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  • L'hermine et l'usurpation

     

     

    Chronique éditoriale parue dans le Nouvelliste du jeudi 22.11.07

     

    La mise en examen, hier, de Jacques Chirac, dans l’affaire des emplois fictifs à la Mairie de Paris, va faire saliver d’une jouissance aussi blanchâtre que salée toute une moutonnière cohorte de confrères, qui n’en pouvaient plus d’attendre ce messianique moment, en ovine prostration, depuis tant d’années.

     

    Je les entends déjà bêler d’extase. Je lis déjà leurs commentaires, l’apologie de la pureté des juges contre la prétendue putréfaction du politique. Enfin, leur salive, si longtemps contenue, ils vont pouvoir l’expectorer contre cet homme qu’ils ont toujours détesté, n’ont jamais cherché à comprendre. Au point d’avoir pris, en 1995, à 90%, le parti de Lionel Jospin contre lui, ce qui ne fut pas exactement le choix souverain du peuple français. Au point d’avoir récidivé, dans de semblables proportions, en 2002, où Jospin ne fut même pas capable de se qualifier pour le deuxième tour.

     

    Je suis la carrière politique de Jacques Chirac depuis 33 ans. Dans mes positions éditoriales, je l’ai souvent soutenu, me sentant parfois, je l’avoue, un peu seul. Une présidence loin d’être parfaite, certes, et même passive sur les dernières années. Mais quelques très bons points : la politique étrangère, la position sur la guerre en Irak, la lutte contre les extrêmes, le discours du Vel d’Hiv. Consulter le suffrage universel sur le Traité européen ? C’était tout à l’honneur de la tradition référendaire de la Cinquième République. Voilà donc un Président qui, sans avoir l’éclat de Charles de Gaulle ni l’extrême habileté de François Mitterrand, n’en a pas moins servi son pays, du mieux qu’il a pu, pendant douze ans. Il n’est pas encore prouvé que son successeur, l’actuel atlantiste commis-voyageur de l’Elysée, sur la longueur, fasse aussi bien.

     

    Un bilan politique honnête, j’en conviens, n’exonère pas de rendre des comptes à la justice. Mais quelle justice ? Et quels juges ? Et pour quelles affaires exactes, dûment et patiemment tramées, alimentées, pendant des années, par l’opposition ? Peut-on totalement exclure que certains juges, dans cette affaire, soient saisis du syndrome du shérif? Ou alors, éblouis par l’incroyable notoriété que donnerait à l’éclat de leur hermine la saisie d’une telle proie ? La sacro-sainte neutralité du corps judiciaire, sommes-nous certains d’en avoir la garantie, dans cette affaire qui suinte tellement la revanche des uns, la pulsion de Watergate chez les autres. Tout cela, au risque de froisser la laineuse unanimité des moutons, il fallait peut-être le dire une fois.

     

    Pascal Décaillet

  • Chez ces gens-là, Monsieur...

     


    Édito Lausanne FM – Jeudi 22.11.07 – 07.50h



    Un chef de l’armée qui se fourvoie dans une étrange affaire de livre promotionnel, un chef des Forces terrestres relevé abruptement de ses fonctions, une armée dont plus grand monde ne sait exactement à quoi elle sert, un ministre de la Défense régulièrement vilipendé, en public, et avec force goguenardise, par les membres de son propre parti, il y a malaise au sein de la Grande Muette. A trois semaines de la réélection du Conseil fédéral, tout cela procède-t-il du hasard ?

    Tout cela, en tout cas, projette sur la scène un homme qui aurait plutôt rêvé de passer les trois prochaines semaines, jusqu’au 12 décembre, sur la pointe des pieds, dans l’obscurité des coulisses, derrière le rideau. Histoire de se faire réélire entre les gouttes, en comptant sur le jeu des automatismes, de la tradition, de ce qu’il reste de respect entre partis gouvernementaux, entre deux exécutions.

    Samuel Schmid est un homme de valeur. Un homme droit, compétent, un UDC de la vieille tradition agrarienne, celle du Seeland bernois en l’occurrence, n’ayant rien à voir avec la tendance de Christoph Blocher. Un UDC style Minger, le mythique fondateur du parti, il y aura bientôt 90 ans, ou encore style Ogi. Le problème, c’est qu’il est devenu un Mohican. Le dernier de tous. La victoire de Blocher, au sein du parti, est à ce point totale, que la bonne vieille tradition bernoise, ou vaudoise PAI, n’y représente plus rien.

