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  • L'argent se mérite. Par le travail

     

    Chronique publiée dans le Nouvelliste - Vendredi 13.04.12

     

    2500 francs par mois pour chaque personne, active oui non, vivant légalement en Suisse. On appelle cela un « revenu de base inconditionnel ». Le montant, certes, ne figure pas dans le texte de l'initiative, mais des membres du comité l'articulent eux-mêmes. 2500 francs qui tomberaient du ciel, manne d'Etat, non parce qu'on aurait produit un travail, mais simplement parce qu'on existe. J'existe, donc je touche le revenu inconditionnel. Aberrant. Lunaire. Totalement irréaliste quant au financement. Surtout, jailli de cerveaux totalement théoriques, tellement éloignés de la réalité du monde du travail. Où il s'agit se retrousser les manches pour obtenir un salaire.

     

    Dieu sait si je suis attaché à l'Etat social. Il n'est pas question de laisser sur le bord du chemin les plus démunis, les plus faibles, les infirmes, les personnes âgées dépourvues de moyens, ni les jeunes en formation. Dieu sait, et mes lecteurs ici, depuis plus de douze ans, peuvent en témoigner, si j'ai toujours rejeté le libéralisme de casino, celui que condamne déjà Péguy, celui de l'Argent roi, l'Argent spéculé, gagné sans efforts. Dieu sait, aussi, si j'ai toujours prôné les mécanismes régulateurs permettant à l'Etat d'accomplir son devoir de solidarité. Cela me rapproche à la fois des radicaux historiques, de la Doctrine sociale de l'Eglise, et même, eh oui, de certains socialistes, lorsqu'ils puisent leurs racines ailleurs que dans la vengeance de classe.

     

    Tout cela, oui. Responsable d'une PME, indépendant avec une employée, je trouve tout à fait normal, sur le bénéfice qui me reste une fois réglées toutes les charges, de payer des impôts, et même pas mal d'impôts, pour la sécurité, la santé, la solidarité, les grandes infrastructures de la ville, du canton, du pays où je vis. Je dis simplement qu'il y a une limite, et que toute la dialectique gauche-droite s'organise autour de cette limite : où placer le curseur ? Quand j'entends les taux fiscaux annoncés par François Hollande, candidat qui par ailleurs me séduit, je ne suis plus d'accord. Il y a un moment où ça n'est plus possible !

     

    Bien sûr, l'initiative sur le « revenu inconditionnel » sera (pour peu qu'elle obtienne les signatures) balayée par le peuple suisse. Parce que c'est un peuple incroyablement mûr et responsable. Capable de refuser des baisses d'impôts, des vacances supplémentaires. Parce qu'il sent bien que rien, dans le monde du travail ni d'ailleurs dans la vie, ne peut surgir de la facilité. Il faut se battre ! Et c'est cela qui m'inquiète tant dans le cerveau des initiants : cette idée d'une rémunération arrosoir, indépendante de tout mérite, de tout effort. Pour les faibles, les démunis, les écorchés de la vie, aucun problème, je dis oui. Pour un homme en pleine santé, en pleine force de l'âge, osons le dire : ce serait tout simplement une honte.

     

     

    Pascal Décaillet

     

     

  • 2500 francs pour tous : le pour et le contre

     

     

    Je poursuis ici ma série d'entretiens avec le jeune écrivain Grégoire Barbey. Notre sujet, aujourd'hui: l'initiative populaire réclamant un revenu minimal de 2500 francs par mois pour chaque personne, active ou non, vivant légalement en Suisse. Publié le jeudi 12.04.12, 14.26h.

     

     

    GB - Monsieur Décaillet, seriez-vous à ce point opposé à l'autonomisation de vos semblables ? Pensez-vous donc qu'un revenu de base inconditionnel soit défavorable à la population ? Mais dites-moi, seriez-vous un fervent adepte du darwinisme social - ou seuls les plus forts et les plus aptes peuvent survivre ? La loi de la jungle, sans État ?

     

    PaD - Entre 2500 francs par mois pour tous, parachutés par l'Etat, et le darwinisme social, il y a peut-être un entre-deux, non ? Autant je suis favorable à ne laisser personne sur le bord du chemin, à aider les plus faibles, à financer par l'impôt l'Etat social, autant ce « revenu inconditionnel » me semble délirant. Je le condamne au même titre que j'ai toujours condamné, de l'autre côté de l'échiquier, la spéculation : l'argent doit provenir du travail, du mérite, de l'effort, pas du ciel.

     


    GB
    - Voyez-vous ça ! Qui parle de ne point travailler ? En tout cas, l'initiative ne fait nullement référence à une quelconque possibilité de cesser toute activité professionnelle pour vivre avec la faible somme de 2500 francs par mois. Au contraire, qui, à Genève, pourrait se permettre ce luxe ? L'argent n'est pas une fin en soi, il n'est qu'un moyen, vous dis-je !

