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  • L’ennemi public

     

    Tribune de Genève - Lundi 09.11.09

     

    Vous avez remarqué comme ils lui tombent tous dessus ? Ici, c’est un docteur-ès-Kabbale, aux intentions aussi pures qu’une vierge cathare, qui lui démonte ses chiffres. Là c’est la Sainte Croisade des sortants qui le voue au bûcher. Il serait menteur, hérétique, destructeur d’équilibre, fossoyeur du bien commun. Rarement candidat au Conseil d’Etat n’aura, à ce point, focalisé les hargnes. Eric Stauffer a, décidément, beaucoup de chance.

    Ils se ruent sur lui, tous. Libéraux jaloux du pré-carré rongé, radicaux convertis en vestales donneurs de leçons, n’ayant plus comme refrain que l’horaire continu et la laïcité, toutes choses aussi enthousiasmantes que le journal de bord d’un éclusier que sa femme vient de quitter. Ils regrettent les temps anciens, ils pleurent. Eternels offensés, il ne leur reste que le choix des larmes.

    Ce qui peut lui arriver de mieux ? Non pas l’élection. Mais rater, tout en ayant progressé dans les résultats. Et la coalition des sortants, ce quintet d’artifice, qui ne tirerait aucune leçon de cet automne électoral, continuerait dans son arrogance à ignorer cette marge qui, depuis le 11 octobre, dévore déjà un tiers de la page. Et comme en quarante, de cocktails en cocktails, ce petit monde repartirait. Et vogueraient les copains, avec la sérénité de leurs voiles latines. Comme des nefs d’autrefois. Vers l’iceberg.

     

    Pascal Décaillet

     

     

  • Le Valais de Despot est aussi le mien

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    Notes de lecture - Dimanche 08.11.09

     

    Du plus loin qu’il m’en souvienne, du plus profond de ces mille randonnées et de tant de cabanes, avec mon père, le Valais des chapelles et des sentiers, des torrents et des bisses, des lacs de montagne, ce Valais d’hier et celui de demain, habite mon âme.

    Elle était très enviable, cette enfance, j’en conviens, qui en juillet nous menait sur les routes d’Italie, de Grèce ou du Proche-Orient ; en en août, sur les chemins escarpés de Bagnes et d’Entremont. L’été la marche, l’hiver le ski, à haute dose, ces hivers de gerçures, de jambes cassées, de vitesses déraisonnables: j’ai aimé ça, passionnément.

    Vous comprendrez, dans ces conditions, la divine surprise que vient de constituer, pour moi, la lecture du « Valais mystique », de Slobodan Despot, publié dans sa propre maison d’édition, Xenia. Du « Mur d’Hannibal », à Liddes, au Christ-Roi de Lens, en passant par le Vallon de Van et la « sentinelle de béton » (l’admirable église d’Hérémence), Despot nous prend par la main, nous promène dans cette terre de chaleur et de lumière, celle de l’eau vive et des lumignons, au pied des madones.

    Il faudrait sillonner les chemins de Despot avec, toujours, sur soi, un livre de Chappaz. Ou peut-être de Strabon, le géographe. Ou, à coup sûr, de Cingria, chroniqueur de l’itinérance. A travers les lieux, à travers le temps et les œuvres, dans les marges des manuscrits, les variantes des partitions musicales. Ou alors, sans rien. Juste dans la solitude de la vie qui va. Car ces chemins de croix sont chemins de traverse. Et si la naïveté de cette piété, en fait, n’était que l’éclair perdu de la lucidité ?

    A lire, à dévorer des yeux. A parcourir, surtout. De préférence l’été. Merci, Slobodan.

     

    Pascal Décaillet

     

     

     

  • Affaire libyenne : la Suisse humiliée par elle-même

     

    Commentaire publié en une du Giornale del Popolo - Samedi 07.11.09

     

    L’affaire des otages suisses en Libye : non seulement une question très délicate, dont dépendent deux destins humains, mais avant toute chose, l’une des plus grandes catastrophes de communication de cet étrange et disparate collège qu’on appelle le Conseil fédéral. Un président de la Confédération qui multiplie les maladresses et les ratés, chaque ministre qui donne son petit mot ou sa tentative de signal, une stratégie à laquelle personne, dans l’opinion publique, ne comprend rien. Résultat : la Suisse humiliée. Par la Libye, ou plutôt par elle-même ?

    Car au fond, dans cette lamentable affaire, le principal ennemi de la Suisse est peut-être moins le colonel Kadhafi que le système ahurissant qui est le nôtre lorsqu’il s’agit d’affronter une crise. Le tout aggravé par une présidence faible, très faible, chose d’autant plus étonnante qu’elle concerne un homme de valeur, bon ministre des Finances, intelligent, ouvert sur le monde. Comme si Hans-Rudolf Merz, depuis un an, était un autre homme, arrivant moins à s’imposer. Voyage raté à Tripoli, non annoncé à ses collègues, retour sans les otages, rencontre étrange à New York, annonces, petites phrases, sous-entendus, semi-silences : une communication totalement ratée.

    Du côté de la diplomatie suisse, dont les socialistes ne cessent de nous dire le plus grand bien, on peine à déceler, pour l’heure, le moindre résultat, non plus. Et puis, qui dirige le dossier ? Hans-Rudolf Merz ? Micheline Calmy-Rey ? Une cellule secrète ? Personne ? L’impression d’un vaisseau-fantôme, un gouvernement en douce dérive, un gouvernail laissé à lui-même, personne – ou trop de monde – sur le pont.

    Cette triste affaire – dont il faut évidemment espérer qu’elle ne tourne pas au drame – s’avère un puissant révélateur de la faiblesse de nos institutions et du manque de moyens, et d’organisation, de l’exécutif lorsque se lève la tempête. Ca n’est d’ailleurs pas par hasard si des voix de plus en plus nombreuses s’élèvent pour demander, en Suisse, une présidence sur l’ensemble d’une législature (quatre ans), doublée du Département fédéral des Affaires étrangères. Cette réforme, qui devrait sauter aux yeux depuis des années et que mille résistances internes freinent, pourrait bien s’accélérer suite à cette affaire. Une fois de plus, la Suisse ne se serait pas réformée à froid, mais en tirant la leçon d’une pression venue de l’extérieur. Peut-être, un jour, dans des circonstances analogues, hélas le pistolet sur la tempe, déciderons-nous d’aller dans l’Europe. Ce sera notre petit 1803 (les Tessinois en savent quelque chose), notre petit 1798, notre petit 1815.

    Décryptée ainsi, la question des otages se révèle moins un conflit entre la Suisse et la Libye qu’un psychodrame, amplifié par mille miroirs grossissants, de la Suisse avec elle-même. Comme à l’époque des fonds en déshérence. Pour l’heure, après avoir rasé les murs, on bombe le torse. Après avoir trop parlé, on joue les grands, les adultes qui observent le plus mystérieux des silences. Autour de quel secret ? Secret d’Etat ? Ou secret de famille ?

     

    Pascal Décaillet