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Commentaires GHI - Page 23

  • Claude Torracinta, très grand journaliste

     

    Commentaire publié dans GHI - Mercredi 05.06.24

     

    Durant mes longues années à la SSR, je n’ai jamais travaillé avec Claude Torracinta. Il était à la Télévision Suisse Romande (TSR), et moi à la Radio Suisse Romande (RSR). A l’époque, les entités étaient séparées, les lieux différents (TSR Genève, RSR Lausanne), et surtout les deux cultures d’entreprises semblaient aux antipodes. Je suis un homme de radio, Claude était un homme de télévision. Je n’ai jamais été intéressé par le pouvoir hiérarchique, seulement par le pouvoir opérationnel sur une production, domaine dans lequel j’ai été comblé, puisque j’ai longtemps exercé la fonction de producteur d’émission, qui me va comme un gant. Claude adorait le pouvoir tout court, sur de vastes équipes, il en avait l’envie, les dispositions, le talent. On le disait de la gauche sociale-démocrate, j’avais une réputation de droite, tendance Delamuraz. Bref, à première vue, à part une passion commune pour le journalisme, tout nous séparait.

     

    Mais il faut faire confiance à la vie. Elle nous réserve parfois de magnifiques surprises. Lorsque je suis devenu le producteur responsable de l’émission « Genève à Chaud », sur Léman Bleu, il y a 18 ans (2006), j’ai maintes fois fait appel aux lumières intellectuelles de ce Commandeur en retraite pour venir dans l’émission, comme invité. Sur la politique française (il connaissait par cœur l’Histoire de ce pays depuis la Révolution), sur l’Europe, et même sur la politique suisse, qui a toujours été ma spécialité. Ce retraité majestueux, à la chevelure de jeune homme, aux qualités intellectuelles totalement intactes, est venu tant de fois à l’arraché (je l’appelais quelques heures avant). Pour cette petite chaîne régionale naissante, il avait de l’affection, et nous aussi pour lui. Je le dis aujourd’hui, alors qu’il vient de nous quitter à l’âge de 89 ans, ce fut pour moi un honneur et un bonheur de monter tous ces éclairages à deux voix avec un tel professionnel. Nous nous mettions d’accord, en moins d’une minute, sur un ou deux angles d’approche, sans rien écrire, et c’était parti, en impro, pour de riches et belles conversations. Un bonheur, oui, dans l’ordre professionnel.

     

    Aujourd’hui, je veux dire ma tristesse, ainsi bien sûr que ma sympathie à tous ses proches. Le legs de Claude Torracinta est immense, à commencer par la grande aventure de Temps présent, émission fondée en 1969 : 55 ans plus tard, elle est encore là ! Quasiment l’âge du journal que vous tenez entre les mains ! Il faut rendre hommage aux émissions qui durent, aux journaux qui durent, aux entreprises qui durent, et cesser de se pâmer devant la première « start-up » : qu’elle fasse d’abord ses preuves, plusieurs années, et on parlera d’elle ! Car une émission, une entreprise, une chaîne TV ou radio, c’est d’abord du désir, de l’effort, du sacrifice, de la passion. A quoi s’ajoute, croyez-moi, une métronomique discipline pour l’intendance. Claude Torracinta avait compris tout cela. Il mérite l’hommage de la Suisse romande.

     

    Pascal Décaillet

     

  • Le droit de dire non !

     

     

    Commentaire publié dans GHI - Mercredi 29.05.24

     

    Dans les textes soumis à votation le 9 juin, il y a un parfait exemple de consensus béat, entre partis politiques, à l’exception de l’UDC et d’associations protectrices de la nature : la loi sur l’électricité. C’est l’immense paquet, onéreux à souhait, à la limite de l’irréalisable, proposé par le Conseil fédéral pour que la Suisse se convertisse bien sagement aux énergies douces : l’eau, le soleil, le vent. Floraison de nouvelles centrales hydro-électriques, forêts d’éoliennes, panneaux solaires partout, dans le pays.

