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Le napalm ponctue, il n'informe pas

 

Sur le vif - Samedi 01.06.13 - 10.52h

 

Enfant, j'écoutais beaucoup la radio, toutes les chaînes possibles, pour avoir les informations. C'étaient les années soixante, la guerre du Vietnam. On nous décrivait très ponctuellement - je dirais même avec pointillisme - le détail des opérations militaires, évidemment de source américaine ou sud-vietnamienne, ce qui était équivalent, jamais de source nord-vietnamienne.



Mais ça n'était pas l'aspect propagande qui me gênait, j'étais d'ailleurs trop jeune pour en être conscient. Ce qui n'allait pas, c'était le pointillisme, justement. Sous prétexte de ne relater que les derniers faits (le principe d'un flash), on ne faisait que nous annoncer la dernière escarmouche, la dernière action de guérilla, le dernier bombardement au napalm. On nous donnait un nombre de morts et de blessés. Et puis, on passait à la météo, celle d'ici !



Enfant, j'étais déjà furieux. Je disais autour de moi, notamment à mes parents: "On s'en fout un peu du détail des opérations militaires, moi j'aimerais que quelqu'un m'explique cette guerre. Ses origines, ses causes, pourquoi on se bat là-bas, que font diable les Américains à des milliers de kilomètres de chez eux, en quoi le régime du Sud mérite-t-il à ce point d'être défendu contre celui du Nord ?"



Mes parents tentaient de m'éclairer. Ils me disaient, se souvenant de la guerre d'Indochine (mon père avait vu passer Mendès France et Churchill, et sans doute aussi Giap, en 1954, à l'angle de l'avenue de France et de la rue de Lausanne), que "de toute façon, c'était une guerre très compliquée, il y avait déjà eu un épisode avec les Français, etc. etc."



Beaucoup plus tard seulement, en lisant un nombre incroyable de livres sur le sujet, à commencer par ceux de Lacouture, je me suis initié à l'Histoire de la Cochinchine et du Tonkin, aux premières expéditions du temps de Jules Ferry, au passé exceptionnel de cette civilisation, le Vietnam. En lisant la biographie d'Hô Chi Minh, par Lacouture, je suis entré dans la logique de ceux qu'on nous présentait, ici, comme des sauvages. Bref, je me suis instruit. Pour l'Histoire de l'Algérie, une autre de mes grandes passions historiques, j'ai procédé exactement à la même démarche. Et là encore, Lacouture, pour nous présenter la lente maturation, à vrai dire dès 1830 avec Abd el-Kader, de l'idée d'indépendance algérienne.



Et plus je m'instruisais, plus j'en voulais férocement, avec le recul, à ces bulletins d’informations horaires de mon enfance, qui ne nous donnaient que l'écume du parcellaire. Ils faisaient pourtant leur boulot: ils nous donnaient les faits, rien que les faits.



Mais sans arrière-pays, sans perspective historique, sans quelques milliers d'heures de lecture sur les causes et les antécédents, le fait est condamné à la stérilité. Il n'informe pas. Tout au plus, il ponctue.

 

Pascal Décaillet

 

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