Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

- Page 2

  • Premier automne, premiers nuages



    Édito Lausanne FM – Mercredi 28.11.07 – 07.50h



    D’abord, il y a eu le soleil. Le Roi Soleil. Il est arrivé ce printemps, on n’a plus vu que lui. Tout, alentour, n’était qu’ombre, obscurité, oubli, relégation. Il avait mené campagne pour l’Elysée, l’avait génialement remportée, avait semé ses adversaires comme Federico Bahamontes, l’Aigle de Tolède, ce grimpeur ailé à la triste figure, laissait gésir ses concurrents, épuisés de terrestre pesanteur, loin derrière, dans le mirage des cols alpins ou pyrénéens.

    Oui, Nicolas Sarkozy, ce printemps, s’était senti pousser des ailes. Et, comme dans les grandes batailles, les mythiques, comme à Austerlitz, chaque geste de victoire en enfantait un autre. Et l’armée ennemie qui s’effondrait, et le génie de l’élu pour semer, en face, discorde et trahison. Tant de petits marquis, Kouchner en tête, prêts à la défection, pour une médaille, un titre, le parfum d’un maroquin. Les socialistes ? Sarkozy n’avait plus besoin de les tuer : il se contentait de les engager, à son service. Oui, nulle nécessité de meurtre sur ceux qui ont déjà, entre eux, dans une sorte de grand transfert collectif, mis fin à leurs jours. Sarkozy est un tueur ; mais pas question d’attenter à la paix des morts.

    Et puis, vint l’automne. Et le soleil commença à se voiler. Entre reine et favorites, il y eut comme un mouvement. Mais la disgrâce, comme dans les plus riches heures de Versailles, qui frappe-t-elle le plus durement, qui rend-elle, au fond, le plus malheureux ? Le roi ou la favorite, la légitime exilée, celui qui reste, celle qui s’en va ? Et puis, il y eut ces grèves, et le Soleil, dans son silence, sut reconquérir quelques parcelles de majesté.

    Dans l’immense galerie des Rois, il n’y eut pas que le Soleil. Il y eut, par exemple, son arrière-petit-fils. Quant on commence trop bien un règne, à la Giscard, Il faut, toujours, penser à Louis XV, ce très grand roi en dépit de la noire et tenace légende qui ne veut voir en lui qu’un coureur de jupons. Louis XV, oui, longtemps le Bien Aimé, mais qu’au soir de sa mort, en 1774, on dut conduire clandestinement en sa dernière demeure de Saint-Denis, tant le peuple qui l’avait adulé, s’était mis à le rejeter.

    Et puis, reviennent des mots, soudain, que la grande illusion de ce printemps avait réussi à nous faire oublier : le mot « banlieues », par exemple. Non, Sire, face la réalité des choses, nul souverain n’est épargné. Diable, murmure la plèbe, celle-là même qui t’a fait roi : le vernis de ce printemps commencerait-il – déjà – à fondre ? Oh, il vous reste encore de beaux jours, Monsieur le Président. Il est bien prématuré, bien mal placé d’évoquer déjà le temps de la disgrâce. Mais souvenez-vous, simplement, de Louis XV : le Bien Aimé, le Tout Aimé, et son dernier voyage vers son dernier caveau, la nuit, à la sauvette, vers Saint-Denis.

  • Education citoyenne



    Édito Lausanne FM – Mardi 27.11.07 – 07.50h


    Hier, à Genève, la rencontre de plusieurs classes – primaire, Cycle d’Orientation, Collège - avec la Présidente de la Confédération a été un beau moment. Avec leurs profs, ils avaient préparé de bonnes et vives questions sur le vivre ensemble, ce qui nous lie, ce qui nous unit, ce qui doit nous régir. Des questions sur la Cité, son organisation. Micheline Calmy-Rey, avec élégance et simplicité, a joué le jeu.

    L’une de ces questions, posée par une élève de 4e Maturité du Collège Calvin : ne faudrait-il pas faire beaucoup plus d’éducation citoyenne ? Le moins qu’on puisse dire, c’est que l’angle et le sujet de cette collégienne étaient pertinents. La citoyenneté, ça se forme, ça se façonne, ça s’aiguise comme des papilles. Par un ensemble de connaissances (oui, pardonnez-moi, des connaissances, tout court), mais aussi par une initiation aux démarches et aux actes citoyens : l’initiative, la prise de parole pour convaincre, le débat, le vote, le respect de la majorité.

    Les connaissances. Aucune communauté humaine ne peut transmettre ses valeurs sans faire connaître ses institutions à ses enfants. Pas les sacraliser. Non. Simplement les définir, montrer de quelles profondeurs historiques elles surgissent, comment elles ont émergé, à la suite de quelles crises, de quels conflits. À cet effet, l’éducation citoyenne ne peut en aucune manière se dissocier du cours d’Histoire. À quoi bon parler du Conseil national, du Conseil des Etats, du Conseil fédéral sans remonter aux origines de l’idée républicaine : les Lumières, la Révolution française, les événements de 1848, liés au Sonderbund, etc.

