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  • Qui après Draghi ? Mais on s'en fout !

     
    Sur le vif - Samedi 16.07.22 - 07.21h
     
     
    L’Italie est un pays où la politique, depuis 1945, n’a jamais réussi à s’imposer. En 1946, les Italiens ont choisi la République, mais cette dernière demeure si faible, face au poids des familles, des intérêts privés, des forces de l’Argent, des clans. C’est un pays où l’Etat adore les signes de puissance, pour masquer sa faiblesse face aux féodalités.
     
    La politique italienne est déprimante, désespérante. Elle distrait le badaud par la Comedia dell’Arte de ses bisbilles intestines, mises en scène par une presse pleine de verve (rien ne vaut les colonnes des grands chroniqueurs), mais sur le fond, elle ne tient pas la route face à la puissance des intérêts privés.
     
    La Democrazia Cristiana, toute puissante dans les quatre décennies qui ont suivi la guerre, porte une écrasante responsabilité dans cette subordination de la République à la puissance des clans. Liens privilégiés avec le système féodal des grandes familles. Pays offert aux prédateurs américains, présents dès 1943 dans le Sud, où ils ont noué les plus aimables contacts avec les clans, puis dès 1945 dans le Nord. Ils ont aidé à la reconstruction, c’est sûr, mais n’ont jamais manqué d’en exiger l’implacable rançon. Elle s’appelle subordination.
     
    L’Italie est un pays extraordinaire, mais sa politique depuis 1945 est sans intérêt. Aucun homme, pour porter un projet national unitaire, enthousiasmant, fédérateur. Plein de gens très intelligents, raffinés, cultivés, mais aucun chef pour affirmer la grandeur de la nation italienne, sa primauté face au système des familles. Là aussi, quatre décennies de démocratie chrétienne plus européiste que nationale, subordonnée aux Américains, incapable d’imposer l’Etat, de formuler un projet fédérateur entre le Nord et le Sud, ont été catastrophiques.
     
    Dans ces conditions, le nom du Président du Conseil, Mario Draghi ou un autre, doit demeurer parfaitement indifférent à l’observateur lucide des rapports de forces politiques. Ces gens-là, aussi intelligents soient-ils, sont des passants. Alors, laissons-les passer, continuons d’adorer ce pays pour l’époustouflante beauté de ses paysages, sa culture, les richesses dialectales de sa langue, la vivacité d’intelligence de ses habitants, l’inventivité de sa cuisine, son génie de la construction, son style de vie unique au monde. Mais pour la politique, pour la primauté de l’Etat sur les intérêts privés, c’est un échec, monumental. Depuis 1945. Ou deux ans avant, si vous préférez.
     
     
    Pascal Décaillet

  • Appartenance à la puissance de la mémoire

     
    Sur le vif - Mercredi 13.07.22 - 10.41h
     
     
    Jeune ingénieur, mon père, Paul Décaillet (1920-2007), construisait en 1942 le Fort d'Artillerie de Champex, en pleine guerre. Il y rencontre une jeune fille d'Orsières, Gisèle Rausis (1920-2010), ma mère, fille d'Emma et de Maurice Rausis (1892-1925), mon grand-père, instituteur, musicien, Capitaine à l'armée, décédé à l'âge de 33 ans d'une crise de diabète, foudroyante. Entre Paul et Gisèle, idylle immédiate. Mariage le 1er mai 1942. 65 ans d'union, jusqu'au décès de mon père, le 13 juillet 2007, il y a jour pour jour quinze ans. Belle histoire.
     
    Avec ma soeur Dominique, et toute ma famille, nous avons évidemment aujourd'hui, pour notre père, une pensée particulière. Le premier souvenir est celui des innombrables marches en montagne, été après été, avec nuits en cabane. Bagnes, Entremont en tout premier lieu, région Salvan, Dents du Midi, mais aussi rive droite, Rambert, ou encore Hérens, Anniviers, Haut-Valais. Pour le chaud, on pouvait compter sur la soupe de la cabane, où le lardon dominait. Sinon, dans le sac à dos, du lard (encore !) bien sec, un bout de Bagnes ou d'Orsières, du pain de seigle dur comme un caillou, un solide couteau bien tranchant, des fruits secs, du chocolat qui fondait dans la poche extérieure, un boutillon de thé tiède auquel je préférais l'eau glacée des ruisseaux, et puis basta ! A nous la grande aventure !
     
    Ces randonnées alpines, dont certaines dantesques (Aiguilles du Tour en 1966, montée par Orny, nuit à la Cabane du Trient, deux monstres cordées rivales, sous la haute autorité de mon Oncle Raoul, guide de montagne et futur Président du Grand Conseil, ou encore Sentier des Chamois complet, jusqu'à Fionnay, via le lac de Louvie) n'ont pas empêché mes parents de nous faire découvrir le vaste monde, du Proche-Orient jusqu'au Cap Nord. Dire qu'ils ont accompli leur mission est un faible mot.
     
    J'écris ces quelques lignes à quelques mètres du piolet de mon autre grand-père, Emile Décaillet (1887-1941), époux de Marie, mes grands-parents paternels. Emile, originaire évidemment de Salvan, entrepreneur au Châtelard (où mon père a passé son enfance), puis à Martigny. Il y a, dans tout cela, ces récits et ces souvenirs entremêlés, bien plus que des racines. Disons la puissance d'un sentiment d'appartenance. Retrouver, tous les ans, l'extase du pays physique, me plonge dans une profonde communion spirituelle avec ceux qui nous ont précédés.
     
    Appartenance à la puissance de la mémoire.
     
