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Philippe et les empoisonneuses

 

Sur le vif - Lundi 16.02.15 - 12.07h

 

C’est un peu comme si, en pleine guerre mondiale, disons fin 43, ou début 44, on avait appris qu’un général américain passait, avec armes et bagages, dans le camp… britannique ! Transfuge au sein des Alliés. Nulle discordance idéologique. Non. Juste une affaire personnelle. Tel est Philippe Morel, viscéralement  chirurgien, ailé comme la Victoire, Philippe aux mille tours, odysséen, madré d’intelligence, chez qui la vie serait si belle, s’il n’y avait la sombre armada des prétendants et des empoisonneuses.

 

J’emploie « empoisonneuses » au féminin pluriel, non par misogynie (enfin si, un peu), mais parce que dans le roman bourgeois du dix-neuvième et du vingtième siècle, ce sont les femmes qui usent de fioles. Mon féminin, ici, est d’autant plus injuste que les apothicaires du Mal, dans l’affaire Morel, sont (presque) tous des hommes. Membres de son parti. Même nichée. Même Nœud de Vipères. L’affaire du bon docteur, c’est l’univers de Mauriac. A l’état pur.

 

Genève, pourtant, n’est pas Bordeaux. Elle n’est pas cette cité girondine que nous décrit avec génie Jean Lacouture dans les cent premières pages de la biographie de l’auteur de « Thérèse » et de la « Fin de la nuit ». Cité marchande, petits et grands négociants, bourgeoisie du vin, celui des très grand crus, ils descendront l’estuaire jauni pour alimenter les caves de Londres, ennemi héréditaire, sauf pour le commerce du Médoc.

 

Genève n’est pas Bordeaux, mais les prétendants et les empoisonneuses, d’Ithaque à Malagar, des combinaisons Mazarines aux premiers écrits du futur Prix Nobel, ce jeune Mauriac qui monte à Paris comme un Rastignac en 1907, encore dans le giron de ces Marianistes qui l’ont tant marqué,  entre tout cela oui s’impose avec puissance le parfum du poison. Celui qui se concocte à l’interne de la famille, mûrit dans la famille, se destine à un membre de la famille, attend son heure comme les meilleurs coteaux classés qui guettent la Gironde, un jour agit. Un jour, ou plutôt une nuit. Ou un petit matin. Dernière cigarette. Et on t’envoie sur l’autre rive.

 

Le destin de Philippe Morel, l’un des hommes les plus attachants de la classe politique genevoise, sera toujours celui de l’autre rive. Et c’est cela, chez lui, qui me retient. Toujours seul. Toujours en partance. Ou en imminence de départ. Révélateur, par l’intensité des haines qu’il attise dans le camp de ses « amis », de tout ce que la politique peut contenir de mortel. Instillé à petites doses, venimeuses. Par les prétendants et les empoisonneuses. Toujours les mêmes. Toujours le cercle, la famille.

 

Relire Mauriac, très vite. Le seul auteur dont j’avais dévoré l’œuvre romanesque complète à quinze ou seize ans. Parce qu’une histoire entraînait l’autre. Toujours, cette componction de douceur apparente qui sent le vertige de la mort. La haine madérisée. Savoureuse, comme l’ancre qu’on lève. Quelque part, dans l’estuaire jauni. Continuez, Philippe. Continuez, empoisonneurs et prétendantes, mêlez vos genres, instillez, distillez. C’est comme ça qu’on vous aime. Pour mieux vous détester.

 

Pascal Décaillet

 

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