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Sur le vif - Page 1154

  • Madame von Arx-Vernon, bleue comme une orange…


     

    Samedi 08.11.08 - 19.45h

     

    Qu’elle nous parle des hommes violents, d’un projet politique, ou simplement de la vie qui va, Anne-Marie von Arx-Vernon en impose par son réalisme, son humanité, sa recherche de la bonne solution. On a eu, une fois ou l’autre, l’occasion d’entendre, ce week-end, à l’occasion de la journée de la violence domestique, cette femme de terrain, pragmatique, la seule à qui on puisse pardonner de se proclamer de cette hérésie euclidienne, « l’extrême centre ». Expression qui évoque, chez nombre de ses collègues de parti, la liquéfaction d’une montre molle chez Dali, dans la chaleur de Cadaquès. Mais qui, chez elle, conquiert une dimension de crédibilité, tant la personne est ancrée dans le réel. Miraculeuse mutation, bleue comme une orange. De Dali à Eluard, n’y a-il pas, comme un appel à la vie charnelle, que les formes de Gala ?

    En écoutant cette députée vendredi matin, puis juste à l’instant dans Forums, je me suis mis à regretter ces voix qui, au printemps 2007, lui avaient manqué pour siéger au gouvernement de la Ville de Genève. D’autres, élus alors qu’elle ne l’a pas été, auraient beaucoup à apprendre d’elle en connaissance des hommes et du terrain, des réalités sociales (hors d’un champ théorique et idéologique). Il y a des gens, à la parole ailée, qu’on n’aurait pas un seul instant l’idée d’imaginer dans un exécutif (Jacques-Simon Eggly, Pierre Weiss), et il y a ceux, beaucoup plus rares, qu’on voit d’instinct occuper des responsabilités de décisions. Au niveau de leur propre parti, ou d’un gouvernement. Anne-Marie von Arx-Vernon, à l’évidence, appartient à cette seconde catégorie. Puisse le destin, sans trop tarder, lui en donner l’occasion.

    Au sein d’un parti cantonal qui ne brille pas toujours par la clarté de ses positions, encore moins par la solidité de sa fidélité à une Entente à qui il doit pourtant beaucoup, voilà une femme-repère. Non par l’idéologie. Mais par la fiabilité. Denrée rare sous ces bannières d’encens et d’eau bénite, où l’affairisme champêtre le dispute au clientélisme le plus cru. Il serait assez dommage que cette excellente connaisseuse de la nature humaine ne soit pas appelée à occuper, un jour ou l’autre, quelque poste signalé dans la République.

     

    Pascal Décaillet

  • Moritz Leuenberger, l’endormeur des ondes

    Samedi 01.11.08 - 18.40h

     

    Moritz Leuenberger a-t-il, une seule fois dans sa vie, écouté une radio privée ? S’est-il, une seule seconde, demandé comment faisaient les artisans de ce métier, animateurs ou journalistes, chroniqueurs ou reporters, pour capter l’oreille des gens ? Leur oreille, leur attention, leurs envies, leur appétit de savoir, leurs désirs ? Connaît-il seulement ces mots-là, de chair et de vie, de rires et d’émotions, moins abstraits qu’une galerie d’art contemporain à Zurich, moins engraissés d’opacité pâteuse qu’un rapport de l’OFCOM ?

    Moritz Leuenberger s’est-il, une seule fois dans sa vie, demandé ce qu’était une entreprise de radio ? Ces nuits glacées d’hiver, où les matinaliers rejoignent leurs studios, ne croisant de réveillés que quelques boulangers, employés de voirie, ou flics patrouilleurs. Ce combat, par toutes petites équipes (les seules qui vaillent), pour le succès d’une émission. Son audience, bien sûr, mais aussi son estime, son rayonnement, la chaleur de sa familiarité avec ceux qui lui font la confiance de l’écouter. Une émission c’est un réseau, une communauté invisible, à travers la nuit. Cela, Moritz Leuenberger, les apparatchiks de l’OFCOM, le savent-ils ? Y ont-ils songé, ne serait-ce qu’une seconde ?

    Je ne travaille pas pour One FM, et ne prêche pas ici pour ma paroisse. Mais il se trouve que je respecte cette station, son directeur Antoine de Raemy, les efforts quotidiens de l’équipe pour parler le langage de tous, être une vraie radio populaire. Une radio qui, en un peu plus d’une décennie, s’est imposée comme la première des privées, en audience, sur Genève. Ce métier est une aventure, le risque d’échec y est permanent. La concurrence, féroce. Les désavantages des privés face au mammouth SSR, innombrables. Malgré cela, One FM s’est imposée. Donc, dans la logique extraordinairement subtile et raffinée de Moritz Leuenberger, elle doit disparaître. C’est clair, limpide, simple comme une machine de Tinguely rouillée par le frottis des ans.