    Ce qui n’allait pas, dans une certaine instruction civique de papa, c’est qu’on balançait des structures un peu sèches, sans les enrichir de leurs causes diachroniques. Vous voudriez parler de la Cinquième République sans jamais prononcer le nom de Charles de Gaulle, de la laïcité sans évoquer la grande crise ayant amené, en France, à 1905, des contrats collectifs en Allemagne sans rappeler le rôle du Zentrum sous Bismarck ?

    Et puis, l’autre aspect beaucoup plus ludique et excitant, c’est l’énergie citoyenne. Faire débattre les élèves. Débattre, pas s’ébattre ! Parler en public, argumenter, affronter l’adversaire, le respecter, passer au vote, savoir s’incliner si on perd. Quand j’en ai parlé à des amis profs, ils m’ont fait cette réponse énorme : « On n’ose pas ; on risquerait de se faire accuser d’amener la politique à l’école ». Hallucinant ! Ce qui est interdit, c’est la propagande politique, pas l’initiation à ce qui vous entoure et vous régit. Aussi absurde que confondre laïcité et silence radio total sur le phénomène religieux à travers les âges.

    Le plus fou, c’est que les profs désireux de faire vivre cette démarche existent. Ils sont habités par la passion de l’éveil et de la transmission. Le moins qu’on puisse attendre de l’autorité scolaire, c’est de les encourager. Valoriser leur action. Faire de l’école un lieu qui, sans s’impliquer directement dans le débat citoyen, soit suffisamment en éveil pour l’observer, le comprendre, le commenter, le mimer, le jouer, l’exercer. Rester sanctuaire, mais avec une petite tourelle, bien placée, pour observer le monde réel.

  • Un bilan présidentiel



    Édito Lausanne FM – Lundi 26.11.07 – 07.50h



    À quelques semaines de passer la main – cela devrait être à Pascal Couchepin – Micheline Calmy-Rey laisse derrière elle un bon bilan présidentiel. Cette fonction, plus proche des chrysanthèmes que du suprême, elle l’aura su l’assumer avec classe et dignité.

    Dans ce système étrange, unique au monde, où le chef d’Etat n’en est pas vraiment un et change tous les ans, le titulaire de la charge dispose de très peu de temps pour insuffler un style. Quelques signes, bien placés. Quelques petites phrases. Une ou deux initiatives. Surtout, ne pas trop en faire. Surtout, ne pas élever la voix de façon trop prétorienne. Surtout pas d’éclat tribunitien.

    Non que les Suisses n’aiment pas les éclats rhétoriques : ils commencent même sérieusement à y prendre goût. Mais pas dans cette fonction-là. Le président, la présidente doit serrer dans l’intime de son être une part du charme secret de notre pays : le respect, la pluralité, tous ces petits miracles d’équilibre, infiniment fragiles en vérité, qui ont permis à la Suisse d’émerger, d’exister.

    Cela, Micheline Calmy-Rey l’a compris. Avec son style à elle, qui n’est ni celui de Kurt Furgler, ni celui de Jean-Pascal Delamuraz, pour prendre les tout grands. Ainsi, dans la campagne électorale, la Présidente n’a cessé de rappeler les deux ou trois valeurs fondatrices de la Suisse. Elle tenait un discours partisan, anti-Blocher ? Peut-être. Mais elle disait en même temps les choses justes et fortes qu’on attendait de sa fonction. Pas la personne, la fonction.

    Bien sûr, il y a eu l’épisode du Grütli, qui était donner beaucoup d’importance à une prairie – pardonnez-moi – qui n’en a guère. La vraie Suisse est née en 1848, peut-être en 1798, peut-être même aux Traités de Westphalie de 1648, mais 1291 ne concerne qu’un infime noyau du pays. Mais il y a eu aussi, dans chaque moment difficile, discorde évidente du Collège ou autres montées de fièvre, une tonalité dans la voix pour garder la distance et calmer les choses. Là aussi, c’est exactement ce que les Suisses attendent de cette fonction.

    Reste que cette fonction, dans son exagérée modestie, est à revoir. Un Président pour deux ans, voire pour toute la législature. Elu par le peuple, et non par la combinazione du suffrage indirect. Une personnalité de valeur, de référence, évidemment rassembleuse. Une tonalité. Une voix pour le pays et pour le monde. En quoi la secrète fragilité de notre pays, qui n’exclut ni le courage ni la lumière, serait-elle entravée par ce surcroît de visibilité ?