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  • Helder, Kenza

     

    Chronique publiée dans la Tribune de Genève - Lundi 26.04.10

     

    Ils étaient là, devant nous, vendredi matin, 7h, en radio, un Alceste portugais, une Célimène voilée. Helder et Kenza. Collégiens de Rousseau, ou d’André-Chavanne, élèves de Marie-Christine Epiney, qui se bat depuis tant d’années pour le théâtre à l’école. Acte IV, scène 3, scène de jalousie, c’est Molière dans la zone industrielle de Carouge, la métrique alexandrine sur fond de marteau-piqueur.

     

    Ils étaient là, et je pensais à Jean Piat, Comédie de Genève, 1973, l’homme grâce à qui je suis tombé amoureux d’Alceste. Bougon, solitaire, franc, sale caractère, jaloux, détestant les mondanités, adorant la poésie. Et, les syllabes d’Helder allant s’évaporant, je pensais à cette pièce qui, à quinze ans, m’avait tant ébloui.

    Helder, Kenza, Clara, Nathalia, et plein d’autres joueront le Misanthrope, dès demain soir, à l’aula du Collège Rousseau. Sans Marie-Christine Epiney, sans les profs d’atelier-théâtre, sans la volonté politique d’encourager les arts chez les jeunes, les vers de Molière leur seraient peut-être restés éternellement étrangers.

    Il y aura aussi Segen au piano, Pierre au chant. Il y aura la sincère Eliante, la prude Arsinoé, il y aura l’envie de faire vivre le verbe. Il y aura des ponts entre les générations, le miracle d’une transmission, et des disciples que le maître invite à s’élever. Cela porte un très beau nom : cela s’appelle l’école.

     

    Pascal Décaillet

     

     

  • Michel Halpérin face à la fille du vent

     

    Sur le vif - Dimanche 25.04.10 - 09.10h

     

    Il aura donc fallu le libéral Michel Halpérin, hier à Berne, pour rappeler, menaçant, que la fusion des libéraux avec les radicaux n’avait rien d’acquis ni d’éternel. Pomme de discorde : l’Argent, celui qui saigne et qui corrompt, cet Argent de Péguy, de Bloy, ces secrets de famille dans l'univers bordelais de Mauriac, cet Argent qui est la vraie ligne de démarcation, au fond, entre un certain radicalisme républicain, redistributeur, industriel, et un certain libéralisme plus financier, plus privé. Plus pudiquement, on dira que les mariés se sont disputés, hier à Berne, sur des questions de politique fiscale. Réduite aux acquêts.

     

    Au moins, Michel Halpérin est clair. Ce brillant avocat défend le secret bancaire, bec et ongles, avec constance et panache. Il est cohérent. Face à lui, je te propose, ami lecteur, de reprendre l’ensemble des déclarations de Fulvio Pelli sur cette question, depuis dix-huit mois. On y verra au mieux de l’adaptation tactique, au pire la métamorphose de cet éminent florentin en fille du vent. Ce qui, jusqu’ici, apparaissait plutôt comme la marque de fabrique de ses anciens adversaires du Sonderbund, qui naviguent aujourd’hui entre nuits blanches et listes noires.

     

    Bref, Pelli est-il encore l’homme de la situation ? De plus en plus critiqué à l’interne, est-il celui à qui les jeunes mariés doivent confier leur destin pour le grand combat d’octobre 2011 ? La question, et pas seulement ici, se pose. Quand on a construit toute sa survie sur les équations de feu d’une mathématique d’ombre, enfanté tant d’inconnues sans jamais les reconnaître, il faudra bien, peut-être, se retrouver un jour devant le principe de calcul le plus largement répandu dans le grand public : l’addition.

     

    Quant à l’avenir du PLR, pour peu qu’il demeure dans une forme non-divorcée, un hasard de mise en page, dans le Matin dimanche d’aujourd’hui, nous en esquisse une solution claire et droite, rafraîchissante, dynamisante. Une solution parmi d’autres, oh juste une idée en passant. Disons une hypothèse, une machine à dissoudre les calculs qui font mal. Une médication qui porterait un nom : Pierre Maudet.