    Dans ces conditions, si l’élection du 12 décembre obéissait à une logique, il ne faudrait pas réélire Samuel Schmid. Il faudrait, en conformité avec le vote du peuple, deux UDC tendance Blocher. Ou alors, il faudrait que Samuel Schmid quitte son parti, et accepte l’exil politique des radicaux ou du PDC. Mais il ne le fera jamais. Il l’aime trop, ce parti de Minger, authentiquement centriste aux origines, là où ce mot, maintenant, jusque dans l’étiquette, apparaît aussi déplacé que ridicule.

    La question du maintien de Samuel Schmid au Conseil fédéral se pose donc, bel et bien. Les 246 grands électeurs du 12 décembre oseront-ils bousculer les choses ? Rien n’est moins sûr. Pour avoir commenté en direct, sur place, dans les Pas perdus, tant d’élections du Conseil fédéral, ce mode de scrutin indirect plus proche des usages du Saint-Empire que d’une démocratie moderne, je puis témoigner d’une chose : c’est un exercice d’équilibrisme où tu dois ménager l’un pour que l’autre te ménage, où l’ordre de passage est capital, où le sérail assure ses prébendes pour quatre ans.

    Ce mode désuet, plutôt révélateur des petites bassesses du Parlement, et ses combinazione, pourrait bien, une fois de plus, assurer la réélection de Samuel Schmid. C’est que, chez ces gens-là, Monsieur, comme dans l’armée suisse, ce qu’on affectionne par-dessus tout, ce sont les petits enjeux, et les petites querelles, de la petite guerre.


  • Arturo Benedetto Giovanni Giuseppe Pietro Archangelo Alfredo Cartoffoli dé Milano



    Edito Lausanne FM – Mercredi 21.11.07 – 07.50h



    On peut être un fou du volant et, en même temps, un excellent conseiller aux Etats. C’est ce qu’a décidé, dimanche, le peuple tessinois, en reconduisant, pour quatre ans, à la Chambre des cantons, le Fangio de la politique suisse, le démocrate-chrétien Filippo Lombardi. Lequel devance largement son rival socialiste, l’oncologue Franco Cavalli.

    Ce vote tessinois est une leçon politique, et mérite qu’on s’y arrête. Il nous rappelle qu’en démocratie, le seul souverain, c’est le peuple. Non pas l’opinion (doxa), non pas le peuple en ébullition qui manifeste (plêthos), mais bel et bien démos, le corps électoral qui, un beau dimanche, se rend aux urnes.

    Filippo Lombardi, excellent conseiller aux Etats, se trouve avoir eu quelques problèmes au volant. Aux yeux du Code de la Route, c’est même un récidiviste notoire, boulimique de vitesse, assez proche de cet Alfredo, de Milano, au nom interminable, avec ses gants de cuir, qui prend Tintin dans sa voiture, dans l’Affaire Tournesol. Pour ces infractions, Lombardi a payé (il a rendu son permis) et va peut-être payer encore, avec effet retard.

    La faille, évidemment, était trop belle, l’odeur du sang trop attirante pour que les requins, tout alentour, ennemis politiques ou presse people, se gênent. Au point qu’on n’a plus parlé de Lombardi, dans certains journaux, que comme prince des chauffards et roi du macadam. Et de preux moralistes, parmi mes confrères, ont saisi leur blanche plume, candide comme l’innocence d’une colombe sur la chaussée, pour demander la tête de l’ignoble avaleur de kilomètres.

    Seulement voilà. Lombardi a tenu bon. Il a reconnu ses fautes sur la route, il a continué de représenter son canton sous la Coupole, dont il est un élément de grande qualité. Et il est allé, lentement, professionnellement, vers le seul juge qui vaille, le suffrage universel. Et dimanche, le peuple tessinois, parfaitement au courant de l’affaire, a décidé souverainement qu’il voulait Lombardi, pour quatre année supplémentaires, à la Chambre haute du Parlement.

    Le peuple, oui, pas les juges. Le peuple, pas les ragots, ni cette hyène errante qu’on appelle l’opinion, ou la rumeur. Le peuple souverain, pas les corps intermédiaires. C’est lui, en toute chose, qui tranche. Non qu’il exonère Lombardi de ses péchés routiers. Mais il considère que la politique et la morale, la politique et le volant, la politique et la vitesse, ce sont des choses différentes. Le grand Machiavel, qui ne connaissait au mieux que le galop du cheval, n’aurait pas dit mieux.