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  • CEVA : quand Perrette se réveille…

     

    Ils en ont mis, des sous, les milieux de la construction, pour que passe le CEVA. Comme ils en ont mis, avec le patronat genevois, pour la loi sur l’énergie. Dans leurs prunelles, miroitaient les millions. Affaires par-ci, adjudications par-là, relance de l’économie, soumissions gagnantes, veaux, vaches, cochons, couvées : Perrette rêvait, le pot-au-lait dansait sur sa tête, il se dodelinait, se trémoussait, se riait de l’équilibre, narguait le ciel.

     

    Le ciel ? Il fait mal, oui, le ciel, quand il retombe sur nos têtes. Comme le relève mon confrère Marc Moulin, dans la Tribune de Genève, c’est un groupe français, Vinci, qui remporte le morceau pour la tranchée couverte de Frank-Thomas, l’un des travaux du CEVA. Soit près de 256 millions sur 830. Victoire obtenue du reste en toute légalité, en tout bien tout honneur, dans le pur droit canon de la libre circulation, tant prônée pas nos entrepreneurs. Bref, le groupe Vinci n’a rien à se reprocher : il a joué la concurrence, il a gagné.

     

    Ce qui est plus troublant, ce sont les réactions de nos entrepreneurs. Soudain, très protectionnistes. Soudain, se souvenant qu’il existe une frontière. Soudain, très soucieux des conditions salariales obligatoires à Genève. Soudain, rappelant que notre canton est un îlot de cherté, ce dont en effet nul ne doute. Soudain, sensibles au chômage des ouvriers locaux. Soudain, craignant les sous-traitances.

     

    La belle Perrette se serait-elle réveillée ? Ses paupières commenceraient-elles à s’entrouvrir ? On nierait l’existence de la frontière, tant que les affaires seraient gagnantes. Dès que viendrait poindre un sort plus néfaste (pourtant dûment scellé par la loi du marché), on retrouverait dans les protectionnismes nationaux d’éminentes vertus, par mégarde oubliées.

     

    Etonnant, non ?

     

    Pascal Décaillet

     

  • Jacques Antenen : « C’est pas nous, c’est eux ! »

     

    « C’est pas nous les responsables, c’est les autres ». C’est ainsi qu’on peut résumer la ligne argumentaire, dûment répétée et martelée, du commandant de la police vaudoise, Jacques Antenen, aujourd’hui dans l’émission La Soupe. En toile de fond, le drame de ce détenu mort à Bochuz, alors que sa cellule brûlait, et que personne ne lui venait en aide.

    Ligne de défense de M. Antenen : dans le canton de Vaud, la police dépend d’un Département (celui de Mme de Quattro), et les services pénitentiaires d’un autre (celui de M. Leuba). A entendre le chef de la police, ses services à lui  n’auraient rien à se reprocher. Et donc, ab negatione, il va falloir sérieusement s’intéresser à ceux qui officient à Bochuz.

    Tout cela est peut-être vrai. L’enquête le dira. Mais, pour un auditeur moyen, Vaudois ou non, averti ou non des séparations de pouvoirs, il y a un homme qui est mort alors qu’il aurait pu survivre. Dans ce contexte, l’insistance avec laquelle M. Antenen a tenu à laver d’avance ses troupes de tout soupçon, et donc la manière dont il a chargé les autres, est franchement un peu forte de café. Outre qu’elle ravive au grand public de sourdes rivalités, elle ne donne pas (et c’est étonnant de la part de cet homme de valeur) une très grande idée du service de l’Etat.

    On comprend qu’un chef de corps protège ses troupes. Mais alors en l’état, l’enquête étant en cours, et ne faisant sans doute que commencer, était-il opportun, au niveau gouvernemental, de laisser descendre dans l’arène un homme étalant au grand jour un climat de règlements de comptes entre services, et de patate chaude qu’on s’empresse de se passer ?

    On nous permettra, pour le moins, de nous poser la question.

