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  • Ce qui tue la presse romande

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    Sur le vif - Samedi 04.02.17 - 17.11h

     

    Ce qui tue la presse romande, ce ne sont pas les méchants éditeurs, de Berlin ou d’ailleurs, qui ne veulent plus l’imprimer. Enfin si, ce sont aussi ces gens, mais pas seulement.

     

    Ce qui tue la presse romande, depuis plus de vingt ans, c’est le conformisme des journalistes. Pas tous, loin de là. Mais beaucoup d’entre eux.

     

    Ce qui tue la presse romande, c’est son uniformité, son unanimisme, ses saintes voix de saintes chapelles, le culte du Bien, l’analyse politique captive du prisme de la morale, une crasse, profonde, mortifère méconnaissance de l’Histoire, remplacée au mieux par la sociologie, la plupart du temps par rien du tout.

     

    Ce qui tue la presse romande, et j’aborde là un sujet tabou qui me tarabuste depuis plus de trente ans, c’est l’importance démesurée qu’ont pris, dans les rédactions, les sujets « de société » par rapport à l’analyse historique et politique. Nous sommes là dans l’un des effets les plus dévastateurs de Mai 68. Je suis un fou de presse, un fou d’archives, je passe des centaines d’heures à dévorer de vieux journaux, j’en avais lu des milliers pour ma Série de 1994 sur l’Affaire Dreyfus : je peux vous le dire, il y a cinquante ans encore, quasiment pas de sujets de « société ». Aujourd’hui, majoritaires, ils écrasent tout.

     

    Lorsque le Journal de Genève (où j’ai accompli mes premières années) s’est fondu post mortem, en 1998, avec le Nouveau Quotidien, pour devenir le Temps, c’étaient comme les eaux turquoise de l’Arve, à la Jonction, et bleues du Rhône, ne se mélangeant pas. Le premier, c’étaient 172 ans d’analyse et de prises de position politiques ; le second, c’étaient sept ans de suprématie « société ». Impossible fusion.

     

    Ce qui tue la presse romande, c’est la matrice HEI, dont sont sortis tant de ses beaux esprits. La fabrique idéologique, à quelques centaines de mètres de l’ONU, et quelques dizaines de l’OMC, de générations de journalistes qui allaient défendre, le doigt sur la couture du pantalon, le multilatéralisme, l’OTAN, la mondialisation, l’Union européenne, bref tout ce qui ressemble à des conglomérats tueurs de nations, de souverainetés, de sentiments d’appartenance. Et en anglais, s’il vous plaît !

     

    Ce qui a largement contribué à tuer la presse romande, c’est son comportement au moment des guerres balkaniques, entre 1990 et 2000. Ignorance historique crasse, parti-pris systématiquement anti-serbe, pro-croate, pro-bosniaque, pro-kosovar, pro-albanais. Diabolisation de tout un peuple. Refus de voir les réalités : retour en force de l’influence allemande, juste après la chute du Mur, rôle des services secrets allemands dans les événements du Kosovo, affaiblissement, voulu par Washington, du monde slave cyrillique, l’axe Moscou-Belgrade, instauration d’une « justice internationale » à la botte des Etats-Unis. Cécité de ces braves gens, sortis d’HEI, face à ces phénomènes que j’ai, pour ma part, étudiés de près, m’étant rendu sur le terrain, m’étant abreuvé à d’autres sources. Il faut voir comment, dans ces années 1990, dans les rédactions, on traitait ceux qui, sur la question balkanique, osaient une autre voix.

     

    Ce qui tue la presse romande, c’est la peur des pairs, la peur du débriefing. La sainte horreur face à l’idée qu’on pourrait déplaire au chef, et plus encore aux chefaillons. Surtout, ne pas déteindre. Rester dans la ligne. Le pire de tout : au nom de cette peur du moindre engagement, s’abriter derrière une prétendue « neutralité ». Comme si la parole, le verbe, la syntaxe, l’angle du regard pouvaient être neutres ! Tout acte journalistique, à commencer par la prétendue neutralité de quelques eunuques-troncs, est, par la nature même de la parole, un acte engagé. Alors, de grâce, assumons : de gauche, de droite, du centre, tout cela m’est parfaitement égal, mais ayons l’élémentaire courage de décliner le point de vue duquel on parle.

     

    Ce qui tue la presse romande, c’est son retard à relever les défis de la technique. Son mépris des formes nouvelles d’expression, comme les réseaux sociaux. Son mythe du papier. Son attachement au temps des immenses rotatives, si coûteuses. Sa permanence dans le modèle des bonnes vieilles rédactions, avec de bons vieux chefs, de bons vieux horaires, de bons vieux bureaux, la bonne vieille cafétéria. Comme si tout cela, hérité de l’ère industrielle, n’avait pas déjà éclaté !