     

    On a le droit d’être pour. Et on a, tout autant, celui d’être contre. On a le droit de refuser le lessivage de pensée des Verts qui veulent tout mettre, aux frais des contribuables, sur le renouvelable. On a le droit de vouloir revenir au nucléaire, avec des centrales de nouvelle génération.

     

    Vous qui me lisez, vous êtes pour, vous êtes contre, vous êtes tous des citoyens et citoyennes respectables. Il faut parfois se méfier des consensus. Et se faire une opinion par soi-même. A tout hasard, je vous recommande les salutaires dissidences d’un Philippe Roch, ou de la Fondation Franz-Weber, magnifiquement défendue par la fille de ce bouleversant défenseur de la nature, Mme Vera Weber.

     

    Votez oui, votez non. Votez comme vous voudrez. Mais de grâce, soyez des citoyens. Pas des moutons.

     

    Pascal Décaillet

     

  • La démocratie, c'est la bagarre !

     

    Commentaire publié dans GHI - Mercredi 29.05.24

     

    Notre magnifique Suisse de 1848, et des 175 ans qui ont suivi, est une démocratie, l’une des plus accomplies au monde. Au fil des décennies, elle a construit un système où le peuple, entendez le collège électoral des citoyens, a le dernier mot. Droit d’initiative en 1891, référendum, proportionnelle en 1919, décentralisation dans les Cantons : tant de peuples amis, autour de nous, étouffés par le pouvoir central de leur pays, envient notre système. La démocratie, cela signifie qu’on discute. Les citoyens et citoyennes, dans l’exercice de la démocratie directe (tenez, nous votons le 9 juin), s’expliquent entre eux, argumentent, se contrarient mutuellement, parfois s’engueulent, et c’est très bien !

     

    La démocratie, ça n’est pas le consensus mou, posé au départ, celui que préconise le Centre marécageux. Non, ce sont les étincelles de deux silex, frottés l’un à l’autre. Le ton monte, les éclats de voix fusent, parfois de paisibles réunions de famille sont gâchées par l’intrusion d’un débat politique, et c’est très bien. La démocratie, c’est la bagarre pour des idées antagonistes, pas la paix des âmes, garante du sommeil des agneaux. Il est parfaitement normal, sur les grands sujets portés à l’arbitrage du peuple, que les citoyennes et citoyens s’expliquent avec vivacité. Normal de se brouiller pour des idées, y compris avec ses meilleurs amis.

     

    Je me souviens parfaitement d’un pique-nique, avec des amis de ma famille, ce fameux dimanche de juin 1970 où les Suisses avaient voté sur l’initiative Schwarzenbach, qui voulait limiter le nombre des étrangers. L’agape champêtre avait plutôt bien commencé. Mais très vite, juste après l’apéro, un inconscient avait abordé le sujet qui fâche, l’ambiance en avait été refroidie ! 54 ans plus tard, je trouve cela très bien, c’était un bel exemple de démocratie vivante, celle où on s’affronte, pas celle où on roupille. Mon père était contre l’initiative, ma mère était plutôt pour, mais… à un an près, elle ne pouvait pas encore voter ! La discussion, pendant des semaines, avait enflammé le pays, comme dans ce dessin de Caran d’Ache, publié dans le Figaro du 14 février 1898, « Un dîner en famille ». Première image : « Surtout ne parlons pas de l’Affaire Dreyfus ». Seconde image : « Ils en ont parlé », et le banquet a tourné à la bagarre générale !

     

    Alors, quoi ? Vous préférez le Marais ? Vous préférez le consensus comme point de départ, et non comme éventuel résultat d’un antagonisme ? Si c’est oui, je vous souhaite une douce et paisible nuit, celle des justes, celle de ceux qui ne prennent jamais de risques. Si c’est non, alors entrez dans l’arène. Faites valoir vos arguments. Ne vous laissez impressionner par personne. Soyez des hommes ou des femmes libres. C’est cela, la démocratie. Une parole, portée contre une autre. Le choc des arguments. Et puis, un beau dimanche, avec ou sans pique-nique, le peuple tranche. Et notre pays, doucement, avance. Excellente semaine !

     

    Pascal Décaillet