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Sur le vif - Page 1152

  • Un grand Allemand fête ses 90 ans

     

     

    Existe-t-il encore beaucoup de grands hommes en Europe ? Oui, il y a Helmut Schmidt. L’ancien chancelier social-démocrate (1974-1982) fêtera mardi ses 90 ans. Son destin est celui de l’Allemagne du vingtième siècle, avec comme point central la défaite de 1945, cette année zéro d’où il aura fallu tout reconstruire, sur les décombres du Troisième Reich. Officier de DCA dans la Wehrmacht, le jeune Schmidt sert, de longues années, sur tous les fronts, celui de l’Est et celui de l’Ouest, voit des milliers de ses camarades tomber, connaît la captivité en 1945, retrouve enfin sa ville de Hambourg. Ou plutôt ce qu’il en reste. Il relance sa vie à partir de cette embouchure de l’Elbe qui l’avait vu naître en 1918, juste au lendemain de la Grande Guerre, à vrai dire en pleine période de lutte au couteau entre les corps francs et les Spartakistes (lire « Novembre 1918 », de Döblin).

     

    Je suis allé souvent à Hambourg, mais le plus inoubliable de mes passages demeure ce jour d’avril 1999 où Helmut Schmidt, déjà octogénaire et alors éditeur de « Die Zeit », me reçoit deux heures, dans son bureau dominant le port, avec mon confrère Pierre-André Stauffer. Deux heures d’une intensité incroyable, où l’homme se raconte, dessine le destin allemand, Frédéric II et Bismarck, n’en peut plus de fumer, et, entre deux cigarettes, prise et sniffe, en vieux loup de la mer du Nord, tout ce qui sort de ses poches et peut ressembler à du tabac. Festival de toxicomanie, n’ayant d’égal que la fulgurance de son esprit. Rapide, précis, tout s’y presse et s’y succède, des années bismarckiennes à la démesure wilhelmienne, de la République de Weimar à Adenauer, en passant par les douze années de noirceur et de braise qu’il traverse, comme des millions de ses compatriotes, sur les champs de bataille de l’Histoire. Le front russe n’est évoqué qu'en demi-teinte, par saccades nerveuses, au milieu des volutes de fumée.

     

    Il est là, face à nous, regarde l’Elbe, nous parle du monde anglo-saxon, de cette Amérique où il est allé plus de cinquante fois. Hambourg, seule ville coloniale d’Allemagne au temps où Guillaume II s’était risqué à l’extension maritime (lire Heinrich Mann, Zwischen den Rassen), est une ville de maisons blanches qui fleurent déjà le sel marin, une ville de lacs et de voiliers, à quelques centaines de mètres du quartier chaud, et des innombrables prostituées du port. En 1944, lors d’un bombardement, le métro avait été noyé : des milliers de personnes y avaient été englouties. Malgré tout, et c’est sans doute la proximité marine (si rare en Allemagne) qui le veut, Hambourg respire beaucoup moins que d’autres villes le tragique de l’Histoire. Au fond, cette ville est hanséatique avant que d’être germanique, c’est là son petit miracle.

     

    Successeur de Willy Brandt et prédécesseur de Kohl, Helmut Schmidt est le chancelier de la construction européenne et des accords monétaires. Il n’aura vécu ni la génuflexion de Varsovie, ni la prise de bras de Verdun, ce qui lui confère une dimension moins mythique que les deux qui l’entourent. Prosaïque, volontaire, virtuose de piano, ancien combattant de Russie ne racontant jamais sa guerre, cet homme énigmatique incarne à tant d’égards un certain mystère allemand. Un homme d’une intelligence exceptionnelle, aussi, persuadé que l’économie, la vraie (celle qui procède d’un travail acharné, non de spéculations virtuelles), peut refaire l’identité d’une nation. Celle, par exemple, de sa patrie, qu’il a connue, à l’âge de 27 ans, totalement à terre, bien pire encore qu’au dernier jour de la Guerre de Trente Ans. Allemagne, année zéro, "Deutschland, bleiche Mutter" (Brecht), il aura fallu des hommes comme Schmidt pour réinventer ton destin. Hommage à lui, à l’approche de son anniversaire.

