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Sur le Mur, 16 juillet 1972

 

Sur le vif - Dimanche 31.05.20 - 13.20h

 

Sperrgürtel der DDR. Extrait (ci-dessous) de mon Journal. J'ai écrit des centaines de pages, comme celle-ci, textes, dessins, croquis, photos, sur plusieurs années. C'était pulsionnel, il fallait que je tienne mon journal, j'adorais ça.

Là, nous sommes le dimanche 16 juillet 1972. Je vivais tout au Nord de l'Allemagne, chez un ancien combattant de la Guerre à l'Est, à deux pas de la frontière historique entre la Prusse et la Saxe. Nous avons fait des milliers de kilomètres, lui et moi, dans sa Coccinelle vert bouteille. Tous les soirs, nous regardions le téléjournal de la DDR. Nombreuses visites sur le Mur de Fer, qui me fascinait.

On était en pleine Guerre froide, mais instinctivement, je refusais les clefs de lecture de cette dernière. Je ne considérais ce Mur, cette ligne de fracture entre les Allemagnes, que comme un prix à payer, provisoire, pour la défaite d'étape du 8 mai 1945. Le Mur ne m'intéressait pas du tout comme séparation entre l'Est et l'Ouest, encore moins comme césure entre les Bons et les Méchants (je n'étais absolument pas anticommuniste). Mais comme une cicatrice interne au destin allemand. Une Mer Rouge réinstallée, en attendant la Réconciliation (Versöhnung). Quelque chose de biblique, puissant, comme dans la traduction de Luther.

A noter que la Ligne de démarcation avait sacrément bien été tracée (sans doute par un Renseignement britannique, juste avant Yalta, qui savait lire des livres d'Histoire) : la frontière sur laquelle je me trouvais était non seulement celle entre Niedersachsen et Mecklenburg-Vorpommern, mais c'était la vieille frontière, si importante dans la Guerre de Sept Ans (1756-1763), entre la Prusse et la Saxe. Là oui, beaucoup plus qu'entre capitalistes et communistes, deux univers. Deux rapports à la langue allemande, aux mythes fondateurs médiévaux, à l'écriture, à la tradition musicale, à la Réforme.

Je refusais les clefs de la Guerre froide. Pour autant, je n'aurais jamais imaginé, ce 16 juillet 1972, qu'une Réunification fût possible, 17 ans plus tard. Le Chancelier, à l'Ouest, s'appelait Willy Brandt. C'était un homme d'exception, que je place au plus haut rang de mon admiration. Nous étions dix-neuf mois après la génuflexion de Varsovie. Partout, autour de moi, surtout dans les cercles très particuliers que je fréquentais, on parlait d'Ostpolitik. Mais imaginer une Allemagne réunifiée, avant des siècles, c'était intellectuellement impossible.

Déjà, le destin allemand me troublait, m'habitait, me concernait. Au plus profond. Pour des raisons que je discerne. Et aussi, pour d'autres. Un être humain, c'est une part de lumière, et des fragment plus enfouis. L'un et l'autre nous constituent.

 

Pascal Décaillet

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