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  • Le tragique de l'Histoire



    Édito Lausanne FM – Mercredi 20.02.08 – 07.50h



    La paix dans les Balkans. George Bush a osé affirmer que l’indépendance du Kosovo allait « apporter la paix dans les Balkans ». Punkt, Schluss. Point barre. Vous pouvez passer à autre chose, penser à autre chose, changeons de sujet, rompez.

    Que sait-il des Balkans, ce président des Etats-Unis-là ? Y est-il seulement allé ? Connaît-il l’Histoire, si passionnante et si tragique, des peuples qui composent cette région du monde ? Que sait-il de la ligne de fracture de l’Empire romain, de l’Histoire de l’Empire ottoman, de celle du royaume de Serbie, des Albanais ? A-t-il lu la littérature de ces peuples ?

    Non, les dirigeants américains ne connaissent les Balkans que du ciel. Le ciel de Belgrade, qu’ils bombardaient allègrement en avril 1999, il n’y a même pas neuf ans. Ils ne connaissent pas plus la subtile complexité de cette région du monde qu’ils ne maîtrisaient celle de l’Irak, de son Histoire, de ses composantes, lorsqu’ils y ont lancé, au printemps 2003, leur aventure militaire.

    L’indépendance du Kosovo apportera-t-elle la paix dans les Balkans ? On voudrait l’espérer, bien sûr. Mais le tragique de l’Histoire est là, qui ne se laisse pas amadouer par la seule vision humanitaire, ou euro-optimiste des choses. Il nous dit, ce tragique, qu’il ne faut jamais humilier un peuple fier de son parcours et de son destin, un peuple qui a su résister, à travers les siècles, à bien des envahisseurs (dont d’autres s’accommodaient), le peuple serbe.

    Il nous dit aussi, ce tragique de l’Histoire, que la vieille Russie, alliée des Serbes, ne supportera peut-être pas éternellement de voir le monde se redécouper sans son avis, dans des zones où elle a si longtemps joué un rôle. Aujourd’hui, Belgrade, et même Moscou, n’ont peut-être pas les moyens de renverser le cours des choses. Mais demain, après-demain ?

    « La paix dans les Balkans » : quelle paix pour la minorité serbe du Kosovo, qui va passer par des moments extraordinairement difficiles ? Quelle paix, là où un précédent fâcheux est lancé, comme un défi, à la face d’autres peuples qui pourraient se sentir titillés, eux aussi, par l’indépendance ? Quelle paix, alors que rien n’est réglé ?

    Et on nous dit que l’Union européenne, telle une madone en apparition, va tout régler ? A-t-elle jamais rien réglé dans les Balkans, l’Europe ? Sa diplomatie a-t-elle eu, dans les guerres des années nonante, la moindre efficacité ? Hier encore, Bruxelles laissait à ses membres la liberté de choix pour reconnaître ou non l’indépendance du Kosovo. Dès que le tragique de l’Histoire réapparaît, la diplomatie européenne montre sa vraie nature : une fiction administrative, rien de plus. Un paravent. Un rideau de fumée. Parce que la réalité de l’Europe d’aujourd’hui, c’est encore celle des nations. C’est peut-être déplaisant à dire, mais c’est ainsi.

  • L'Europe n'existe pas



    Édito Lausanne FM – Mardi 19.02.08 – 07.50h



    Liberté de choix ! Les bras peuvent nous en tomber, mais c’est ainsi : l’Union européenne laisse à l’ensemble de ses pays membres la liberté de choix pour reconnaître ou non l’indépendance du Kosovo. Il appartiendra, dit Bruxelles, à chacun de se prononcer en fonction de ses règles juridiques.

    En langage diplomatique, cela s’appelle « liberté de choix ». En cuisine politique, cela s’appelle une soupe épaisse. Car enfin, que se passe-t-il ? Confrontée à un phénomène majeur, peut-être historique, vu par certains comme une violation du droit international, par d’autres comme l’émergence salutaire d’une liberté collective, l’organisation qui prétend fédérer les peuples d’Europe n’est absolument pas capable de parler d’une voix claire. Alors, elle décrète la « liberté de choix ». Bref, dès que vient poindre un peu l’odeur de la poudre, la « diplomatie européenne » montre avec éclat qu’elle n’existe pas, qu’elle n’est rien d’autre qu’une fiction administrative. Elle ne représente aucun peuple, ne peut s’appuyer sur aucune légitimité. La réalité de 2008, c’est encore l’Europe des nations.