    Mon rapport passionnel à l'Histoire, depuis l'enfance, est lié à ces choses-là. N'avoir connu aucun de mes quatre grands-parents, tous nés au 19ème siècle (1886, 1887, 1892, 1895). Retrouver un fil. Dégager la fresque, sous la couche de peinture.
     
     
    Pascal Décaillet
     

  • Manu, Marine : il faudra un peu causer, ces prochains mois !

     
    Sur le vif - Mardi 12.07.22 - 10.44h
     
     
    Emmanuel Macron est un homme intelligent, et surtout très doué pour survivre politiquement. Alors, la leçon de l'Assemblée nationale, lors du débat sur la motion de censure, il a dû la comprendre. La violence extrême de l'extrême-gauche mélenchonienne face à sa Première Ministre, le choix des mots, la déclaration de guerre totale de la cheffe des députés de La France insoumise, tout cela change radicalement la donne.
     
    Quelle donne ? Mais c'est très simple : celle du rapport que les troupes présidentielles devront entretenir, ces prochains mois ou prochaines années, avec le Rassemblement national. Il faudra, pour faire passer des lois, travailler avec eux. Il n'y a, contre l'absolue folie révolutionnaire des enragés de Mélenchon, aucune autre issue. Les leçons de morale, c'est fini. Le plafond de verre a éclaté aux législatives. Le grand vainqueur de l'ensemble de l'exercice électoral, sur quatre dimanches, du printemps 2022, c'est Marine Le Pen. Depuis de longues années, elle tissait patiemment son réseau. Dans toute la France, elle semait. Le temps de la récolte approche. On ne fera pas la politique française sans elle.
     
    Le danger, pour la France, c'est l'extrême-gauche mélenchonienne. Son leader charismatique, en tout premier lieu. Mais déjà, ses émules pullulent. Ainsi, la charge de cavalerie, en forme de guerre totale, disons Murat sur les glaces d'Eylau, de la cheffe de file de La France insoumise, Mathilde Panot, contre la Première Ministre, Elisabeth Borne. Sur la forme, un grand moment oratoire. Cette jeune députée, solide, brillante, précise et cristalline dans le choix des mots, syncopée dans la répétition, nous a livré un discours qui restera dans les Annales de l'Assemblée. Voilà une politicienne qui sait parler. Elle ira loin.
     
    Du Mélenchon, tantôt Conventionnel, tantôt Thermidorien, jacobin jusqu'aux sommets de la Montagne, la guerre, toujours la guerre, du Clemenceau, du Tigre. D'un côté, on se réjouit que la France, après cinq ans de godillots aux ordres de Macron, ait enfin une Assemblée digne de ce nom, au sens de la Convention révolutionnaire, un espace libre pour la parole, le choc des antagonismes, la critique du pouvoir en place, et là Mme Panot a été extraordinaire.
     
    Mais de l'autre côté, il y a le fond. Qu'elle déclare la guerre au gouvernement, c'est le rôle de l'opposition. Mais son programme, à elle ! Le populisme de l'extrême-gauche mélenchonienne, dans sa radicalité intellectuelle. Coupée du réel, exactement comme l'étaient les ultras-jacobins, sous la Convention. Nous sommes là dans une posture d'un tel sectarisme, au sens étymologique de la coupure, que nulle politique, nul jeu d'alliances, nulle ductilité parlementaire (dont cette Assemblée passionnante et polymorphe, très Quatrième, aurait justement le plus grand besoin) ne sont possibles. Avec Mélenchon et ses troupes, un seul choix : les aduler, ou les combattre avec la même violence que celle dont ils se drapent.
     
    Face à cette absolue radicalité du dilemme, surgie des méninges et de la configuration spirituelle intérieure du gourou Mélenchon, il y a une certaine Marine Le Pen. 42% des Français pour elle à la présidentielle, du jamais vu. Aux législatives, elle a fait sauter la banque. Elle place doucement ses hommes et ses femmes aux postes qui compteront. Elle s'apprête à jouer le jeu parlementaire. Elle ne s'énerve pas. Elle maîtrise. Elle va très bien. Ca n'est même plus de la dédiabolisation, c'est du sourire et de l'aisance, au milieu de la tempête.
     
    Emmanuel Macron est un homme intelligent. Il n'est ni dans la situation de von Papen, ni dans celle de Hindenburg. Pour la simple raison que nous ne sommes pas en 1932, mais en 2022. Pas sous la République de Weimar, mais dans la Cinquième République française. Et surtout, que la force montante de la droite nationale et patriote française n'a strictement rien à voir avec le mouvement qui allait s'imposer à Berlin le 30 janvier 1933. On priera donc bien gentiment les éternels hallucinés de la référence aux années trente de bien vouloir considérer les problèmes d'aujourd'hui, partout en Europe : retour des nations, besoin urgent d'un printemps des peuples, nécessité absolue de limiter drastiquement les flux migratoires, préférence nationale, emploi des jeunes, pouvoir d'achat, dignité de vie des retraités.
     
    Alors, l'homme intelligent de l'Elysée n'a plus le choix. Il devra, au coup par coup, pour faire tout de même passer une ou deux lois dans cette législature difficile et périlleuse, prendre langue avec le Rassemblement national. Parce que l'ennemi commun, le seul vrai danger pour la France, c'est le modèle intellectuel de coupure du système Mélenchon. Coupure, comme secte, sectarisme, folie du Grand Soir, couteau entre les dents.
     
    On a dit "République", c'est un beau mot, le plus grand de tous. On a dit "République", oui. Mais, jusqu'à nouvel ordre, on n'a pas dit "République populaire".
     
     
    Pascal Décaillet