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  • La Belgique est morte. Et nous ?

     

    Chronique publiée dans le Nouvelliste - Samedi 24.04.10



    « La Belgique, c’est fini ». Jacques Neirynck, vendredi matin, a été très clair : ce pays qu’il définit lui-même comme totalement artificiel, né du Congrès de Vienne (1815) et de la Révolution belge de 1830, où on a obligé à vivre ensemble des communautés qui ne le voulaient pas, est mort. Belge lui-même, ayant côtoyé Brel à l’école, vu la Gestapo venir chercher un enfant juif dans sa classe, travaillé comme ingénieur dans un Congo colonial digne de Tintin, le conseiller national démocrate-chrétien sait de quoi il parle.

    Et la Suisse ? Les latins, les germanophones risquent-ils un jour le divorce ? Dans l’absolu oui, bien sûr : nul Etat n’est éternel. Pourtant, la manière dont s’est tissé notre pays, notamment depuis 1798, ou 1848, la patiente construction d’une culture politique commune, au-delà des langues, des confessions, de la plaine ou de la montagne, de la ville ou de la campagne, peuvent nous préserver de nos propres ferments de dispersion, qui ne sont pas moins puissants, au fond, que sur les rives de l’Escaut.

    Ils peuvent nous en préserver, mas rien n’est garanti. Parce que la Suisse n’est rien d’autre qu’une petite fleur fragile. Il faut s’en occuper, l’arroser, peut-être même lui parler. Cette culture politique, il faut la faire vivre. Beaucoup, à l’extérieur, nous l’envient. Discutez avec des Français : ils ne cessent de réclamer des droits venus d’en bas, comme nos initiatives ou nos référendums.

    Cette culture politique, surtout, n’a rien de statique : elle n’a de sens que par la réforme permanente, l’adaptation, souvent dans la douleur, aux nouveaux défis. Oui, la démocratie, c’est s’engueuler, se battre, chercher à convaincre. Parce qu’en se querellant, au moins, on se parle. Et peu importe que ce soit dans la langue de Voltaire, de Brecht, de Pasolini ou même, eh oui, dans celle d’Ismaïl Kadaré.

    Nous ne sommes en rien meilleurs que les Belges. Nos démons n’ont rien à envier aux leurs. L’humain est ce qu’il est, avec la noirceur de son âme et le retour, à tout moment possible, de la barbarie. Si nous survivons, en tout cas pour l’heure, c’est parce que nous continuons à nous parler. Parfois, les assiettes volent et vont se fracasser au mur. Mais ce bruit-là est celui de la vie. Il en est de bien pires.

    Pascal Décaillet

     

  • Deux ou trois ?

     

    Chronique publiée dans la Tribune de Genève - Jeudi 22.04.10

     

    Maudet, Chevrolet, c’est le duo idéal pour la droite genevoise au printemps 2011. D’un côté, un radical vraiment radical. De l’autre, un PDC à saveurs très libérales. Bref, les trois partis de l’Entente condensés en seulement deux hommes ! Au point qu’un esprit pointu – ou pervers – pourrait se demander s’il est absolument indispensable de flanquer ce duo d’un libéral.

     

    C’est là le dilemme : ne partir qu’à deux, on admet d’emblée la majorité de la gauche. Partir à trois, on court le risque de liquéfier le ticket. Parce qu’à ce jour, un Maudet libéral, ou un Chevrolet libéral, qui émergerait d’évidence, n’existe pas. Et c’est la grande peur qui court sous les manteaux d’avril : une candidature libérale alibi, juste pour être trois.

    Et les libéraux le sentent bien, ce danger. Chevrolet faisant office de Canada Dry du libéralisme, tout ébouriffé de bonheur à rêver l’érection de tours dans le PAV, surélever les immeubles, faciliter la vie de promoteurs, le voilà, le programme libéral ! A quoi bon faire doublon ?

     

    Il faudra bien, pourtant, que le vieux parti patricien aligne un candidat. Mais sur quel profil ? Quelle valeur ajoutée ? La culture municipale ? Au moment où l’ogre Beer affiche ses appétits ? En allant vite, en plaçant sur les rails de vraies locomotives, radicaux et PDC ont rendu très difficile ce début de printemps, pour les libéraux de la Ville.

     

    Pascal Décaillet

     

  • Salle du Môle : la Nuit du Carrefour

     

    Chevrolet 87 - Bonny 53 - Ambiance

     

    Vin de messe, hier, à la buvette de la Salle du Môle, arachides sanctifiées, parfum d’antichambre et de sacristie. Pour quelle offrande ? Quel agneau sacrificiel ? Quand la démocratie chrétienne, fût-elle urbaine, tient ses comices, le maquignonnage a quelque chose, sait-on pourquoi, de plus sacré qu’à l’ordinaire. Oui, c’était, hier, le sel d’une soirée d’avril, entre Pâques et Pentecôte, quelque part sur la terre.

    L’offrande, c’était évidemment l’imminence d’un perdant. C’est toujours comme cela, celui qui grimpe au ciel, celui qui reste en bas, celui qu’on arrache au destin, celui qui s’y englue. D’un côté la route enchantée, de l’autre la nuit du carrefour. Tout cela n’étant qu’un rêve, au pire quelques haillons de cauchemar, une affaire de Reconquista : ici un Don Quichotte, là un Sancho Pança, avec juste une inversion des tailles, et des moulins qui tournent dans les têtes.

    Y aurait-il eu, comme dans la chanson, « le meilleur et le pire, le doux et le sévère » ? Le maigre et le bien portant. L’austère et le festif. Le Bonny et le Clyde. On aurait stipendié un scénariste d’Hollywood pour esquisser deux profils aussi antagonistes, on n’aurait pas trouvé mieux, depuis les très regrettés Stan Laurel et Oliver Hardy. Alors voilà, hier soir, le yang a triomphé du ying, la fiesta de la sobriété, la folie de la raison, l’excès de la mesure, Michel Chevrolet de Didier Bonny. C’est la vie, c’est le chemin. Il paraît même que c’est la vérité.

    Et les officiants, à la buvette, sans même donner l’impression d’aiguiser des couteaux, louaient, que voulez-vous, la survie par la puissance de l’image, contre l’aridité du concept. La revanche de la Contre-réforme sur la nudité cistercienne. C’est un choix. C’est un chemin. Il se pourrait même que ce soit une autoroute.

     

    Pascal Décaillet