Sur le vif - Mardi 16.01.24 - 15.02h
Il y a, jour pour jour, 19 ans, le dimanche 16 janvier 2005, je travaillais, en ce début d'après-midi, sur l'émission Forum, que j'avais lancée cinq ans plus tôt, et dont j'étais le producteur responsable.
Tout allait bien. Une émission en studio, alors que la norme, pour moi, était plutôt d'être dehors, en direct sur le terrain, là où les choses se passent. Un technicien, une valise satellite, un micro et un casque sans fil, et le tour était joué. Micro dans la main droite, montre radiocontrôlée dans la gauche, parce que même à Jérusalem, Berlin, Francfort sur l'Oder ou Madrid, au milieu de la foule, il faut rendre l'antenne à Lausanne à la seconde près.
Tout allait bien, ce dimanche-là, à l'exception d'une certaine fatigue. Je la sentais depuis un ou deux mois, de plus en plus tenace, je me disais que c'était à cause du boulot : ma conception de la radio, animale et viscérale, exige une certaine énergie. Je l'avais sentie à Ramallah, cette fatigue, deux mois plus tôt, aux funérailles d'Arafat, au milieu d'une foule immense. Je l'avais sentie, quelques jours plus tard, sur la place centrale de Kiev, en direct d'une foule encore plus dingue, pour la première Révolution orange.
Cette fatigue, ça n'était pas le boulot, je l'ai su trois jours plus tard, le mercredi 19 janvier. C'était autre chose. Mais là, le dimanche, je ne pouvais pas encore le savoir. J'ai dit au rédacteur en chef de jour : "Il est possible que je ne parvienne pas à présenter l'émission". Ca lui a foutu une monstre trouille, parce qu'avec moi, ça n'était pas tout à fait le genre de la maison. J'ai mobilisé mon énergie, j'ai quand même fait Forum, en direct de 18h à 19h, tout s'est très bien passé. A l'antenne, tout se passe toujours très bien. Dans la vie, c'est parfois un peu différent.
J'ai réécouté mon émission, j'ai pris ma voiture vers 20h, je suis rentré chez moi, à Genève, j'ai mangé avec mon épouse vers 21h. La fatigue se faisait de plus en plus lourde.
La suite ? Une année de traitements lourds, par la chimie et les rayons.
Après trois mois d'absence totale du boulot, j'ai repris, tout en poursuivant le traitement. J'ai repris, avec le même enthousiasme qu'au premier jour.
Plus j'y pense, plus je me dis qu'il ne s'est rien passé. S'il put y avoir, peut-être, l'une ou l'autre douleur à ce traitement, j'ai tout oublié. On me dit que c'est du pur déni. C'est sans doute vrai.
Dans ce combat, dix-neuf ans après, je ne considère aujourd'hui que l'essentiel : la victoire de la vie.
Je dédie ces quelques lignes à tous ceux qui, peut-être, ne sont pas, ou n'ont pas toujours été, au sommet de leur forme.
Pascal Décaillet