Commentaire publié dans GHI - Mercredi 27.09.23
Nous avons, en Suisse, beaucoup trop de retenue, de déférence, mêlées parfois d’une sourde crainte, envers les magistrats exécutifs. Les Conseillers d’Etat, par exemple. Ils ne sont en rien des personnages intouchables, encore moins des « Sages », stupide expression qui pourrait à la limite s’appliquer (et encore !) aux juges d’une Cour suprême, mais en aucun cas aux membres d’un gouvernement. Sages, ils n’ont pas à l’être ! La vertu qu’on attend d’eux n’est pas « d’être » quelqu’un de bien, encore moins un modèle moral, non, c’est d’avoir un objectif, et réussir. Si c’est le cas, c’est bien. Sinon, le ministre doit partir, sans délai. Sans haine de la part des citoyens, sans sentiment de rejet, sans cet océan de « déceptions » qui charrie l’écume de ces sentiments totalement déplacés en politique. Mais partir, oui.
Et puis, ce flot de paroles. Autant les parlementaires sont là pour en découdre avec le verbe (je les convie chaque soir à ce défi), croiser le fer, briller dans la joute des idées, autant le ministre doit se taire. Un Conseiller d’Etat est élu par le peuple, non pour se pavaner « d’être » ministre, mais pour agir. Pour ma part, peu importe qu’il soit sympathique, souriant, sociable, à l’aise dans les cocktails, ce qui compte c’est son efficacité dans l’œuvre. La tâche est ardue, il faut s’imposer face à l’administration, convaincre les parlementaires. Mais enfin, rien ni personne n’a jamais obligé un homme ou une femme à se porter candidat à une charge exécutive. Ceux qui le font recherchent le pouvoir, sont tenaillés par la férocité d’une ambition, fort bien, mais qu’ils assument !
Nous, citoyennes et citoyens, jugeons-les sur leurs résultats, non sur leur vie privée, ni sur leurs qualités sportives, ni leur statut de bons pères ou mères de famille, ni sur leur élévation dans l’ordre de la morale. Ils ne sont pas des anges, ce qu’ils « sont » n’a d’ailleurs aucune importance, regardons ce qu’ils « font ». Ils sont là pour réussir. Sinon, très vite, ils doivent partir. Cela signifie que nous devons en finir avec la sacralisation du temps de législature. Un ministre, ça doit pouvoir gicler quand ça dysfonctionne, sans empoisonner le monde en blanchissant sous le harnais, sous prétexte qu’on ne touche pas à la durée de son mandat. Nous devons inventer des procédures permettant une destitution. Non pour manquement moral, mais, infiniment pire, pour échec dans l’action.
Car nous vivons dans l’hypocrisie. Je passe mon temps à discuter avec les politiques, de tous bords. Que me disent-ils, à longueur d’année, hors-micro ? Quel tel magistrat, à peine élu, est déjà nul, se fait danser sur le ventre par les permanents de l’administration, n’arrive pas à s’imposer. Eh bien, il doit partir ! Pourquoi nous, citoyennes et citoyens, serions-nous condamnés à ces interminables fins de législature, qui rappellent méchamment les portraits de la Cour, à Versailles, par le génial Saint-Simon, dans cette année 1715 où, le Roi-Soleil malade, tout le monde ourdissait autour de lui, mais se taisait en sa présence ? Non, un chef doit réussir. Ou partir.
Pascal Décaillet