Sur le vif - Mardi 16.09.14 - 14.56h
Je rumine ce papier depuis des mois. Depuis des années même, sans doute depuis le dimanche de la votation sur les minarets. Résultat que je respecte, car je suis démocrate, mais qui continue de m’apparaître comme une aberration. J’avais profondément combattu cette initiative, j’ai été dans le camp des perdants, c’est la vie. Mais le problème demeure : la manière, dans notre pays, dont certains, hélas de plus en plus nombreux, parlent de l’Islam, est aussi ahurissante qu’inquiétante. Ce qui me frappe, et c’est mon objet ici, n’est pas leur opinion (nous sommes en démocratie, chacun s’exprime), mais le niveau d’inculture que souvent elle dévoile.
Méconnaissance totale de l’Histoire des religions. Ignorance crasse sur ce qu’est l’Islam. Ou d’ailleurs, le judaïsme, le christianisme. On a le droit, parfaitement, de s’opposer à une religion, il ne saurait en République exister de dogmes, ni de délit de blasphème. Mais par pitié, qu’on le fasse en connaissance de cause. Cela signifie, avant de stigmatiser, connaître. Et pour connaître, il faut s’informer. Apprendre. Lire, et lire encore. Le domaine religieux, qui m’intéresse comme on sait de très près, est l’un de ceux qui supportent le moins l’amalgame ou l’approximation, l’étiquette lestement collée. Je ne parle pas ici de la foi (je ne m’exprime jamais sur ce sujet), mais de l’aspect historique, culturel, textuel qui doit être maîtrisé lorsqu’on s’exprime sur une religion. Notamment sur l’une des trois religions du Livre (judaïsme, christianisme, Islam), qui précisément, au fil des siècles, ont exprimé leurs sensibilités par la voie de textes. Il conviendrait, un minimum, de se frotter à ces derniers.
J’ai eu la chance de découvrir l’Islam sur place, très jeune : à huit ans à Damas, avec ma famille, lorsque nous avons visité la Grande Mosquée des Omeyyades, puis, quelques jours plus tard, les grands édifices d'Istanbul. Puis, trois ans plus tard, lors d’un magnifique été passé avec ma mère à visiter l’Andalousie, ce pays qui fut d’ouverture et de respect mutuels, dont parlent si bien les livres de mon ami Maurice-Ruben Hayoun. Et puis, j’ai eu une deuxième chance, beaucoup plus grande encore : celle d’avoir pendant quatre ans, au primaire (1965-1969), comme professeur de religion un homme d’exception dont j’ai souvent parlé ici, le Père Louis Collomb. Prêtre catholique, il nous a évidemment initiés à cette religion, mais j’atteste ici l’immense respect, l’immense douceur, l’immense tolérance, et surtout la profonde connaissance avec lesquels il nous parlait, notamment, du judaïsme et de l’Islam. Jamais, je dis jamais, au cours de ces quatre ans, il n’a eu le moindre mot dénigrant pour ces religions. Il nous renseignait sur leurs textes, leur foi, leur Histoire. Cela m’a amené, dans ma vie, moi catholique, à ne jamais attaquer d’autres religions.
Je conçois pourtant qu’on puisse le faire, rien ne doit être tabou, et il n’y a pas, dans notre espace public, à protéger une religion sous le seul prétexte qu’elle serait religion. Ce que les autorités nous garantissent, et c’est un acquis puissant, c’est la liberté pour chacun de croire ou ne pas croire, pratiquer ses cultes en des lieux déterminés pour cela. Il y a évidemment lieu de s’en réjouir.
Mais la manière dont en Suisse on parle aujourd’hui de l’Islam ! Le règne de la confusion. On confond Islam et islamisme, on ne voit l’Islam que dans ses composantes maghrébines, le confondant avec l’arabité, alors que le premier pays musulman du monde est l’Indonésie, et que la grande majorité de nos Musulmans de Suisse sont d’origine balkanique, où l’Histoire de l’implantation islamique, sous la présence ottomane, n’a strictement rien à voir avec celle du Golfe Persique, encore moins celle de l’Afrique du Nord. On profite de l’actualité, en effet abominable, de ces décapitations, pour mettre tous les Musulmans dans le même panier : cet amalgame est non seulement scélérat, mais relève d’une inimaginable inculture.
Citoyen suisse, je demande pour les Musulmans de notre pays (et bien sûr aussi pour les autres communautés religieuses) le respect que nous nous devons mutuellement en République. Cela ne doit pas empêcher cette dernière de faire respecter ses règles, ses usages, ses coutumes. Par les Musulmans. Mais aussi par tout le monde : Juifs, Chrétiens, athées, agnostiques, peu importe, la République reconnaît des citoyens et des citoyennes, et non des communautés. Pour l’heure, le plus urgent est de calmer les esprits. Dénoncer les amalgames. Et surtout, INFORMER. Je peine à entrevoir que cette initiation à l’Histoire des grands courants religieux puisse émaner d’une autre instance que de l’École. Pratiquer une telle initiation, évidemment factuelle et culturelle, ça n’est en rien attenter au principe de laïcité. A moins qu’on ne veuille entendre par cette dernière la négation, jusqu’à l’éradication sémantique, de tout ce qui touche, de près ou de loin, au phénomène religieux.
Pascal Décaillet