Je réserve à un autre texte, dans les jours qui viennent, le soin de vous décrire pourquoi, à mes yeux, Handke a été l'un des écrivains majeurs, en langue allemande, depuis les années soixante, aux côtés de Heiner Müller ou Christa Wolf. D'autres, d'ici là, s'en chargeront, et ils auront bien raison.
Mais j'en viens à un point, qui est à la fois littéraire et politique. C'est le courage, de la part de Handke - je l'avais relevé sur le moment, il y a 25 ans - d'avoir parlé des guerres balkaniques, au pire moment de l'anti-Serbie hallucinant qui se déversait sur l'Occident, en proposant, par le biais du récit littéraire, une vision serbe des événements. Aussitôt, cet écrivain majeur de la littérature de langue allemande avait été pris en haine par la communauté batracienne de ceux qui pensaient juste. Ce fut un moment terrible, de ceux qui vous désespèrent de la mission des intellectuels.
A cet égard, le Nobel enfin attribué à Peter Handke, en plus d'une reconnaissance littéraire totalement méritée, c'est un magnifique camouflet à tous les BHL, les Kouchner, tous les donneurs de leçons, qui ont passé la décennie des guerres balkaniques, les années 1990, à nous instruire le procès de ceux qui ne pensaient pas comme eux. Donc, ceux qui ne pensaient pas comme l'OTAN, les États-Unis d'Amérique, la trahison mitterrandienne, et surtout l'Allemagne de Kohl, voulaient que nous pensions.
Hommage au jury du Nobel. Cette fois, comme pour Günter Grass en 1999, comme pour Thomas Mann en 1929, ils ont vu incroyablement juste.
Pascal Décaillet