     

    Pascal Décaillet

     

     

     

     

  • Docteur Eric, Mister Leyvraz

    Sur le vif  -  Mardi 09.12.08  -  12.45h

     

     

    Je fais partie, avec mon confrère Denis Etienne, de la Tribune de Genève, des quelques journalistes ayant émis des doutes sur l’opportunité d’exclure trois députés MCG de la séance du Grand Conseil genevois, vendredi dernier. A la lecture du communiqué que vient d’émettre, à l’instant, le président Eric Leyvraz, je maintiens ces doutes.

     

    Dans ce communiqué, Monsieur Leyvraz (au demeurant, l’un des hommes politiques les plus courtois de la République, et il est bien dommage que sa présidence commence ainsi), fonde sa décision d’exclusion sur les articles 90 et 91 de la loi portant règlement du Grand Conseil. Il analyse et décortique, presque cliniquement, les événements de la séance elle-même. Et ma foi, là, s’il n’y avait eu que ce discours, ce communiqué, on pourrait suivre l’argumentation présidentielle.

     

    Le problème, c’est qu’hier matin, sur le coup de 07.15h, ça n’est pas du tout cet argumentaire-là que M. Leyvraz nous a servi. Autant celui d’aujourd’hui est textuel, cadré sur l’événement, autant celui d’hier était contextuel. « Addition d’événements », « provocations depuis trois ans », « les nerfs à fleur de peau », toutes choses en appelant à l’ambiance politique générale, aux antécédents de M. Stauffer, défini comme le trublion de la République, l’homme qui avait besoin d’une bonne leçon, l’homme à calmer. En ce sens, l’exclusion peut être interprétée comme une décision relevant beaucoup plus du signal politique (juste en passant, celui d’un parti concurrent) que de la technique d’application du règlement.

     

    Deux interventions, deux discours. A côté de cela, je ne dirai pas le nombre de députés qui, en privé, partagent mes doutes, mais se gardent bien de les émettre au grand jour. Parce que M. Stauffer, c’est le pestiféré de l’histoire. Aussi, parce que l’UDC jouit, dans l’affaire, au moment où on parle de plus en plus de ponts électoraux entre l’Entente et elle en perspective de l’automne 2009, de l’aubaine d’apparaître comme le blanc mouton, porteur de paix et d’équilibre. J’ai dit « mouton » ?

     

    Pascal Décaillet

  • Yves Nidegger en clown blanc

    Sur le vif - Dimanche 07.12.08 - 19.40h

     

    Clown blanc, ou Monsieur Dimanche ? La capacité d’Yves Nidegger à se métamorphoser, en fonction des circonstances, vient de rebondir comme mille galets sur l’onde de la RSR, à l’instant. Commis d’office, pour cause de parti commun, à la défense du président du Grand Conseil genevois, Eric Leyvraz, notre avocat-politicien avait à justifier, face à l’ombrageux plébéien Eric Stauffer, la mesure d’exclusion de vendredi soir.

     

    On savait Nidegger entièrement voué, depuis des mois, à une entreprise de polissage de toute aspérité pouvant évoquer, dans sa personne, la sauvagerie qui colle aux basques de son parti, les gens sont si médisants, vous n’imaginez pas. Exercice réussi, là, sur le coup de 18.55h, au-delà de toute espérance : face au rugueux Stauffer, voici Nidegger le lissé. Face au populacier, voici l’élitaire exégète du règlement, le décrypteur. Face à la bête, primitivement prisonnière de son sentiment d’injustice, voici l’initié. Face à celui qui gronde, voici la musique du murmure. Très beau moment, à sortir dans les écoles de rhétorique.

     

    Quel est, en Suisse, le parti qui tonne et qui détonne, déboule dans les salons, défrise le bourgeois ? L’UDC, of course. Eh bien là, non, c’était le contraire : l’UDC avait trouvé plus dérangeant qu’elle, alors, tout en douceur, elle le renvoyait à la niche. Si Nidegger avait disposé, en cet instant, de quelques bouts de viande, à coup sûr, il les aurait lancés au sol, pour nourrir le fauve appétit de son contradicteur.

     

    Ainsi, en quelques minutes, il a montré qui, dans ce coin de pays, pouvait à l’occasion être gouvernemental. Sans élever la voix. Comme chez Verlaine, s’il y avait eu un vieux parc solitaire et glacé, les deux ombres de ces hommes y auraient tout à l’heure passé.

     

    Pascal Décaillet