    Dans l’affaire du Kosovo, la pluie des réactions, dans la journée d’hier, est une pluie du passé, une pluie de 1914 ou presque (juste la France a changé), une résurgence des vieilles frontalités du continent européen. L’Allemagne, qui n’a cessé, dès juin 1991 et même avant, de tout entreprendre pour démembrer l’ancienne Yougoslavie et reposer ses pions sur ses zones d’influence, s’est précipitée à reconnaître le Kosovo. Comme elle l’avait fait pour la Croatie et la Slovénie. La Grande-Bretagne et les Etats-Unis aussi, ces bons vieux piliers d’une Otan qui bombardait Belgrade il n’y a même pas neuf ans.

    L’Espagne, par peur du précédent basque et pour cela seulement, s’y oppose. Avec elle, pour de tout autres raisons, les vieux alliés de la Serbie : La Russie, la Bulgarie, la Grèce, la Roumanie (qui craint pour ses minorités magyares), et Chypre. Ça n’est pas l’Europe de 2008 qui s’est dessinée hier dans les réactions des chancelleries : c’est celle d’août 1914.

    A une exception notable : celle de la France. Qui avait encore, sous Jacques Chirac, une politique étrangère. Et qui, aujourd’hui, n’a rien d’autre que la politique étrangère des Etats-Unis d’Amérique. Ou de l’Allemagne. Le vrai point faible de Nicolas Sarkozy, ça n’est pas ses affres sentimentales. Non. C’est la disparition, sur la scène mondiale, de quelque chose de grand, de non-aligné, qu’avait incarné le général de Gaulle. Mais aussi, autrement, avec d’autres intonations, François Mitterrand. Mais encore, avec une vraie cohérence diplomatique, Jacques Chirac. Cela était plutôt beau. Cela sonnait juste et bien. Cela dissonait parfois avec grandeur. Cela s’appelait la voix de la France.

  • Indépendance sous perfusion



    Édito Lausanne FM – Lundi 18.02.08 – 07.50h



    Les aigles noires sur fond rouge, les klaxons, les cris de joie, un peu partout en Europe. Et, derrière cette liesse ma foi bien respectable, beaucoup de questions.

    Question 1 : suffit-il de se déclarer indépendant pour être, véritablement, indépendant ? La réponse est évidemment non. Pour être indépendant, il faut en avoir la force, la volonté sacrificielle, la puissance de combat à hauteur de son ambition. Il faut disposer de ses propres moyens de sécurité, et non fournis sous perfusion par un géant protecteur. Les Etats-Unis d’Amérique, par exemple.

    Question 2 : y a-t-il un immense mérite à proclamer son indépendance d’un pays, la Serbie, mis à genoux économiquement, politiquement, militairement par les mêmes Etats-Unis d’Amérique, après la campagne de bombardements du printemps 1999 ? Un pays au ban de l’Europe, qui ne veut en connaître ni la philosophie, ni l’Histoire. Un pays qui n’a, aujourd’hui, tout simplement, pas les moyens (hormis les actes isolés, qui malheureusement ne manqueront pas, de desperados) de s’opposer à cette indépendance. Aujourd’hui, mais demain ? Il ne faut jamais, dans l’Histoire, tenir pour morte une fierté nationale humiliée.

    Question 3 : aujourd’hui, le Kosovo, et demain ? Le pays basque ? La Bretagne ? L’Ecosse ? En quoi les volontés sécessionnistes de régions britanniques, françaises, espagnoles seraient-elles identitairement moins respectables que celles des Albanais du Kosovo ? Réponse : elles le sont tout autant, mais les indépendantistes de ces régions-là ont, face à eux, des nations autrement plus puissantes, plus crédibles, pour garantir leur intégrité, que la fragile Serbie d’aujourd’hui. L’Espagne, sentant venir le précédent, s’oppose d’ailleurs déjà à la proclamation d’hier.

    Question 4 : le Kosovo sera-t-il vraiment indépendant, ou ne sera-t-il, de facto, qu’un protectorat de l’Union européenne, des Etats-Unis d’Amérique, ou de la communauté internationale, dans la rude complexité des Balkans ? À cette question, nul, aujourd’hui, n’a de réponse. Il appartiendra aux Kosovars eux-mêmes de forger leur Histoire. Cela, souvent, passe par le sacrifice davantage que par les mots. Les Israéliens, qui ont proclamé leur indépendance en 1948 et aussitôt soutenu une guerre, en savent quelque chose. Une indépendance sous perfusion d’une grande puissance, ça n’est pas l’indépendance, c’est dépendre dudit puissant.

    Ces quatre questions, toutes les chancelleries d’Europe se les posent. Et c’est pour cela qu’elles ne se précipitent pas, ce matin, à reconnaître le Kosovo indépendant. Sans compter qu’il existe une puissance mondiale qui s’y oppose, la Russie. Ce qui, à terme, n’est pas, non plus, le dernier argument à placer dans la balance. Autre fierté nationale meurtrie, quoiqu’en phase de réveil. A ne sous-estimer en aucun cas.