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Pierre Mauroy, passion française

 

Sur le vif - Vendredi 07.06.13 - 18.26h

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Bien qu’ayant eu l’honneur d’approcher et d’interviewer la plupart des grands leaders historiques de la gauche française, je n’ai, de ma vie, jamais rencontré Pierre Mauroy. Mais la nouvelle de sa mort, ce matin, m’a fait un choc. Parce que c’était un homme d’Etat, mais aussi un militant exceptionnel, un socialiste surgi de la grande famille du Nord, cette Flandre catholique et rugueuse tout à la fois, ouvrière, joviale, festive, fraternelle. Succédant à Augustin Laurent à la Mairie de Lille, en 1973, il commence par parler du beffroi, rappelle les cortèges et les fanfares de son enfance, ancre son destin dans les contours d’un tableau. Entré en socialisme comme en religion, aimait-il à rappeler, c’était en 1945, son adhésion aux Jeunesses, dans le culte de Léo Lagrange, qui avait été un mythique ministre du Front populaire, en 1936.

 

J’ai toujours éprouvé pour Mauroy un total respect. Il y a quelque chose de Jaurès dans cette Fédération socialiste du Nord, comme dans celle des Bouches-du-Rhône, et bien sûr dans les sections du sud-ouest, du côté de Toulouse. Il y a cette gauche du travail, de la très longue conquête des acquis sociaux, cette gauche réaliste, tenace, qui ne se gargarise pas de mots, comme nos bourgeois libertaires urbains, mais construit sa lutte sur le temps des générations. Comme on érige une cathédrale. Mauroy, Flandre de ces flèches en élévation vers le ciel, pays d’images pieuses, quelque folie d’Espagne dans la raideur du quotidien, rêves de fraternité. Je ne puis penser à Mauroy sans songer à Léon XIII et sa Doctrine sociale, qui eut certes d’autres épigones dans l’Histoire politique française, mais traça, véritablement, son Sillon. Son socialisme à lui n’en était au fond pas si éloigné.

 

Mauroy, ma jeunesse. Fervent partisan de l’élection de François Mitterrand le 10 mai 1981, entre autres par rejet viscéral de l’orléanisme giscardien, j’avais poussé un ouf de soulagement en apercevant ce Premier Ministre-là, le jour de l’intronisation, dans la voiture du Président. Mitterrand, prince de l’ambigu, socialiste depuis seulement dix ans (Epinay, juin 1971), avait eu l’intelligence de compenser l’insaisissable de son propre personnage par le choix, à Matignon, d’un roc inébranlable du socialisme. Dire que les deux hommes étaient complémentaires relève de l’euphémisme. Et pourtant, de nombreux traits communs : l’un et l’autre issus d’une famille nombreuse, marqués par le catholicisme (des Charentes ou du Nord), attachement intransigeant à la patrie. Car Mauroy, l’homme de la SFIO, chantait la Marseillaise autant que l’Internationale. Ces deux hommes-là aimaient la France, l’ont servie avec passion.

 

Ne nous attardons pas sur les différences. Entré gamin à la SFIO, Mauroy n’aura été, toute sa vie, que l’homme d’un seul parti. Pendant qu’il arpentait les kermesses socialistes de son enfance, l’autre, le futur président, frayait encore avec la droite de la droite intellectuelle et catholique de l’avant-guerre, laquelle ne manquait d’ailleurs ni d’allure, ni de panache. Ce qui est fou, c’est que les deux destins se sont rencontrés, un jour de la campagne présidentielle de 1965, où Mauroy avait accueilli à Lille celui qui, à 49 ans, avait osé défier le général de Gaulle. Un pacte, là, s’était scellé, qui durera trois décennies. On sait que Mauroy est l’un des hommes d’Epinay, le congrès de la prise de contrôle de l’appareil socialiste, en juin 1971, par un François Mitterrand qui n’était même pas membre du parti en arrivant à l’assemblée !

 

Le reste ? Le reste, c’est l’Histoire. Trois ans Premier ministre, les années des grandes réformes, mais aussi celles qui coûtent cher. 28 ans Maire de Lille. Député sénateur, enfin tout : Mauroy, comme Defferre, Chaban, comme naguère Herriot, fait partie de ces figures qui, à force, finissent par incarner la République à mesure qu’ils la servent. L’engagement de toute une vie. Entré en politique comme en religion. Ajoutant ses pierres à lui à l’édification de la cathédrale. Conscient du temps qui passe et de la fragilité de toute chose. Il faut réécouter sa passation de témoin à Martine Aubry, lorsqu’il lui remet en 2001 les clefs de la Ville de Lille : il cite Apollinaire, et c’est poignant.

 

La France perd un grand serviteur de l’Etat. Les années Mitterrand, c’était lui. Avant qu’elles ne devinssent affairistes, ravalées à la servitude de l’Argent. Pierre Mauroy a servi le socialisme, et il a aussi servi la France. Figure militante. Mais aussi stature du siècle. Dans le pays, dans le tableau, quelque part à l’ombre du beffroi, il a sa place. Celle d’un homme d’honneur et d’engagement. Fidèle. Infatigable.

 

Pascal Décaillet

 

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