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Sur le vif - Page 1034

  • DSK, l'ex-candidat des clercs

     

     

    A propos de l'affaire DSK, il est clair que la présomption d'innocence doit s'imposer. Mais, au-delà de cette affaire, troublante est cette espèce d'unanimité journalistique dont semblait bénéficier cet homme, certes de valeur. Alors que quelques fondamentaux de la politique française (depuis la Cinquième République) jouaient contre lui. Notamment, le fait de ne pas diriger un grand parti. C'est ce que j'avais tenté d'expliquer dans le Nouvelliste du vendredi 11.03.11, et que je re-publie ici, pour ceux que cela intéresserait. Le commentaire était intitulé "DSK, le candidat des clercs". Vous comprendrez que, pour l'occasion, j'aie ajouté un petit "ex"... PaD

     


    Grand patron du FMI, à Washington, Dominique Strauss-Kahn est à coup sûr un homme brillant, un grand commis, compétent en économie, un calibre. Cela en fait-il, pour autant, le super-favori à la présidentielle dont on ne cesse de nous parler ? Et, d’abord, ce « on », qui est-ce ? Réponse : une certaine cléricature médiatique, toujours la même, qui a autoproclamé, depuis des années, que le jour venu, cet expatrié reviendrait comme un Prince charmant, serait automatiquement adoubé par son parti, puis par le peuple de France, deviendrait président sans même avoir à être candidat. Une sorte de loi naturelle, inéluctable.

     

    Oui, DSK est le candidat des médias. Tout comme, il y a seize ans, Jacques Delors, président de la Commission européenne, le Français de Bruxelles, était donné gagnant, par un incroyable mouvement moutonnier des éditorialistes, pour la succession de François Mitterrand. La réalité, on la connaît : non seulement Delors ne fut pas président, mais… il ne fut même pas candidat ! Ca n’est qu’à la fin d’un interminable entretien avec Anne Sinclair qu’il devait confesser, « tout bien pesé », ne pas partir au combat. François Mitterrand, cinquante ans d’une vie politique d’exception, avait d’ailleurs déclaré, quelques mois plus tôt : « Delors ? Il voudrait bien être président, mais il ne veut pas être candidat ».

     

    DSK, à la vérité, réunit pas mal d’indices contre lui, quand on sait un peu lire les fondamentaux de la Cinquième République. D’abord, cette désagréable (et finalement assez hautaine) propension à se faire désirer, attendre qu’on vienne le chercher. De Mitterrand à Chirac, ça n’est pas ainsi que les choses se passent pour gagner : il y a un moment où il faut y aller, franco, à la hussarde. Et puis, aucun candidat n’a jamais gagné sans avoir derrière soi une véritable armée. Or, pour tenir un grand parti, mieux vaut, en France comme ailleurs, ne pas trop s’être éloigné de la métropole. En France, c’est à l’interne qu’on prend des coups, des cicatrices, qu’on livre des combats : il n’est pas si sûr que l’électorat apprécie beaucoup le retour de l’enfant prodigue, qui aurait brillé à l’étranger. Quant à la seule compétence économique, elle fait les grands secrétaires d’Etat, les ministres. Elle n’a strictement rien à voir avec l’ancestrale symbolique de l’échelon présidentiel.

     

    Pascal Décaillet

     

    Commentaire publié dans le Nouvelliste du 11.03.11

     

  • Amours, délices et orgues de Staline

     

    Sur le vif - Avec une pointe de curare - Dimanche 15.05.11 - 09.13h

     

    Le Matin dimanche est défavorable à la présence de Bertrand Cantat à la Comédie. C’est son droit, je suis le premier à saluer une presse qui s’engage clairement, et à jeter aux orties ces sages analyses, thèse, antithèse, synthèse, où on ne sait pas, au bout, ce que pense le commentateur.

     

    Mais, à côté des moyens engagés aujourd’hui par le Matin dimanche pour nous faire comprendre à quel point ça n’est pas bien d’accueillir Cantat, les orgues du regretté Maréchal Staline font figure de fléchettes en plastique. Jugez plutôt.

     

    Page 7 – Dominique Warluzel estime que « les victimes, elles, n’ont pas droit à l’amnésie ». Il plaide contre la présence de Cantat à la Comédie.

     

    Page 18 – Anne Bisang, grande prêtresse de la bonne parole féministe très en vogue dans les hautes sphères du Matin dimanche, nous parle de « la deuxième mort de Marie Trintignant».

     

    Page 18 – Juste un peu plus bas, Marc Bonnant défend la thèse de « la faute de goût ».

     

    Trois positions, trois interlocuteurs, pour dire la même chose.

     

    Et pour défendre les options dramaturgiques d’Hervé Loichemol, se pencher un peu sur le programme 2011-2012 de la Comédie ? Personne. Pas un mot. Silence. Nada.

     

    Amusant, non ?

     

    Allez, je vous laisse. Je dois appeler ma femme de chambre, à New York. Pour m'assurer qu'elle ait bien fait le petit boulot que je lui avais demandé.

     

    Pascal Décaillet

     

     

  • Monsieur Max et les éteignoirs

     

    Sur le vif - Samedi 14.05.11 - 16.41h

     

    Je viens d’écouter l’excellente émission « L’Horloge de sable », de Christian Ciocca (Espace 2), sur Max Frisch, qui aurait eu cent ans demain. A travers « l’inflexion des voix chères qui se sont tues », c’est toute la sorcellerie de la radio que de nous ramener ceux qui nous ont quittés : Frisch lui-même, mais aussi Claude Stratz, tant d’autres. Emotion, sûr.

     

    Mais une chose, décidément, me frappe : la perpétuelle réduction de Frisch, dans ces années 70 et 80, où il était roi, à la « dimension sociale » de son œuvre, son rôle de « mauvaise conscience d’une Suisse prospère », l’écrivain comme curseur ou comme jalon. Je veux bien. Mais l’écrivain comme écrivain ?

     

    On a affaire, avec Frisch, dans le sillage de Brecht et dans une incandescence certes moins folle que chez Heiner Müller, à une exceptionnelle plasticité de la langue allemande (très proche, en cela, des dialectes grecs), que l’auteur reconnaît d’ailleurs quelque part dans les archives de Ciocca. Ses pièces, ses récits, ses carnets, ses journaux mettent en scène la phrase allemande comme une jonglerie de cirque avec des torches de feu. Dans cette œuvre-là, le risque d’incendie est omniprésent, nous sommes tous Monsieur Bonhomme, et c’est la magie des mots, celle d’une langue, avec ses alluvions, ses héritages, qui nous est servie.

     

    Magie d’une langue à laquelle semblent bien peu sensibles les commentateurs de ces années 70 et 80. Ils ne nous parlent que de portée sociale, de malaise suisse, ne nous parlent pas de l’œuvre. L’œuvre en elle-même. L’œuvre pour elle-même. Dans le champ qui la porte, la nourrit, et qui s’appelle la langue. Ces commentateurs n’allument pas notre passion pour Frisch. Dans leur médiocrité, ils l’éteignent.

     

    Pascal Décaillet