     

    Pascal Décaillet

     

     

  • Le Président qui aimait les trop jeunes filles

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    Notes de lecture, samedi 24.04.10, 17h

     

    26 août 1944. Paris libéré. Au milieu de l’une des plus grandes confluences humaines de l’Histoire de France, Charles de Gaulle descend les Champs Elysées. À côté de lui, sur une photographie qui appartient aujourd’hui à la légende et que vous avez sans doute tous en tête, parmi Georges Bidault, Alexandre Parodi ou Claude Guy, il y a un homme de soixante ans qui s’appelle André Le Troquer. Je sais, ce nom ne nous dit plus grand chose. Parce qu’un jour, plus tard, il sera blanchi à la chaux.

     

    Ancien combattant de 14 (il y a perdu l’usage de son bras droit), député socialiste de Paris dès 1936, avocat de Léon Blum au procès de Riom, résistant, cet homme aujourd’hui oublié fait partie, en cette heure de pure gloire, du cabinet politique du libérateur de la France. Et devant l’Histoire, ma foi, s’il n’y avait que cette période de sa vie, Le Troquer donnerait encore son nom, aujourd’hui, à pas mal de rues, d’avenues, et pourquoi pas d’écoles. Hélas pour sa mémoire, il y eut les Ballets roses.

     

    « Ballets roses », c’est le nom de cet excellent récit, que j’ai lu le week-end dernier, et qui nous raconte la chute, quinze après la Libération, de ce cacique des Républiques pré-gaulliennes, qui sera même président de l’Assemblée nationale dans les années cinquante. À l’époque, deuxième personnage de l’Etat. André Le Troquer (1884-1963).

     

    Ballets roses : on dirait aujourd’hui « vaste affaire de pédophilie ». Mais en ces années 1959-1960, le mot n’existe pas. On parle de détournement de mineures, de parties fines, on fantasme sur le libertinage très Louis XV, ou Régence, de certaines soirées, dans un pavillon près de Paris. Soirées dans lesquelles André Le Troquer, président de l’Assemblée nationale au moment des faits, est impliqué.

     

    À l’époque, en France, la majorité est à vingt-et-un ans, et la majorité sexuelle à quinze. Et le deuxième personnage de l’Etat est dans l’affaire ! Avec talent et documentation, Benoît Duteurtre, qui nous avait proposé en 2001 un éblouissant « Voyage en France » (Prix Médicis), nous raconte ce thriller politico-judiciaire, sur fond d’une République (la Cinquième) qui chasse la précédente, sur fond de vengeances et d’animosités. Et le dernier président de la Quatrième République, René Coty, celui qui cède la place à de Gaulle au moment de la crise algérienne, se trouve être l’arrière-grand-père de Duteurtre.

     

    L’alerte vieillard qui se retrouvera sur le banc des accusés, à 75 ans, en 1960, est-il vraiment coupable de tous les faits qui lui seront reprochés ? N’a-t-il pas été noirci par le pouvoir gaulliste naissant (notamment par Michel Debré) pour s’être, au printemps 1958, clairement opposé au retour aux affaires du Général ? Cette hypothèse, Duteurtre l’évoque, sans trancher. En tout cas, Le Troquer s’en tirera avec un an de prison avec sursis et 3000 francs d’amende. Considéré avec le prisme d’aujourd’hui, le verdict apparaît d’une insoutenable légèreté. Et c’est précisément le mérite de Duteurtre de nous replonger dans l’ambiance et les valeurs de l’époque, tellement différentes : on n’hésitera pas, du côté de la défense, à contre-attaquer en invoquant la « légèreté » des jeunes filles, et même la « complicité » de leurs parents.

     

    André Le Troquer disparaîtra peu après, en 1963, emportant dans sa tombe la vérité de cette affaire. Hommage à Benoît Duteurtre de nous l’avoir exhumée de l’ombre et de l’oubli, de nous avoir évoqué ce passage d’une République à l’autre avec tant de connaissance et de mise en situation.

     

    Pascal Décaillet

     

    *** Benoît Duteurtre. « Ballets roses ». Grasset, 2009.