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  • Une initiative stupide et scélérate


    Edito Lausanne FM – Mercredi 31.10.07 – 07.50h

    Interdire les minarets. C’est une initiative qui circule, ces temps, dans toute la Suisse, en récolte de signatures. Elle émane d’un « comité extérieur à l’UDC ». Il paraît qu’elle peine un peu. Que nombre de caciques UDC s’en méfient, soit par amour des minarets, soit - plus probablement – par peur de l’échec.

    Une initiative est un droit populaire. On peut tout imaginer, au fond : interdire les minarets, les églises, les temples, peindre en rose toutes les voitures du pays, arracher les autoroutes, détruire les barrages, inonder la vallée centrale du Valais, interdire les coiffeurs, les sondages. Il ne s’agit donc pas d’en contester le droit.

    Cette initiative, oui, a le droit d’exister. Et moi, comme citoyen, celui de dire que nous sommes face à l’un des projets les plus scélérats et les plus stupides lancés, depuis longtemps, sur la place publique.

    Premier constat : je me promène pas mal en Suisse, comme beaucoup d’entre nous, et je n’ai pas franchement l’impression d’être écrasé de minarets. J’aurais même, franchement, une certaine peine à situer le dernier que j’aie vu sur notre territoire national. Et j’habite en milieu urbain, dans une ville ouverte aux vents du monde. Dire que cette initiative relève du fantasme total est donc un euphémisme. Il n’y a quasiment pas de minaret en Suisse. Vouloir les interdire, c’est un peu aspirer à prohiber la marine maritime à l’intérieur de nos frontières. Ça, c’est le côté stupide.

    Et puis, il y a le côté scélérat. Nous avons, en Suisse, des Musulmans. Comme nous avons des Chrétiens, des Juifs, des athées, des agnostiques. L’immense majorité de ces Musulmans sont parfaitement intégrés à notre communauté nationale. Dire le contraire, c’est mentir. Nombre d’entre eux, d’ailleurs, sont des Musulmans laïques, qui ne sont pas plus piliers de mosquées que la majorité de nos Chrétiens ne sont grenouilles de bénitiers. Quant à ceux qui veulent pratiquer leur religion, l’une des trois grandes du Livre, vieille de près de quinze siècles, ils doivent bénéficier exactement du même traitement que les Catholiques, les Protestants, les Juifs. La liberté de culte est l’un des fondements de la démocratie. Inaltérable.

    En contrepartie, ils doivent, comme toutes les autres religions, respecter nos lois. En quoi l’existence, dans quelques endroits du pays, d’un minaret signalant un lieu de culte, comme il y a des clochers, porterait-elle atteinte au vivre ensemble, en Suisse ? En quoi, si ce n’est dans le fantasme créé artificiellement par quelques incultes confondant islamisme et Islam, cherchant à ériger, au sein de notre communauté républicaine, des barrières entre les humains, là où tout l’art de la politique, de gauche ou de droite, doit être de rassembler.

    Cette initiative est stupide et elle est scélérate. La signer, et surtout l’accepter, un beau dimanche, en cas de votation populaire, serait nier les fondements de la Suisse elle-même. Pays de respect et de pluralité. Pays à plusieurs voix, plusieurs intonations, plusieurs inflexions spirituelles. L’un des pays du monde où nous réussissons le mieux, malgré nos différences, à vivre ensemble. De grâce, ne cassons pas cela.



  • Le réchauffement des esprits


    Édito Lausanne FM – Mardi 30.10.07 – 07.50h

    Un Suisse sur dix. Voilà ce que représente le parti des Verts, selon le seul verdict qui vaille, celui du peuple, il y a neuf jours. C’est un parti qui progresse, c’est vrai. Mais c’est un parti, comme un certain autre, qui a fondé sa campagne sur une peur, celle du réchauffement climatique. Que cette peur soit justifiée ou passablement amplifiée pour les besoins de la cause, est une autre affaire. Il a fondé sa campagne sur une peur, c’est un fait.

    Oh, je sais, ce que je dis là n’est pas très populaire dans l’esprit du temps. Aujourd’hui, dans les salons, dans les bistrots branchés, dans toute cette urbanité douce qui voudrait s’arracher aux pesanteurs de l’Histoire, on ne jure que par les Verts. On a même vu des politiciens de droite, PDC et parfois radicaux, succomber au Rayon vert jusqu’à rêver d’alliances nouvelles.

    À Genève, il y a quelques mois, on nous faisait miroiter le couple Maudet-Hodgers comme la quintessence d’une post-modernité politique arrachée au tellurisme de la division gauche-droite. Plus récemment encore, le conseiller national PDC Luc Barthassat, ayant sans doute avalé sa calculette, parlait ouvertement de majorités parlementaires du centre-droit avec les Verts, se fermant les yeux pour ne surtout jamais, lui le démocrate-chrétien pur, voter avec le Diable.