     

    PaD - Le texte est clair : 2500 francs par mois, qu'on travaille ou non. 2500 francs, juste parce qu'on existe. Pour ma part, je travaille depuis l'âge de vingt ans pour gagner ma vie, puis celle de ma famille, puis pour financer mon entreprise. Sur le bénéfice qui me reste, à la fin de l'année, une fois payées toutes les charges, je trouve tout à fait normal de payer des impôts. Et ces impôts financent l'Etat social. Pour la protection des plus faibles, à laquelle je suis attaché. Mais pas pour une sorte « d'allocation d'existence », au reste impossible à financer. A ce texte-là. Je voterai non.

     

    GB - J'entends bien vos doléances, Pascal. Pour ma part, je conçois la libéralisation des individus et leur droit à la dignité. Celles et ceux qui ne peuvent pas, pour des raisons diverses et variées, travailler de la même façon que vous ne doivent pas pour autant subir l'humiliation d'un capitalisme sauvage. De surcroît, je suis ouvertement favorable à la réduction de l'administration sociale, et donc restreindre la bureaucratie dans notre pays, moins de paperasse et plus d'efficacité pratique. C'est ça, pour moi, une société qui fonctionne !

     

    PaD - Je déteste le capitalisme sauvage, le dénonce depuis 25 ans, crois en l'Etat comme régulateur des inégalités. Pour les plus faibles, les infirmes, les personnes âgées ne pouvant pas tourner, et d'ailleurs aussi les jeunes en formation, c'est entendu : il faut les aider. Mais les autres, ceux qui ont la santé, la force de l'âge, leur dignité, c'est justement par le travail (entre autres) qu'ils pourront l'arracher. Je crois à la philosophie du travail, ce qui me rapproche à la fois des radicaux et des socialistes. J'ai vu la génération de mes parents, de mes grands-parents, en Valais, s'affranchir par le travail. Je les respecte infiniment. Ils ont construit la prospérité d'aujourd'hui.

     

    GB - Mais alors nous sommes sur la même longueur d'onde. Oui, le travail peut permettre de s'épanouir, j'y crois également. Toutefois cette initiative n'occasionnerait pas soudainement l'arrêt, même momentané, de travailleurs. Lisez l'étude du Professeur Dr. Friedrich Schneider, directeur d'étude et professeur de l'Université Johannes Kepler de Linz, en Allemagne. C'est très instructif, et cela met fin à la désinformation sur les conséquences de ce Revenu de Base Inconditionnel !

     

     

    PaD - Je la lirai volontiers. Chacun, en Suisse, a le droit de lancer une initiative. Si celle-ci obtient les cent mille signatures, le peuple et les cantons voteront, et c'est très bien. Et, si elle est acceptée, elle devra être appliquée. Mais j'ai la certitude qu'elle sera balayée. Le peuple suisse se révèle, sur ces questions-là, d'une étonnante maturité : il refuse les baisses d'impôts, ou même deux semaines de vacances supplémentaires. Il a intégré, profondément, la corrélation travail-mérite-argent. Cela n'en fait en aucun cas un peuple égoïste : le même corps électoral a permis, depuis la guerre, la création d'un Etat social que beaucoup nous envient.

     


    Grégoire Barbey + Pascal Décaillet

     

     

     

  • Hommage à trois qui sont partis

     

    Mercredi 11.04.12 - 19.28h

     

    Il y a des jours, comme ça, où la Faucheuse semble travailler à la chaîne. En ce 11 avril, elle emporte à la fois Raymond Aubrac et Ahmed Ben Bella. Deux hommes d'exception. Deux hommes qui ont su dire non. Avec éclat.

     

    Entre eux, la lumière de la Méditerranée. Communément à eux, l'incomparable puissance d'un combat. Pendant que Lucie et Raymond Aubrac résistent, sur sol français, à la barbarie nazie, Ben Bella, 28 ans, fait partie de ces milliers de Musulmans algériens qui se battent pour la France, sous les ordres du futur Maréchal Juin, dans les montagnes escarpées d'Italie, du côté du Mont Cassin. Puis, avec un autre futur Maréchal, de Lattre, dans la légendaire 1ère Armée. « Celui qui croyait au ciel, celui qui n'y croyait pas », le Français de France et l'Algérien sous uniforme français. Fusion des destins.

     

    C'est à Sétif, jour de la victoire, 8 mai 1945, neuf années avant le début de la Guerre d' Algérie, que tout commence. Sétif, où les Français fêtent la victoire en oubliant d'y inviter ceux qui ont tant contribué à la forger. Le sang coulera, la répression sera terrible, il faut lire Lacouture et tous les autres, comprendre comment, avec Messali Hadj et Ferhat Abbas, avait lentement mûri, bien avant la guerre, l'idée d'une Algérie maîtresse de son destin. Combattant du FLN, premier président de la République algérienne, Ahmed Ben Bella était, comme Aubrac, un homme qui avait dit non.

     

    Dans une librairie arabe de Genève, il y a une quinzaine d'années, je j'avais aperçu. Tout calme, avec sa grande silhouette, à promener son regard sur des bouquins. Aujourd'hui, voilà ces deux hommes qui nous quittent. Deux destins. Auxquels on me permettra d'ajouter celui de Jean de Toledo, centenaire, incroyable figure du paysage genevois.

     

    Hommage à eux. Hommage à ces hommes du temps des hommes, témoins du siècle. Il nous reste la mémoire. Notre bien le plus précieux.

     

     

    Pascal Décaillet