     

    Pascal Décaillet

     

  • Libéraux-radicaux : des vertus du déracinement

     

    Hier soir, à des majorités très nettes, les délégués des radicaux et des libéraux genevois, siégeant simultanément en deux endroits différents (Pregny-Chambésy et l’Uni-Dufour), ont donné leur feu vert au principe de rapprochement entre ces deux partis. Ca n’est pas encore la fusion, pas encore le mariage, mais c’est le début d’un processus qu’il convient de saluer. Il a fallu, comme l’a noté ce matin Rolin Wavre, secrétaire général des radicaux, « se déraciner » de quelque chose, à quoi on tient, pour tenter le pari d’un ailleurs.

     

    C’est cette notion (éminemment barrésienne) de « déracinement » qui retient l’attention : aujourd’hui fort proches, ces deux partis cantonaux surgissent de deux Histoires tellement différentes, faubourgs de Saint-Gervais pour les uns, Vieille Ville pour les autres, artisans, tisserands, petits commerçants d’un côté, financiers de l’autre. Les publicains et les patriciens. On pourrait multiplier ce qui, si longtemps, les a séparés. A lire, d’urgence, l’œuvre complète d’Olivier Meuwly, incomparable historien de cet univers politique, depuis le dix-neuvième siècle.

     

    Des différences, certes, à n’en plus finir. Mais quoi, la politique est affaire de réalités : aujourd’hui ces deux univers représentent, peu ou prou, le même système de valeurs, entre d’une part la gauche, et d’autre part une droite plus isolationniste, voire nationaliste. On notera – pour poser sans tarder un nouveau jalon vers l’avenir – que la démocratie chrétienne, avec toutes les nuances sociales et familiales qu’on voudra bien reconnaître, appartient, elle aussi, dans les grandes lignes, à cette famille-là : liberté du commerce, de l’industrie, encouragement à l’innovation, création de richesses pour mieux pouvoir les redistribuer.

     

    On voit mal comment ce nouveau parti, « libéral-radical », qui va doucement voir le jour dans l’espace politique genevois, pourrait, à terme, se passer de la vieille et si riche démocratie chrétienne : 163 ans après le Sonderbund, la survie de ces partis passe par une reconnaissance de ce qui les rassemble, plutôt que par le rappel obsessionnel de ce qui a pu, naguère, les séparer. Et c’est un Valaisan qui signe ces lignes, héritier par son ascendance de la double tradition de ces ennemis qui, du Trient aux confins de Bagnes, se sont tant combattus.

     

    « Déracinement », oui. La vie politique, la vie tout court, sont jalonnées d’une succession de renoncements volontaires, pour pouvoir avancer. Dans la douleur, certes, comme en témoignait ce matin l’amertume de Robert Ducret, radical canal historique, canal Carouge, canal Genève, l’un des hommes les plus admirables de l’après-guerre genevoise. Et ce même homme, malgré ses innombrables réticences, a voté oui, hier soir, parce qu’il a senti qu’il ne fallait pas contrarier la puissance naissante d’un nouveau projet. Il s’est « déraciné » de lui-même, de ses valeurs, de sa génération, pour laisser vivre quelque chose de nouveau.

     

    « Déracinement » ; le mot de Rolin Wavre est le mot-clef. Il implique d’abord qu’on en a, des racines, puissantes, complexes, entremêlées, et qu’il s’agira toujours de s’en souvenir. Nul parti politique n’est apatride, volapük, météore, nul n’est en apesanteur. Et c’est précisément parce qu’il vient de quelque part, avec la richesse de ses alluvions, qu’il pourra sortir de lui-même, se fondre dans quelque chose de plus grand.

     

    Ce processus, que j’avais évoqué à Martigny le vendredi 11 novembre 2005 devant beaucoup d’hommes politiques qui se reconnaîtront en lisant ces lignes, ne peut laisser sur le bord du chemin le parti qui fut, au niveau national, celui de Kurt Furgler, au niveau genevois celui de Jean-Philippe Maitre. Parce qu’il est, ce parti-là, une composante essentielle de notre Histoire nationale, avec ses tensions, ses contradictions, sa résistance au Kulturkampf, sa réponse donnée, dès la fin du dix-neuvième siècle, à la condition ouvrière. Le Sonderbund, c’est fini. Entre la gauche et l’UDC, il y a la place, à Genève et en Suisse, pour une droite ouverte, plurielle, innovatrice, redistributrice. Ce jour-là, qui est certes encore lointain, les partis dits populistes commenceront peut-être, doucement, à régresser.

     

    Pascal Décaillet