    Face à tous ces mirages, une réalité. Il se trouve que, malgré tous les matraquages de la campagne, les appels à l’Apocalypse, le thème du réchauffement ayant, au final, plus opéré sur nos oreilles que sur la planète, neuf Suisses sur dix ne votent tout de même pas pour les Verts. Dans ces conditions, et dans tous les cas de figure de composition du Conseil fédéral (logique  arithmétique ou logique d’alliance), la prétention des Verts à un siège au Conseil fédéral ne tient, pour l’heure, pas la route. Et les propos, que je viens d’entendre, de Daniel Brélaz, véritable icône inattaquable, Arche sainte du vertement correct, Major Davel du salut terrestre, n’excluant pas d’attaquer les radicaux, donc peut-être le siège de Pascal Couchepin, dévoilent le vrai visage des Verts.

    Quant aux hommes et femmes du centre-droit qui seraient titillés, comme par un démon de midi, par l’idée d’une alliance avec les Verts, je leur propose d’aller voir tous les votes des élus écologistes, au Conseil national et dans les Parlements cantonaux, ces dernières années. Ils y découvriront une chose : sous des allures, bien fallacieuses en vérité, de post-modernité branchée, les Verts votent toujours avec la gauche. Parfois même, oui, avec l’extrême-gauche.

    Seulement voilà, les Verts, on les sanctifie. On les idéalise. Ils seraient, pour je ne sais quelle raison, différents des autres. C’est une perception bien candide de l’Histoire et des hommes. Elle amène, constamment, à exonérer de toute critique certains élus comme Daniel Brélaz ou Robert Cramer. Comme si ces hommes étaient dépourvus de la moindre ambition personnelle, de la moindre arrière-pensée tactique. Parce qu’ils sont Verts, sympathiques, bonhommes, souriants, cordiaux.

    Voilà. Désolé si j’ai un peu glacé l’atmosphère, ce matin. C’est sans doute ma manière à moi de lutter contre le réchauffement. Celui des esprits, bien sûr.

  • Fado


    Édito Lausanne FM – Lundi 29.10.07 – 07.50h

    Il y a d’abord la dame blonde, aux formes impériales, dans la soudaine pénombre de la taverne. Pour les tours de chant, on n’éteint pas exactement : on tamise. La dame blonde, deux guitaristes, ce chant surgi des entrailles, de profundis, « ni gai, ni triste », avait dit un jour le poète. Ce chant qui, comme chez Brel, Piaf ou Barbara, ou Fréhel, toujours raconte une histoire. La salle est basse, la voix ronde, puissante. Elle s’en va caresser les voûtes de pierre. Le fado, c’est un chant sorti d’une taverne.

    Et comme la porte est laissée ouverte, on peut sans doute jauger la qualité des chanteuses, des chanteurs, au nombre de passants, dans la ruelle obscure, qui s’agglutinent, en auditeurs clandestins, juste devant l’entrée. Dame blonde, dame brune, histoire triste ou presque gaie, terrestre ou océane, coloniales effluves, haillons de solitude, ce goût salé de solitude ou d’abandon. Sans comprendre la langue, il y a quelque chose, oui, que l’on saisit d’un coup. D’instinct. Et qui vous emporte.

    Il y a aussi le portier, le rabatteur, celui grâce, ou à cause de qui vous vous trouvez là. Lui, soudain, sur scène. Enfin, pas de scène, juste un coin pour se tenir debout, au milieu du public. Et le portier, d’une voix superbe, câline et violente, l’espace de trois chansons, vous emmène dans son univers.

    Et puis soudain, la cuisinière, costume de soubrette à la Feydeau, la voix un peu moins puissante, mais le rythme, la scansion, l’histoire que l’on égrène, syllabe après syllabe, cette noblesse du dire et du bien-dire. Et aussi, des artistes de passage. On les imagine tournant, comme dans le Saint-Germain-des-Prés des années 50, d’une taverne l’autre. Comme Brel à ses débuts, ou Brassens, ou Devos.

    Et puis, il y a la fille. Ne partez pas tout de suite, nous avait-on dit. Attendez juste de voir la jeune fille qui arrive. Seize, dix-sept, dix-huit ans, à tout casser. Robe noire. Et cette voix qui s’envole, à faire pleurer la salle. Nul pathos, pourtant : juste le bide qui chante. Une histoire lointaine, d’amour, de solitude, d’océan. Elle se tient immobile dans la taverne noire. Elle fixe le mur de vieilles pierres. Et le chant qui surgit, et cette voix sublime au milieu des passants. « Ni gai, ni triste », avait dit le poète. Mais quelque chose d’incroyablement fort, comme une histoire qu’on raconte, et qu’on raconte encore, comme une cicatrice de vie qu’on rouvrirait à chaque fois, comme une souffrance et comme une joie.

    Maritime, coloniale, iodée comme le passé qui revient, et qui revient encore. Salée, comme la force de vivre, et parfois aussi – mais on ne sait pas – l’envie d’en finir.