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Présidentielle : merci, M. Mélenchon !

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Sur le vif - Dimanche 15.04.12 - 17.10h

 

L'observation des oiseaux est une passion qui laisse parfois un peu de temps. Elle m'a permis, il y a quelques jours, là où se meurent les Rhônes, entre aigrette et héron, de lire une biographie de François Hollande (Serge Raffy, Fayard, septembre 2011). En même temps qu'une autre, de Nicolas Sarkozy (M. le Président, Franz-Olivier Giesbert, Flammarion, décembre 2011). C'est amusant : j'ai sans doute lu près de 200 livres sur de Gaulle, une bonne cinquantaine sur Mitterrand, un ou deux sur Pompidou, Giscard, Chirac. Je n'en avais lu aucun, jusqu'à maintenant, sur ceux qu'on nous annonce comme les antagonistes du second tour 2012. Pourquoi ?

 

Ces deux livres, surtout Giesbert (comme toujours), sont fort bien écrits. On y découvre deux magnifiques combattants de la vie politique française, un Hollande beaucoup moins mou qu'il n'y paraît, un Sarkozy moins obsédé par le fric, sincèrement attaché à l'amour du pays. Tout cela, certes. Encore qu'il faille toujours s'interroger sur la part d'hagiographie lorsqu'un livre paraît, comme par hasard, à l'aune d'une présidentielle. Mais enfin admettons, deux hommes de valeur. Je le dis d'autant plus volontiers que je ne voterais ni pour l'un, ni pour l'autre, comme on sait en lisant ce blog, si j'étais citoyen français, au premier tour.

 

De valeur, mais quoi ? Mais avec une faille, pardi ! Le super professionnalisme, ça n'est pas encore ce bois d'ébène, si rare, dont se chauffent les hommes d'Etat. Maîtrise des dossiers, connaissance du terrain (Hollande est un véritable Mitterrand, trempé dans le radicalisme de Queuille, de la carte des circonscriptions françaises), habileté, ténacité. Ils sont bons, excellents, ont réponse à tout, mais j'ai parfois l'impression, avec leur souci du moindre détail, qu'ils briguent Matignon davantage que l'Elysée. Plus ouvert, plus terrien, plus accroché à ce que j'aime dans l'âme française, Bayrou, avec ses ailes jaillies des racines, comme des têtes de chapiteaux, me parle plus. Et mieux.

 

Ce dimanche, à l'instant, les deux favoris du second tour parlaient en même temps, comme en d'homériques duels : on se cherche, on s'invective, coups de menton, regards noirs, élégances de fiel, à distance convenable. Hollande à Vincennes, Sarkozy à la Concorde, chacun devant des foules considérables. Le site du Nouvel Observateur a eu l'excellente idée de nous proposer les deux retransmissions en direct, sur écran partagé : il fallait juste couper le son de l'un pour entendre l'autre. J'ai suivi les deux discours, zappant de l'un à l'autre, crayon en main.

 

Une chose m'a frappé : enfin, ces deux hommes nous parlent de la République. Et nous parlent de la France. Ce champ dont ils avaient laissé jusqu'ici la jachère à Mélenchon, ils sont enfin (bien tard !) partis à sa reconquête. Vincennes, Concorde, du duc d'Enghien à la place de Grève, il y a là la fertilité métaphorique de toute une Histoire dont on se demande pourquoi il faudrait l'abandonner aux seuls érudits. Mélenchon, dès le début, l'a compris, lui qui a fait, et de loin, la meilleure campagne de cette présidentielle 2012. Verbe d'éclat, surgi des profondeurs, courage de nous parler de la Révolution, de fraternité, d'union : sans nécessairement partager ses thèses, comment ne pas vibrer ? Il aura été la révélation de cette campagne.

 

Alors, voilà, à une semaine du terme, l'orléaniste Sarkozy, égaré du Fouquet's et des eaux territoriales maltaises, et l'ex-premier secrétaire le plus éteint de toute l'Histoire du parti socialiste français, par le miracle d'un dimanche, retrouvent leur verve. Pour l'un comme pour l'autre, on sent bien les conciliabules des conseillers en communication, déboussolés depuis des semaines par la roide fierté républicaine d'un Mélenchon, ces drapeaux rouges enfin nationaux (qui pourrait, aujourd'hui, parler d'un « parti de l'étranger »?), cet appel à de profondes valeurs qui, au moins depuis deux siècles, ont fait le pays. Alors, le président sortant et le candidat socialiste, bon gré mal gré, ont tenté cet après-midi de faire du Mélenchon. C'est un peu tard. Mais pourquoi pas ?

 

On rappellera juste aux équipes de conseillers la nécessité de discrétion dans le plagiat : j'écoutais jusqu'à trois fois par jour, dans mes jeunes années, le 33 tours des discours de Malraux. Ces messieurs de la communication aussi, l'ont apparemment beaucoup écouté. Jugez plutôt :

 

- Malraux, 4 septembre 1958, place de la République, juste avant de Gaulle : « Le peuple de Paris est là ! ». Sarkozy, cet après-midi, dimanche 15 avril 2012, place de la Concorde : « Le peuple de France est là ! ».

 

- Malraux, décembre 1964, transfert des cendres de Jean Moulin au Panthéon, dernières syllabes d'un discours d'exception : « Ce jour-là, il (Moulin, défiguré par la torture) était le visage de la France ». Hollande, cet après-midi, dimanche 15 avril 2012, Vincennes : « La majorité n'aura qu'un seul visage : le visage de la France ».

 

En résumé, merci à M. Mélenchon, non seulement d'avoir fait une fantastique campagne, mais d'avoir élevé, pour ses propres concurrents, le niveau d'exigence d'un discours politique : parler de la nation, du pays, de la fraternité, de ce qui nous rassemble. Rendez-vous dans une semaine.

 

Pascal Décaillet

 

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