Je poursuis ici ma série d'entretiens avec le jeune écrivain Grégoire Barbey. Notre sujet, aujourd'hui: l'initiative populaire réclamant un revenu minimal de 2500 francs par mois pour chaque personne, active ou non, vivant légalement en Suisse. Publié le jeudi 12.04.12, 14.26h.
GB - Monsieur Décaillet, seriez-vous à ce point opposé à l'autonomisation de vos semblables ? Pensez-vous donc qu'un revenu de base inconditionnel soit défavorable à la population ? Mais dites-moi, seriez-vous un fervent adepte du darwinisme social - ou seuls les plus forts et les plus aptes peuvent survivre ? La loi de la jungle, sans État ?
PaD - Entre 2500 francs par mois pour tous, parachutés par l'Etat, et le darwinisme social, il y a peut-être un entre-deux, non ? Autant je suis favorable à ne laisser personne sur le bord du chemin, à aider les plus faibles, à financer par l'impôt l'Etat social, autant ce « revenu inconditionnel » me semble délirant. Je le condamne au même titre que j'ai toujours condamné, de l'autre côté de l'échiquier, la spéculation : l'argent doit provenir du travail, du mérite, de l'effort, pas du ciel.
GB - Voyez-vous ça ! Qui parle de ne point travailler ? En tout cas, l'initiative ne fait nullement référence à une quelconque possibilité de cesser toute activité professionnelle pour vivre avec la faible somme de 2500 francs par mois. Au contraire, qui, à Genève, pourrait se permettre ce luxe ? L'argent n'est pas une fin en soi, il n'est qu'un moyen, vous dis-je !
PaD - Le texte est clair : 2500 francs par mois, qu'on travaille ou non. 2500 francs, juste parce qu'on existe. Pour ma part, je travaille depuis l'âge de vingt ans pour gagner ma vie, puis celle de ma famille, puis pour financer mon entreprise. Sur le bénéfice qui me reste, à la fin de l'année, une fois payées toutes les charges, je trouve tout à fait normal de payer des impôts. Et ces impôts financent l'Etat social. Pour la protection des plus faibles, à laquelle je suis attaché. Mais pas pour une sorte « d'allocation d'existence », au reste impossible à financer. A ce texte-là. Je voterai non.
GB - J'entends bien vos doléances, Pascal. Pour ma part, je conçois la libéralisation des individus et leur droit à la dignité. Celles et ceux qui ne peuvent pas, pour des raisons diverses et variées, travailler de la même façon que vous ne doivent pas pour autant subir l'humiliation d'un capitalisme sauvage. De surcroît, je suis ouvertement favorable à la réduction de l'administration sociale, et donc restreindre la bureaucratie dans notre pays, moins de paperasse et plus d'efficacité pratique. C'est ça, pour moi, une société qui fonctionne !
PaD - Je déteste le capitalisme sauvage, le dénonce depuis 25 ans, crois en l'Etat comme régulateur des inégalités. Pour les plus faibles, les infirmes, les personnes âgées ne pouvant pas tourner, et d'ailleurs aussi les jeunes en formation, c'est entendu : il faut les aider. Mais les autres, ceux qui ont la santé, la force de l'âge, leur dignité, c'est justement par le travail (entre autres) qu'ils pourront l'arracher. Je crois à la philosophie du travail, ce qui me rapproche à la fois des radicaux et des socialistes. J'ai vu la génération de mes parents, de mes grands-parents, en Valais, s'affranchir par le travail. Je les respecte infiniment. Ils ont construit la prospérité d'aujourd'hui.
GB - Mais alors nous sommes sur la même longueur d'onde. Oui, le travail peut permettre de s'épanouir, j'y crois également. Toutefois cette initiative n'occasionnerait pas soudainement l'arrêt, même momentané, de travailleurs. Lisez l'étude du Professeur Dr. Friedrich Schneider, directeur d'étude et professeur de l'Université Johannes Kepler de Linz, en Allemagne. C'est très instructif, et cela met fin à la désinformation sur les conséquences de ce Revenu de Base Inconditionnel !
PaD - Je la lirai volontiers. Chacun, en Suisse, a le droit de lancer une initiative. Si celle-ci obtient les cent mille signatures, le peuple et les cantons voteront, et c'est très bien. Et, si elle est acceptée, elle devra être appliquée. Mais j'ai la certitude qu'elle sera balayée. Le peuple suisse se révèle, sur ces questions-là, d'une étonnante maturité : il refuse les baisses d'impôts, ou même deux semaines de vacances supplémentaires. Il a intégré, profondément, la corrélation travail-mérite-argent. Cela n'en fait en aucun cas un peuple égoïste : le même corps électoral a permis, depuis la guerre, la création d'un Etat social que beaucoup nous envient.
Grégoire Barbey + Pascal Décaillet