Chronique publiée dans le Nouvelliste - Vendredi 06.11.09
Lorsque l’esprit lunaire se nourrit de l’esprit lunaire, lorsque mille comètes n’en peuvent plus de s’entrechoquer dans le bleu orangé de l’infini, cela porte un nom : cela s’appelle Moritz Leuenberger. Depuis des années, dans ce journal, il m’est loisible de souligner la singularité de casting de la présence de ce Pierrot poétique au milieu de cette bande de brutes qu’on appelle le Conseil fédéral. Ils sont de terre et de glaise. Il est, lui, de la mathématique la plus éthérée de l’apesanteur, celle où se diluent les inconnues, quelque part, là-haut.
Dernière en date des trouvailles de cet éternel ministre, le plus anciennement en poste en Europe (1995) : taxer les pendulaires qui, parce qu’ils ont le très mauvais goût de se déplacer pour aller travailler, empruntent un véhicule privé, ou même les transports ferroviaires, aux heures de pointe. Autrement dit, ami lecteur, tu te lèves à l’aube pour filer gagner ta croûte, tu te tapes une journée complète de boulot, tu reviens entre 18h et 19h ; résultat, tu passes à la caisse. A l’inverse, tu restes chez toi toute la journée, à siroter un drink, no problem, Moritz te fout la paix.
Quatorze ans au Conseil fédéral, quelque chose comme 650 séances, des centaines de galerie d’art contemporain visitées à Zurich, pour en arriver là. Continuer de planer dans la vision punitive, taxatrice, du monde du travail, de ceux qui se sortent un peu les pouces pour aller nourrir leur famille, n’ont pas peur d’avaler des kilomètres, bref se bougent. Et cette dîme sur le déplacement, cette gabelle sur le mérite, à quelles fins, je vous prie ? Réponse : pouvoir construire de nouvelles infrastructures. Donc, percevoir de nouvelles taxes. Avec des puces horaires, des poux taxateurs, des hiboux fiscaux. Chouette, non ?
L’homme, certes, est brillamment complexe. Mais voilà, quelque chose comme l’ingratitude du temps qui passe s’est chargé, au fil des ans, de gommer peu à peu le brillant et d’amplifier la complexité. Un peu, beaucoup, frénétiquement, enfin bref, Moritz la lunaire est devenu, à lui tout seul, une usine à gaz. Laquelle ne produirait même plus de gaz, mais juste une taxe sur l’idée de produire du gaz. Tiens, disons de l’éther par exemple. Cette substance volatile qui égaye et qui endort. Tout doucement. Comme le passage de la lune, derrière l’orangé d’un nuage.
Pascal Décaillet