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L'argent c'est quoi, au juste ?

 

Ma série d'entretiens avec le jeune écrivain Grégoire Barbey. Suite. Publié le vendredi 13.04.12, 15.31h.

 

PaD - Je reviens à ces 2500 francs d'allocation d'existence. Une chose m'échappe. Qu'un apparatchik comme Oswald Sigg, ayant passé sa vie à blanchir sous le harnais de superstructures subventionnées, défende cette idée, soit. Mais vous ! Vous êtes jeune, avez la vie devant vous, l'envie d'écrire, vous militez en politique (Verts libéraux), tout cela est excellent. Vous m'avez l'air, aussi, en pleine forme : travaillez donc ! Engagez-vous dans l'aventure professionnelle. Frottez-vous à des concurrents. Suez. Défoulez-vous. Brillez. Mais n'attendez pas qu'une manne tombe du ciel.

 

GB - Bien sûr, comme vous dites, pour moi, les choses vont bien. Ou mieux, c'est selon. Cela n'a pas toujours été le cas, et si aujourd'hui je défends cette idée - même si je ne suis pas dupe quant à sa possible réalisation - c'est par idéologie, parce que toutes et tous n'ont pas ma chance - votre chance ! Je n'attends rien du Ciel. Je ne crois en rien de transcendant. J'ai foi en l'humain, et j'aime à penser qu'il peut œuvrer pour le bien-être de chacun, et non le contentement de tous. Cette nuance est d'importance !

 

PaD - Ceux qui ont perdu leur emploi, ou leur santé, ceux qui ne peuvent pas, ou ne peuvent plus, c'est en ordre : nous devons les aider. Je parle de ceux, comme vous et moi, qui peuvent ! Cet argent, ces 2500 francs, viendraient d'où ? Cette richesse, qui l'aurait produite ? Réponse : les actifs ! En clair, si l'initiative passe, on demande à ceux qui bossent, en plus de toutes les taxes, tous les prélèvements obligatoires (j'en connais un rayon, comme entrepreneur indépendant et employeur !), tous les impôts (trois à quatre mois de boulot pas an), de financer cette manne universelle de 2500 francs par tête de pipe. Pour les déshérités, je dis oui. Pour les autres, désolé, je dis non.

 

GB - Et que gagnerons-nous à nous débarrasser d'une bureaucratie sociale inefficiente et inadaptée aux besoins d'une population dont chaque individu est foncièrement différent ? Pensez-vous, ou avez-vous même idée, de l'effroyable machine administrative qui se cache derrière l'aide sociale en Suisse ? Ce qui me séduit dans cette initiative, c'est justement la possibilité de faire reculer la puissance d'un État bureaucrate. L'État, disait Nietzsche, est le plus froid des monstres froids.

 

PaD - Je crois en l'Etat, depuis toujours. Pas comme machine, mais comme arbitre. Justement pour corriger les inégalités. Mais de façon ciblée. Cette allocation-arrosoir, ces 2500 francs qu'on recevrait au seul titre qu'on existe, c'est la vraie valeur de l'argent qui perd son sens. Paradoxalement, et même si les intentions n'ont rien à voir, je rapproche cette perte de sens du principe de spéculation. Je rejette l'un et l'autre : la manne et le casino. Le céleste, et le virtuel. Je crois profondément que l'argent doit se gagner en travaillant. Si vous avez un peu de temps. Je vous recommande « L'Argent », de Péguy, dans les Cahiers de la Quinzaine, Editions Pléiade. Une œuvre anticapitaliste, et profondément républicaine.

 

GB - J'en prends note. Mais qu'est-ce que l'argent ? Je vous disais lors de notre dernier entretien qu'il n'est pour moi qu'un moyen, celui de vivre, car il en faut bien dans notre société pour tourner ! J'aime beaucoup la phrase du candidat français à l'élection présidentielle, Jean-Luc Mélenchon : survivre, ce n'est pas vivre. Je suis persuadé qu'il faille désormais nous concerter toutes et tous pour apporter des solutions à tous ces gens, oubliés par nous autres, et leur offrir la moindre des choses que nous pourrions souhaiter pour nous-mêmes : la décence et la dignité. Je récuse les dogmes, et l'argent ne doit pas devenir un Dieu suprême. Nous ne devons pas en avoir peur, il nous faut l'utiliser, puisqu'il nous est nécessaire. Mais à bon escient, sans laisser d'autres, avec nos connaissances et nos technologies, mourir la bouche ouverte. Pourquoi pas, comme Rousseau jadis, créer un nouveau contrat social ?

 

 

Grégoire Barbey + Pascal Décaillet

 

 

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