Chronique publiée dans le Nouvelliste - Vendredi 03.08.12
Je n'ai certes, pour ma part, jamais attendu de Mme Widmer-Schlumpf qu'elle gravisse le balcon du Gouvernement Général, à Alger, s'empare du micro, et déclare nous avoir compris. Ni qu'elle se proclame Berlinoise. Ni qu'elle nous fasse le récit de la mort de Madame. Bref, il me semblait à peu près acquis que la présidente 2012 de la Confédération n'était pas nécessairement le prototype de l'orateur, celui qui nous emporte et nous envoûte. J'étais prêt à m'en accommoder. Jusqu'à ce 1er août. Oui, jusqu'à ce pénible alignement de mots qui, sans aller jusqu'au mot discours, ne mérite assurément même pas celui d'allocution. C'était juste rien. Au milieu de nulle part. Et encore, je suis sévère avec le néant.
Je vous le dis tout de suite : qu'on ne vienne pas me parler de la langue. Il est parfaitement possible, dans une langue qui n'est pas la sienne, avec un peu d'exercice et d'effort sur les intonations, pour peu simplement qu'on veuille croire dans la vertu de la parole, d'être efficace, touchant, émouvant. Furgler, Ogi en français, Delamuraz dans son allemand à lui, qui n'était pas celui de Brecht ni de Thomas Mann, l'avaient montré. En plus, Mme Widmer-Schlumpf parle français, pas trop mal, elle comprenait donc parfaitement ce qu'elle lisait. Elle y a mis autant de cœur qu'un gardien de prison luthérien, en déprime pour cause personnelle, dans les pires années de la DDR.
À la vérité, ces « allocutions » de 12.05h des conseillers fédéraux, à la RSR, ont toujours été, pour tout le monde, un abominable pensum. Pour les ministres eux-mêmes, pour leurs conseillers, et avant tout pour les auditeurs. Le ton de notre présidente, ce 1er août, était en retrait - et je pèse mes mots - par rapport au pire des tons du plus grisâtre des conseillers fédéraux dans les années cinquante. Et nous sommes en 2012 ! Et personne, dans son entourage, ni à la SSR, n'a jugé bon de lui dire que c'était catastrophique. Une honte radiophonique. Une cure de Valium gratuite. On a laissé passer « ça », par facilité, par convenance, par insensibilité aux règles les plus élémentaires de la rhétorique.
Résultat : les Romands, qui déjà connaissent mal leur présidente grisonne, en ont, cette fois vraiment, l'image d'un éteignoir. Mme Widmer-Schlumpf, qui vaut sans doute beaucoup mieux que ce non-lieu sonore, n'en sort pas gagnante. La fonction présidentielle, non plus. C'est très dommage, parce que la politique, en Suisse, a justement besoin d'un peu de lustre et d'éclat. Le verbe, certes, n'est pas tout. Mais l'absence de verbe, c'est le début du néant. Il n'est écrit nulle part que l'efficacité politique passe par l'endormissement des consciences, le nivellement du ton, la mort du désir. Désert, donc, sur ce coup. Et colère.
Pascal Décaillet