Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Liberté - Page 873

  • Les journalistes ne sont pas des prophètes !

    792-2-44477.jpg?1366904781 

    Édito publié dans le dernier numéro du bimensuel BILAN - 07.12.16

     

    Voilà plus de trente ans que je suis journaliste, n’exerçant d’autre profession que celle-là, scrutant passionnément la politique suisse, mais aussi internationale, animant tous les soirs des émissions citoyennes en télévision. En vérité, quarante ans : j’ai eu la chance, grâce à Claude Monnier, qui nous a quittés cette année, de commencer à l’âge de 18 ans, première année d’Uni, pour des piges au Journal de Genève. Vieilles machines à écrire, textes rendus à minuit, dans l’ambiance dix-neuvième siècle de la rue du Général-Dufour, odeur incomparable du journal qui sortait, sous nos yeux. Et qui défilait même au-dessus de nos têtes, en attendant l’expédition. Au Journal de Genève, c’était l’aventure totale, le produit créé d’un bout à l’autre, de l’idée de l’article jusqu’au quotidien tout chaud, au milieu de la nuit. Emotion, bonheur, plénitude, rien que d’y penser. De cela, j’aurai eu l’honneur d’être artisan.

     

    Aujourd’hui, ce métier va mal. Pour peu, remarquez, qu’il se soit jamais « bien porté », depuis Théophraste Renaudot, en passant par l’Affaire Dreyfus, la presse d’opinion qui se déchirait, ou pire : la presse aux ordres. Il va mal aujourd’hui, non parce que les techniques évoluent, et que le numérique emporte tout (nous nous y adapterons), mais parce que certains journalistes semblent avoir l’art d’entreprendre toutes choses pour ruiner le crédit de leur propre profession. Ainsi, cette singulière manie, dans notre corporation, de vouloir à tout prix prédire l’avenir : telle initiative, vous allez voir, passera (ou non), le Royaume Uni refusera le Brexit, Mme Clinton sera élue, Alain Juppé sera le champion de la droite. Oh, zut, ça n’est pas Juppé, sorry, mais alors, croyez-moi, Fillon sera président !

     

    Je ne comprends pas cette posture. D’abord, parce qu’en prenant le risque de la prévision, ne jouissant pas tous de la puissance d’ambiguïté d’une Pythie, ou d’une Cassandre, ou d’un Elie, ou d’un Jérémie, on court mathématiquement un risque sur deux de se planter magistralement, et de passer pour un Pied-Nickelé. Surtout, plus sérieusement, parce que le métier de journaliste me semble déjà avoir largement assez de boulot à tenter de décrypter le passé et le présent, pour s’embarrasser d’un point de vue sur l’avenir. Ainsi, à l’usage, toujours un peu périlleux, de la boule de cristal, je suggère à mes collègues de préférer la lecture des livres d’Histoire. Pas des dizaines, pas des centaines, mais des MILLIERS de livres, au cours de leur vie. On y découvre la savoureuse imprévisibilité du passé. Ce dernier n’est jamais comme on croit. Et même si on a déjà lu une foule d’ouvrages sur un sujet, la toute dernière lecture précisera, corrigera, contredira les précédents. Seule cette dialectique, toujours recommencée, de témoignages, parfois antagonistes, permet, patiemment, de construire une connaissance historique.

     

    Cette conscience du passé donne des clefs pour l’avenir, mais évidemment pas des certitudes. Disons qu’une connaissance un peu nourrie de l’Histoire balkanique aurait permis, dès 1990, aux journalistes d’ici d’embrasser avec un moins de diabolisation pour un seul camp la question du démembrement de l’ex-Yougoslavie. Autre exemple : quelques lectures sur l’Orient compliqué auraient peut-être évité à certains, au printemps 2003, d’applaudir à tout rompre lors de l’intervention américaine de M. Bush Junior en Irak. Ou encore : une connaissance des fondamentaux de l’Histoire britannique aurait pu aider certains à mieux comprendre le Brexit, sans immédiatement traiter d’attardés, ou de repliés, ceux qui avaient voté oui à cette option.

     

    Alors oui, chères consœurs, chers confrères, je vous encourage vivement à investir votre avenir dans une plongée vers… le passé ! Les archives. Les témoignages. La fragilité des êtres. La perpétuelle noirceur du pouvoir. Le paravent de la morale, pour satisfaire les appétits des puissants. Le sang des victimes. L’humus des cimetières. Le sacrifice. Le sens, et si souvent le non-sens. Cela ne vous donnera nulle clef de certitude. Mais cela vous vivifiera l’âme. Bonne chance à tous !

     

    Pascal Décaillet

     

  • RIE III : on ne gouverne pas par hibernation !

