Commentaire publié en une du Giornale del Popolo - Samedi 07.11.09
L’affaire des otages suisses en Libye : non seulement une question très délicate, dont dépendent deux destins humains, mais avant toute chose, l’une des plus grandes catastrophes de communication de cet étrange et disparate collège qu’on appelle le Conseil fédéral. Un président de la Confédération qui multiplie les maladresses et les ratés, chaque ministre qui donne son petit mot ou sa tentative de signal, une stratégie à laquelle personne, dans l’opinion publique, ne comprend rien. Résultat : la Suisse humiliée. Par la Libye, ou plutôt par elle-même ?
Car au fond, dans cette lamentable affaire, le principal ennemi de la Suisse est peut-être moins le colonel Kadhafi que le système ahurissant qui est le nôtre lorsqu’il s’agit d’affronter une crise. Le tout aggravé par une présidence faible, très faible, chose d’autant plus étonnante qu’elle concerne un homme de valeur, bon ministre des Finances, intelligent, ouvert sur le monde. Comme si Hans-Rudolf Merz, depuis un an, était un autre homme, arrivant moins à s’imposer. Voyage raté à Tripoli, non annoncé à ses collègues, retour sans les otages, rencontre étrange à New York, annonces, petites phrases, sous-entendus, semi-silences : une communication totalement ratée.
Du côté de la diplomatie suisse, dont les socialistes ne cessent de nous dire le plus grand bien, on peine à déceler, pour l’heure, le moindre résultat, non plus. Et puis, qui dirige le dossier ? Hans-Rudolf Merz ? Micheline Calmy-Rey ? Une cellule secrète ? Personne ? L’impression d’un vaisseau-fantôme, un gouvernement en douce dérive, un gouvernail laissé à lui-même, personne – ou trop de monde – sur le pont.
Cette triste affaire – dont il faut évidemment espérer qu’elle ne tourne pas au drame – s’avère un puissant révélateur de la faiblesse de nos institutions et du manque de moyens, et d’organisation, de l’exécutif lorsque se lève la tempête. Ca n’est d’ailleurs pas par hasard si des voix de plus en plus nombreuses s’élèvent pour demander, en Suisse, une présidence sur l’ensemble d’une législature (quatre ans), doublée du Département fédéral des Affaires étrangères. Cette réforme, qui devrait sauter aux yeux depuis des années et que mille résistances internes freinent, pourrait bien s’accélérer suite à cette affaire. Une fois de plus, la Suisse ne se serait pas réformée à froid, mais en tirant la leçon d’une pression venue de l’extérieur. Peut-être, un jour, dans des circonstances analogues, hélas le pistolet sur la tempe, déciderons-nous d’aller dans l’Europe. Ce sera notre petit 1803 (les Tessinois en savent quelque chose), notre petit 1798, notre petit 1815.
Décryptée ainsi, la question des otages se révèle moins un conflit entre la Suisse et la Libye qu’un psychodrame, amplifié par mille miroirs grossissants, de la Suisse avec elle-même. Comme à l’époque des fonds en déshérence. Pour l’heure, après avoir rasé les murs, on bombe le torse. Après avoir trop parlé, on joue les grands, les adultes qui observent le plus mystérieux des silences. Autour de quel secret ? Secret d’Etat ? Ou secret de famille ?
Pascal Décaillet