Mercredi 19.08.09 - 09.10h
Celui qui signe cette chronique est germanophile, germanophone, a enseigné l’allemand avant de se lancer dans le journalisme, a été correspondant à Berne, lit tous les jours la presse alémanique, et bien souvent la presse allemande. On ne lui fera donc pas procès de méconnaissance de cette langue et de cette civilisation auxquelles on reproche à Pascal Broulis de rester à ce point étranger.
Mais il vous dit, le signataire de ces lignes, que ce procès à Broulis, si sonore et si longuement instruit hier soir sur les ondes publiques, est à côté de la question.
Bien sûr, un conseiller fédéral doit entendre la langue de l’autre. Et si, au départ, ça n’est pas le cas, il doit assurément aller à la rencontre de cette langue, ce que Jean-Pascal Delamuraz avait entrepris, avec cœur et détermination, dès les premiers mois de sa charge. Prendre des cours, éveiller son oreille, aller vers des idiomes et des sonorités qui lui seraient étrangers. Bref, s’atteler à cette aventure, l’une des plus belles, qui s’appelle le chemin vers une langue. Assurément, se contenter systématiquement d’une oreillette dans les commissions et les séances couperait l’élu, non du sens, mais de quelque chose de tellement fort dans le terroir verbal, l’imagerie, la représentation : une langue, ce sont aussi des syllabes, des sons, des couleurs, un rythme, des intonations.
Tout cela, oui. Mais tout cela, Broulis s’y est engagé. C’est un travail de plusieurs mois, et non de quelques jours. Dès lors, lui tomber dessus parce qu’il aurait raté une rencontre avec les Alémaniques relève davantage du procès en sorcellerie que de l’analyse politique. Micheline Calmy-Rey, Pascal Couchepin parlent finalement allemand, enfin leur allemand à eux, avec leur accent, mais cet effort, ils l’ont entrepris. C’est cela qu’on attend d’un conseiller fédéral, avoir parcouru un chemin. Point besoin d’être bilingue, mais avoir fait l’effort, sur la durée, d’aller vers l’autre.
Une chose encore : le culot de certains élus, notamment UDC, de Suisse alémanique, lorsqu’ils lancent ce grief à Pascal Broulis. Et le français, eux, ils l’ont, une seule fois dans leur vie, murmuré ?
Ce procès à Pascal Broulis, au final, est aussi injuste que celui, en défaut de latinité, intenté à Urs Schwaller. Chacun de ces deux hommes, et quelques autres aussi parmi les candidats, a la carrure pour devenir conseiller fédéral. Qu’on les juge pour ce qu’ils sont, leurs legs dans les exécutifs cantonaux où ils ont siégé, leurs projets pour la Suisse, mais pas sur des présupposés ethniques indignes de notre débat national.
Il y a ce vers d’Aragon, tellement beau, qui pourrait résumer l’aventure suisse, la lente création de cette rencontre avec l’autre. Celui qui parle une autre langue. Celui qui vient d’ailleurs. Celui vers lequel nous tentons un chemin : « J’arrive où je suis étranger ».
Pascal Décaillet