    Ce qu’il faut absolument comprendre, c’est que les réfugiés de 1945 sont des Allemands. Qu’ils viennent de Roumanie, de Lituanie ou d’Ukraine, que leurs ancêtres aient émigré dans le dix-huitième siècle du grand roi Frédéric ou même plus tôt, ils sont Allemands. Reconnus comme tels par les Allemands d’Allemagne, même si d’aucuns les prennent de haut, je vous renvoie aux descriptions géniales de Günter Grass, qui sait de quoi il parle. Ils sont Allemands, au même titre que les Français d’Algérie qui remontent vers la Métropole en juillet 1962, sont Français.

     

    Ils sont Allemands, parce que le concept germanique de nationalité, justement mûri au dix-huitième, pensé, théorisé pendant tout le dix-neuvième, fondé sur le droit du sang, établit que la « Gemeinschaft », l’appartenance commune, peut transcender les frontières. D’ailleurs, ces Allemands de 1945, qui refluent de contrées orientales parfois lointaines, parlent allemand.

     

    Cette communauté d’appartenance n’est évidemment pas la marque des migrants actuels. Ils viennent, comme on sait, d’autres contrées. Avec d’autres langues, d’autres traditions, d’autres coutumes, d’autres visions du monde. Leur sort est tragique, c’est certain. Leur souffrance, réelle. Leur besoin d’accueil, indéniable. Leur intégration en Allemagne sera difficile, elle exigera du temps. Ce sera à eux de s’adapter. Certains y parviendront, d’autres non. Il n’est pas du tout certain que le corps social allemand, plus fragile qu’on ne l’imagine, puisse si facilement les assimiler. L’Allemagne est aujourd’hui un pays prospère, mais demain ?

     

    Dès lors, la comparaison avec 1945 ne tient pas. Croire que tout va bien se passer, c’est ne vouloir voir, comme la frange la plus libérale du patronat allemand, que l’aubaine d’une main d’œuvre, pas trop regardante sur les conditions sociales et salariales. Or, justement, le génie du modèle bismarckien, précurseur des contrats collectifs et de nos grandes assurances sociales, c’est une très grande sensibilité aux conditions de travail. L’Allemagne, contrairement à ce qu’on croit, n’est absolument pas un pays de tradition économique libérale. Si ce n’est dans sa composante rhénane, qui est justement sociale.

     

    Surtout, le parallèle avec 1945 évacue totalement la notion de « Gemeinschaft ». Ce mot, tellement important dans la langue allemande (on connaît son opposition avec « Gesellschaft ») nous ramène à l’intimité d’une communauté d’appartenance. Le surgissement d’une altérité numériquement pesante ne va pas de soi en Allemagne, c’est un euphémisme.

     

    Ces éléments-là, Mme Merkel, qui a grandi en DDR, doit bien les avoir en tête. Dès lors, face à l’afflux de migrants, pourquoi cette navigation à vue ? Pourquoi cette absence de cap ? Un jour, elle dit « Bienvenue à tous ! », une semaine après, suite aux appels du Ministre-Président de Bavière, elle se rétracte, puis elle change à nouveau de direction, puis elle gère comme elle peut les événements dramatiques de Cologne. Oui, Berlin manque de cohérence. Oui, l’Allemagne doit impérativement écouter la voix de M. Seehofer, qui appelle à un retour de « l’Obergrenze ». Oui, Berlin doit écouter Munich. Non, la situation n’a rien de comparable avec celle de 1945.

     

     

    Pascal Décaillet