    24443.png?puid=4496e610-ce2c-40d8-9cef-410a2132f8f6 

    Commentaire publié dans GHI - Mercredi 07.12.16

     

    RIE III : la troisième réforme de l’imposition des entreprises. Avec ce fameux taux d’imposition unique à 13,49%. Un chiffre réputé savamment calculé, soupesé, au milligramme, pour éviter de faire fuir les multinationales, qui constituent une manne considérable pour la prospérité du canton. RIE III, depuis des mois, obsède littéralement la classe politique genevoise. Au point que certains députés, tous partis confondus, rencontrés par hasard dans la Vieille Ville, ne vous disent plus « Bonjour », mais « RIE III » en vous serrant la main ! Vous leur parlez de M. Renzi, M. Trump ou M. Hollande, ou du stratus d’automne, ils vous écoutent à peine, et reprennent avec « RIE III ». Même le CEVA, en 2009, n’avait réussi à atteindre ce niveau obsessionnel d’incantation.

     

    Le CEVA, parlons-en ! C’est la comparaison qui s’impose. En 2009, nous avons vécu, le même automne, la votation sur le CEVA et les élections cantonales. Face à un parti qui montait (le MCG), il s’agissait de faire preuve de cohésion. Sur un thème, porteur d’avenir. Des radicaux aux Verts, tous les partis gouvernementaux n’ont plus juré que par le CEVA. Tout plan B était immédiatement jeté aux orties, c’était une question de survie : le CEVA ou la mort. C’est exactement dans cet état d’esprit que les partis gouvernementaux nous présentent aujourd’hui RIE III. A les entendre, ministre des Finances en tête, on a l’impression qu’hors de cette question amirale, plus rien n’existe. Il faudrait non seulement accepter le principe, mais le chiffre, au centième près. Nulle contestation possible. On est face au dogme. Faudrait-il, comme à Rome en 1870, conférer au Conseil d’Etat le statut d’Infaillibilité ?

     

    La réponse est non. La politique, ce ne sont ni des dogmes, ni des encycliques. Ça passe par une dialectique. Cela exige un Parlement qui fasse son boulot. Une ouverture de la discussion aux partis non-gouvernementaux (UDC, Ensemble à Gauche), plutôt que de les placer devant le fait accompli. Surtout, cela exclut toute forme « d’arrangement », comme il semble en poindre, par exemple s’abstenir de lancer des initiatives en matière financière, pendant un certain nombre d’années ! Oui, c’est une singulière forme d’armistice qui est en train de se concocter, en substance : « Laissez-nous mener en paix RIE III, en contrepartie nous maintiendrons des acquis ».

     

    Ça n’est pas à cela que doit ressembler la politique. Déjà sur le CEVA en 2009, ce genre de consensus fleurait la naphtaline. Cette manière d’opérer aiguise l’idée que le monde parlementaire passe avec le gouvernement des pactes, plus ou moins publics, sur lesquels il n’a reçu aucun mandat de son électorat. Entre soi, on s’arrange ! Détestable procédé, sur le dos des citoyennes et citoyens de ce canton. Impression d’un petit monde où chacun se tient, entre les murs patriciens de la Ville Haute. Non, la politique ne doit pas être cela. Elle doit, au sens où l’entendait Pierre Mendès France, aller de pair avec la transparence. Le respect de la parole donnée. La confiance. Dans cette affaire, nous en sommes, hélas, assez loin.

     

    Pascal Décaillet

     

     

  • Le monde, sans les socialistes

     

    Sur le vif - Samedi 03.12.16 - 15.26h

     

    Je l'ai dit maintes fois depuis des années, je ne comprends absolument pas pourquoi les socialistes suisses, ainsi que les syndicats, s'accrochent à ce point aux principes de mondialisation et de libre-circulation. Eux qui prétendent protéger les plus faibles, ne voient-ils pas que les premières victimes d'un monde sans frontières sont justement les plus précaires d'entre nous ?

     

    Les socialistes et les syndicats s'accrochent à une libre-circulation qu'ils n'ont acceptée, il y a une quinzaine d'années, qu'à la condition qu'on lui adjoigne des mesures d'accompagnement. Or, AUCUNE de ces mesures, promises par les libéraux et le patronat, n'a été mise en oeuvre. Je dis bien : AUCUNE.

     

    Les socialistes et les syndicats, comment font-ils pour ne pas voir qu'un minimum de régulation des flux migratoires (personne ne parle de fermer les frontières), et aussi un minimum de protectionnisme (urgent et vital dans le domaine agricole) sont les seuls garants d'une protection des plus démunis, chez nous ?

     

    Les socialistes et les syndicats, au nom du vieux mythe de l'Internationale, vont-ils continuer à vouloir embrasser toute la globalité planétaire du monde, cette illusion, alors que les communautés humaines, surgies des entrailles de la terre, ont un vital besoin d’horizons définis, de bornes, de délimitations, en un mot de frontières au sein desquelles puisse s'exercer la loi voulue par tous, celle du démos.

     

    Si les socialistes, en Suisse comme ailleurs, continuent dans ce déni, dans cette béatitude internationaliste, s'ils continuent à ignorer le principe de la nation, à mépriser les lieux de mémoire et la communauté des souffrances, les classes populaires les quitteront définitivement. Le monde continuera. Mais sans les socialistes.

     

    Pascal Décaillet