     

    La presse romande survivra-t-elle ? Je n’en sais rien. Ce qui doit vivre, en chacun de nous, chaque citoyenne, chaque citoyen de ce bout de pays, et pas seulement les journalistes, c’est l’angle du regard. La fraîcheur de l’approche. L’audace du verbe, écrit ou prononcé. On ne nous a pas donné des micros, ni des claviers, ni même encore des feuilles si vous y tenez, pour que n’y laissions que le vide de nos peurs. Mais pour que chacun d’entre nous, s’il le souhaite, s’engage, nous étonne, nous informe de ce que nous ignorions, nous cultive, nous exaspère, nous dérange, nous éblouisse, et parfois aussi nous émerveille. A tous, excellente soirée.

     

    Pascal Décaillet

     

  • La conversion de Constantin

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    Sur le vif - Vendredi 03.02.17 - 19.00h

     

    Le métier de directeur de prison n'est pas nécessairement, à première vue, le plus drôle qui soit. Je n'ai, de ma vie, jamais mis les pied dans une prison, si ce n'est, en 1983, pour rendre visite à un ami, objecteur. Alors que j'étais moi-même sous les drapeaux, pour payer mes galons !

     

    C'est un monde que je ne connais pas. Tout au plus ai-je toujours, dans le vaste atelier de mes désirs, le projet de faire un jour, avec mon ami Alberto Velasco, une émission de radio en milieu carcéral. Pas une seule émission : un rendez-vous, régulier, pour les détenus, les gardiens, tout le monde de l'établissement. J'espère, un jour, malgré la forêt d'obstacles administratifs, concrétiser cette vieille idée, qui me trotte dans la tête.

     

    Je ne connais pas le monde de la prison, mais je connais un peu Constantin Franziskakis. Je veux témoigner d'un homme à la rare épaisseur, attentif à l'absolue primauté de l'humain sur toute autre considération. Un homme d'ouverture et de culture, nourri de racines et de valeurs. L'Histoire. L'engagement. Le sacrifice. Les cimetières militaires. Les livres. La Méditerranée. Le moins qu'on puisse dire, c'est que ça me parle. Bref, l'antithèse du grimpaillon, aux dents qui rayent le plancher.

     

    Après les années qu'il a passées à Champ-Dollon, comme directeur, M. Franziskakis va, entre autres, étudier en profondeur le phénomène de radicalisation. Le moins qu'on puisse dire, c'est qu'il va s'atteler à une tâche d'utilité publique, de premier ordre.

     

    A cet homme de valeur et de vibrations, j'adresse mes vœux les plus chaleureux, pour la suite.

     

    Pascal Décaillet

     

  • L'éternité du monde

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    Sur le vif - Mercredi 01.02.17 - 08.56h

     

    En politique, je ne crois pas à l'homme nouveau. Je ne veux pas y croire. Il ne m'intéresse pas.

     

    J'aime, au contraire, l'homme ancien. Avec un passé, des cicatrices, des souffrances, une histoire. L'homme qu'on aurait déjà aimé, naguère, puis détesté. Il aurait dû se battre, défricher le chemin d'initiation dans une épaisse forêt, hostile. Ça laisse des traces, ça salit les mains, ça expose à la tentation, ça s'appelle la vie.

     

    C'est pour cela que j'étais pour François Mitterrand, en 1981. Il avait été, après l'Observatoire (1959), l'homme le plus haï de France. Pendant des années, au fond jusqu'en 1964, il avait été un homme totalement seul. Il avait tenu la ligne, continué le combat.

     

    J'aime ça. 22 ans après l'Observatoire, après deux échecs à la présidentielle (65, 74), le 10 mai 1981, il parvenait au pouvoir suprême. Il avait 65 ans, et avait été traité sept ans plus tôt (1974) "d'homme du passé" par Giscard.

     

    De même, en juin 1958, j'aurais tout donné pour voir revenir Charles de Gaulle, après douze ans et quatre mois de traversée du désert. Mais en juin 1958, faute d'assister à une résurrection, je naissais. Dans le désordre et le fracas du monde, on fait ce qu'on peut.

     

    J'aime les hommes du passé. J'aime les revenants, les archaïsmes, la poussière des archives, le parfum de tombeau des vieux livres, le son des instruments anciens, les traces de l'Histoire.

     

    Je n'aime pas les hommes nouveaux, les candidats aux dents blanches. D'ailleurs, aucun homme n'est nouveau. Chacun de nous, complexe et multiple, porte en soi l'éternité du monde.

     

    Pascal Décaillet