    La vérité, c’est que Moritz Leuenberger déteste l’univers du privé. Sans doute rêve-t-il, dans ses très longs sommeils, de la perfection épurée d’une forme d’ORTF, où le glacis de l’intellectualisme ne rivaliserait, au fond de la caverne, qu’avec une mathématique d’ombres chinoises surgie des insomnies d’un maître de l’abstrait. C’est, évidemment, une option. L’autre, qu’il ne connaît pas, c’est la vie, la vraie, brouillonne, imparfaite, viscérale, passionnelle : la radio, c’est cela, et cela seulement.

    Oui, le ministre suisse de la Communication n’aime pas les radios privées, et il en a tout récemment donné la preuve dans un discours assez ahurissant, tenu le 11 septembre dernier, à Zurich, à l’occasion du « Radio Days », pour les 25 ans des premières stations locales en Suisse. Nombre de participants en sont sortis choqués par le mépris du conseiller fédéral pour le secteur qui échappe à la grande toile publique, dûment stipendiée par la redevance. Mépris, mais surtout ignorance. Préjugés. Diabolisation de l’audience, comme s’il était scélérat, sur cette terre, de tenter de parler à beaucoup de nos semblables. Avec Moritz Leuenberger au pouvoir, la tranquillité de l’Appareil audiovisuel d’Etat, où les intendances sont souvent plus importantes que les fronts de combat, a encore devant elle de très riches heures à couler.

    En attendant, une entreprise humaine de quarante personnes, à Genève, qui avait dû à son mérite, son travail, son talent, de devenir la préférée du public, est menacée de mettre la clef sous le paillasson. Moritz Leuenberger a même le culot de le regretter, en s’abritant derrière la nouvelle loi sur la radio et la télévision, en effet une kafkaïenne machine à gaz, mais qui n’obligeait en rien à une lecture si stricte, roide comme la jugulaire d’un casque à pointe, quelque part dans le Brandebourg bismarckien.

    A la vérité, c’est cette loi qu’il faut déjà songer à changer. La révolution de l’audiovisuel suisse ne fait que commencer, elle est devant nous. Les nouveaux supports, les nouvelles habitudes de consommation des médias, l’apparition des premières chaînes TV supracantonales, les efforts gigantesques de certains privés pour devenir, beaucoup plus que la SSR, le lieu du débat politique et de la citoyenneté, tout cela va faire évoluer les consciences. Ce sera l’après-Leuenberger. Une ère qui commence demain.

     

    Pascal Décaillet

     

     

  • Julia Varady : le passage de flambeau

     

    Mardi 21.10.08 – 13h

     

    Hier soir, 22.25h, sur Arte : un documentaire à vous prendre aux tripes. Une heure avec Julia Varady, l’une des plus grandes cantatrices du vingtième siècle, enseignant le chant à l’une des ses élèves, elle-même déjà de très haut niveau. Deux femmes, en espace clos, l’une face à l’autre. Celle qui donne, celle qui reçoit. En arrière-fond, deux pianistes, muettes et comme fascinées par ce privilège d’humanité, d’intimité, le passage d’un flambeau.

    Il y a de quoi : tout ce qu’on a pu écrire sur la transmission s’efface et se transcende dans l’archaïque magie du contact entre ces deux femmes. Julia, 67 ans aujourd’hui, retirée de la scène depuis 2003, a choisi de transmettre son incomparable savoir-faire, dans l’art vocal, à des élèves. Bien plus qu’une master class, c’est un rite d’initiation, de l’ordre du feu, détail par détail, tellement physique, un appel à la résonance (celle des os du visage, du crâne) bien plus qu’au raisonnement.

    Julia ne laisse rien au hasard. Ce corps comme instrument, elle veut en tirer le maximum. Eprouvant, dur, épuisant, sublime. Ce chant qu’on croirait venu du ciel, surgit en fait de toute la matérialité de nos artères, nos entrailles, nos cartilages, jusqu’à ces cloisons nasales qu’il faut torturer pour en extorquer quelque son. A noter que l’élève, exceptionnelle de souplesse et d’adaptation, contribue largement au bonheur total de cette émission.

    Surtout, Julia chante. Avant l’élève, en même temps qu’elle, ou juste après. Des yeux, même au sommet des vocalises, elle ne quitte jamais son disciple. En fusion avec elle. Elle l’élève. Encore plus haut. Elle chante, s’interrompt une seconde pour une injonction ("Prends du plaisir !"), reprend la note au scalpel, saisit des mains les joues, ou le nez, ou le cou, ou le haut de la tête de l’autre, en appelle au physique, au corporel, ductile, rapide comme une comète, et voilà les deux femmes qui rechantent ensemble, sans avoir perdu une seule mesure. Fascinant.

    C’était hier soir, sur Arte. Un moment de grâce. Lumineux comme une Annonciation. A voir et revoir, absolument.

     

    Pascal Décaillet