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La droite doit se réconcilier avec l'Etat

 

Sur le vif - Dimanche 21.09.14 - 15.27h

 

Avant de considérer l’éternelle triangulation entre les trois grandes familles des droites suisses (PDC, PLR, UDC), posée une nouvelle fois, ce matin, à fins électorales, dans la presse alémanique, avec sa faux d’agronome, par le géomètre Christophe Darbellay, il convient évidemment de se plonger dans l’Histoire. D’où viennent ces grandes familles de droite ? Surgies de quels combats, principalement au dix-neuvième siècle ? Portées par quels grands journaux, quelles grandes plumes, quelles grandes voix ? Installées depuis quand au plan fédéral ?

 

Et puis, il faudra multiplier toute cette réflexion par vingt-six, nos Histoires politiques étant éminemment cantonales : le radicalisme valaisan n’a pas grand-chose à voir avec le zurichois ; la démocratie chrétienne genevoise est fort éloignée des étendards noirs de la Suisse centrale. Sans cette approche diachronique, multiple et nuancée, l’observateur politique, faute de recul, se laissera trop facilement saisir par les pièges de la rhétorique électorale, tous partis confondus. Appel, donc à la culture. Appel à l’Histoire. Appel à lire voracement, par exemple, les ouvrages si remarquables d’Olivier Meuwly sur le destin de nos partis politiques suisses, ces deux derniers siècles. A l’exception de ce dernier, et Dieu merci de quelques autres, il manque aujourd’hui, en Suisse, une véritable école de réflexion sur la nature profonde, la philosophie, le chemin historique des différentes droites en Suisse, depuis 1848, voire 1798.

 

J’affirme ici que dans l’improbable géométrie triangulaire des trois grandes familles que sont le PDC, le PLR et l’UDC, un facteur fatal d’illisibilité procède du divorce, depuis une trentaine d’années, entre une partie de la droite suisse et le sens de l’Etat. Je fais partie, comme on sait, des défenseurs d’un Etat fort (ce qui ne signifie pas tentaculaire), un Etat solide et dynamique, actif non seulement dans ses fondements régaliens (la sécurité, la défense nationale, les Affaires étrangères, les grandes infrastructures routières ou ferroviaires), mais aussi, avec la même puissance, dans les assurances sociales, la santé, l’école. D’où ma position, certes d’avance perdante, mais à laquelle je ne retranche rien, sur la Caisse publique. Or, cette défense de l’Etat (je dis de l’Etat, et non d’une armada de fonctionnaires derrière des guichets), pourquoi la droite, depuis plus d’une génération, l’a-t-elle laissée à la gauche ? Comment des hommes et des femmes de grande culture républicaine ont-ils pu à ce point se laisser phagocyter, depuis trente ans, par les mirages du libéralisme, souvent alliés à l’individualisme libertaire, le culte de l’argent facile, l’évanescence de la structure collective au seul profit de l’affirmation de la réussite individuelle ? Où sont-elles passées, les grandes voix radicales, populaires, joyeuses, celle d’un Jean-Pascal Delamuraz ? Doivent-elles, devant l’éternité, faire silence face à la religion du profit, ou tout au moins face à cette nouvelle génération de parlementaires fédéraux, montés à Berne comme commis-voyageurs de la banque privée, des magnats des grandes pharmas, ou des géants de l’assurance-maladie ?

 

Oui, je regrette infiniment le temps des radicaux. Ils sont, en Suisse, ceux qui ont fait l’Etat moderne. Ils l’ont conçu intellectuellement, incarné par de grandes figures, réalisé par d’immenses projets collectifs. Cela, dans les cantons (Fazy, Druey) et au niveau fédéral. Oui, ces hommes-là, aux côtés de quelques socialistes d’exception, comme Tschudi à Berne ou Chavanne à Genève, ou d’un incomparable PDC comme Furgler, ont façonné la Suisse d’aujourd’hui. Ils avaient en commun un sens profond de l’Etat. Où sont-ils, aujourd’hui, ces hommes-là ? Pourquoi la droite suisse devrait-elle être à tout prix libérale, libre-échangiste, à l’anglo-saxonne, et tout l’intérêt, toute l’attention pour le domaine régalien devraient-ils être abandonnés à la seule famille de la gauche ?

 

Immense erreur. Les années de bulle financière, de dérégulation, d’abandon de l’idée de service public, ont créé, dans les consciences suisses, une assimilation entre « droite » et « libéralisme ». Oh, le libéralisme a parfaitement le droit d’exister, d’avoir ses hommes et ses femmes, ses journaux, ses lobbys. Mais enfin, l’univers complexe et passionnant, pétri d’Histoire, de la droite suisse ne saurait se ramener à cette seule famille de pensée. Je plaide ici pour que ceux, dans les partis de la droite suisse (PDC, PLR, UDC) qui croient encore dans le rôle et la mission de l’Etat, se réveillent. On peut être de droite et aimer l’Etat. De droite, et aimer passionnément l’idée républicaine. De droite, et vouloir des assurances sociales puissantes, efficaces, solidaires et mutuelles, échappant aux mécanismes du profit, organisées dans l’intérêt de tous. Si la grande famille de pensée des droites suisses continue de laisser dériver le discours sur l’Etat dans les seules eaux territoriales de la gauche, alors elle fera le lit de tous ceux, dans notre pays, qui voudraient faire l’économie d’une réflexion collective, au seul profit de l’affirmation individuelle. Philosophiquement, c’est une posture. Politiquement, dans un pays comme la Suisse, construit sur l’acceptation des différences dans l’assomption d’un destin commun, c’est le début du suicide.

 

Pascal Décaillet

 

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