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  • Anciens et Modernes


    J’ai toujours détesté, en politique, l’argument de l’âge. Dans un sens comme dans l’autre. Il n’est pas de jeunes ou de vieux politiciens, il n’en est que de bons ou de mauvais. Maudet brillait déjà dans la vingtaine, c’est vrai, mais Konrad Adenauer, qui rendit à l’Allemagne son honneur, fut, bien au-delà de ses 80 ans, un grand chancelier. Il n’y a pas plus un problème d’âge qu’il n’y aurait un problème de sexe, ce sont là des catégories inventées pas des jaloux ou des impatients. Je vous dispense de l’épicène, par indulgence.

     

    En mai 68, j’avais dix ans, je me souviens parfaitement de tout, j’avais quelque peine à comprendre qu’on pût contester de Gaulle sur la seule question de l’âge. Qu’on le fît sur son modèle de société, sa conception royale du pouvoir, l’étouffement de l’audiovisuel, le mandarinat dans les Universités, tout cela méritait en effet discussion. Mais qu’on se contentât de l’attaquer sur ses 77 ans était un peu court. Cet homme qui avait libéré son pays, donné le droit de vote aux femmes, réglé la question algérienne, offert à la France une nouvelle Constitution, élevé le verbe comme nul ne le fit avant lui, était sans doute plus jeune, dans la tête (et moins bourgeois !) que nombre de contestataires.

     

    C’est de cette époque qu’est née ma méfiance viscérale à chaque fois que venait poindre sur la scène une Querelle d’Anciens et Modernes. Que sont devenus les Michel Noir qui, du côté de 1990, avaient tenté un putsch sur le « vieux Chirac » ? Qu’est devenu le jeune Rocard qui tenta, au Congrès de Metz, en 1979, d’avoir la peau du vieux Mitterrand ? Où sont-ils, aujourd’hui, ces jeunes loups aux soubresauts de cabris ? Où sont-ils, dans les livres d’Histoire ?

     

    Ainsi, Antonio Hodgers. Toujours jeune, toujours beau, toujours sautillant, toujours cabri. Un politicien charmant, doux en toutes choses : mobilité douce, verbe doux, idées douces. La perpétuelle illusion d’une humanité meilleure, transcendée par le Rayon Vert. Toujours, la jeunesse brandie contre l’archaïsme. Toujours, la douceur contre la rudesse. Toujours, le grand mythe du Centre (un Centre doux, of course), contre cet antagonisme ringard et dépassé que serait le clivage gauche-droite.

     

    L’archaïque, en l’occurrence, ce serait Ueli Leuenberger. Le Climatique. Qui réagit avec beaucoup d’humour, dans « Le Matin » d’aujourd’hui, à ces attaques au pistolet à eau : « Je ne vais tout de même pas me teindre les cheveux en noir ! ». Ou encore : « C’est le vieux contre le jeune, le beau et le moins beau, le mince et le gros, l’alémaniaque et celui qui apprend le suisse allemand ». Bref Ueli assume. Son âge. Ses cheveux blancs. Son esquisse d’embonpoint. Ses rides. Mais aussi son vécu, son expérience, sa combativité politique, ses réseaux. Tout ce qui fait un homme.

     

    Un homme, oui. Pas un jouvenceau.

     

    Pascal Décaillet

     

     

     

  • UDC genevoise : l’opaque obscurité de l’aube

     

    Sur le vif - Lundi 03.05.10 - 12.36h


    Dans ce petit cénacle d’hommes dont le protagoniste (entendez l’acteur principal), Soli Pardo, se trouve être un redoutable comédien, la tragi-comédie que vit l’UDC genevoise doit être mesurée à l’aune des masques et bergamasques dont elle se travestit elle-même. A se demander si le véritable organe de tutelle de cette section cantonale ne devrait pas être la Fondation d’art dramatique, plutôt que la garde noire de Christoph Blocher, laquelle fera mercredi, à Genève, une apparition signalée.

     

    A côté des quelques chefs de l’UDC genevoise qui ont laissé la situation parvenir aux confins de la putréfaction, le Nœud de Vipères, de Mauriac, apparaît comme un sympathique bac à sables pour tourtereaux pré-pubères. Disons qu’il y a Yves Nidegger, Soli Pardo, Eric Leyvraz, et, tapi dans une embuscade de polichinelle, Eric Stauffer. Ajoutons que le produit cartésien des détestations possibles, dans ce carré d’as, confine à l’infini. Longtemps, il fut variable, Là, certaines rancœurs semblent se polymériser.

     

    Tout cela, digne des inoubliables « Ouménés de Bonada » de Michaux, demeurerait trempé dans l’encre noire d’une anthropologie imaginaire, ou d’un exotisme de racaille, si cette sympathique amicale n’était l’aile genevoise du premier parti de Suisse, 29% aux dernières élections fédérales, au secrétariat central duquel le Sonderfall Genf commence à donner un urticaire de plus en plus grattant. Bref, la descente de mercredi pourrait bien avoir des allures de mise sous tutelle. Un deal du type : « Nous prenons le pouvoir de Berne, nous vous offrons un beau tableau d’Anker en échange, surtout ne bougez plus, nous nous occupons de tout ».

     

    D’ici là, sans doute, quelques ultimes sursauts de cannibalisme interne. Où les plus retors ne sont pas nécessairement ceux qu’on croit. Ni les plus théâtreux. Ni les plus levantins. On imagine – en poussant un peu – la virée bernoise de mercredi à l’image de certaines scènes de Visconti, sur le Tegernsee, dans les petits matins de brume où valsent les lapins. Ou alors, en hommage au protagoniste, du côté de Salo, quelques années plus tard, là où se lève le jour et tombent les régimes.

     

    Pascal Décaillet

     

     

  • Despot éclairé

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    Chronique publiée dans la Tribune de Genève - Lundi 03.05.10

     

    Quelques robustes et étincelants morceaux de fromage valaisan, dont un alpage de la Loutze (Mayens-de-Chamoson) hors du commun, du vin blanc, un peu de charcuterie, un géant helvéto-serbe de deux mètres, un barde de Savièse ayant quelque succès en politique, une future conseillère d’Etat vaudoise, un gourou de la pensée scolaire devenu député radical, c’était samedi, 17h, Librairie les Trois Mondes, rue Leschot. Partage, lumière, chaleur. Tout ce qui manque au Salon du Livre.

     

    Et si la majesté du livre, son incomparable puissance, relevait par essence de l’intimité d’un cercle plutôt que du fracas d’une foire ? L’hôte des lieux, samedi (à part le libraire, charmant), c’est Slobodan Despot. Les éditions Xénia. Petite boîte (deux personnes), travail acharné, des trésors d’originalité dans le choix des bouquins, du « Valais mystique » à la liste des saints orthodoxes, en passant par un essai sur le cancer du col de l’utérus (on vaccinerait trop, du fric pour les pharmas), ou encore le très troublant « Portrait d’Eric », par Eric Werner.

     

    Petite boîte, deux personnes, pleines d’énergie. Il n’y a que ça de vrai : les PME, il y a ceux qui en parlent, et ceux qui les vivent, sept jours de boulot sur sept pour le patron, mais l’ivresse inégalable de se sentir libre. C’était comme samedi, aux Trois Mondes : on s’y sentait bien, on s’y sentait libre.

     

    Pascal Décaillet