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Liberté - Page 538

  • Les bannières de la liberté

     

    Sur le vif - Jeudi 30.01.20 - 13.27h

     

    Eh oui, c'est comme ça : je soutiens Trump quant à sa politique économique intérieure, son protectionnisme, son refus du multilatéral, sa volonté de contrôler les flux migratoires. Et en même temps, j'affirme - depuis toujours - que sa politique au Proche-Orient est une absolue catastrophe.

    Otage électoral d'un clan dans son pays, le Président ne comprend rien, ne veut rien comprendre, à la complexité du monde arabo-persique. Soutien aveugle non seulement à Israël, mais à ceux qui, à l'intérieur du jeu politique (complexe, également) israélien, veulent la colonisation la plus extrême des territoires palestiniens.

    Alors, les gens me disent : "Mais quoi, au final, tu es pour ou contre Trump ?". Je leur réponds qu'à bien des égards, je suis pour, ma position n'ayant pas changé depuis la campagne électorale de 2016. Mais qu'à d'autres égards, principalement sa méconnaissance crasse du monde arabe et son soutien aux faucons israéliens, je suis résolument contre.

    Voyez-vous, je suis un homme libre. Je me suis battu pour cela, croyez-moi, comme peu d'autres, dans l'univers éditorial de Suisse romande. Il m'a fallu des années, des décennies de combat, à l'intérieur même de ma profession, puis en accédant il y a quatorze ans à mon statut d'entrepreneur indépendant, pour bénéficier de cette liberté. Je n'appartiens à aucun parti, aucun clan, aucune faction. Je ne suis l'homme de personne. Je suis un homme seul.

    Alors oui, il y a le Trump que j'apprécie, et celui que je combats. Il y a Macron, dont je dénonce depuis 2017 les liens avec la grande finance internationale, les options libérales, européennes, etc. Mais dont je reconnais la classe lorsque, par exemple, il s'exprime devant Notre-Dame en feu. Soudain, le temps d'une émotion mystique, chez cet orléaniste, des accents de Péguy, celui des Cahiers de la Quinzaine.

    Il y a notre totale liberté à tous (sauf à faire allégeance, nul n'y est tenu) à produire un discours de soutien, d'opposition, ou, un peu plus subtil quand même, une analyse différenciée en fonction des sujets.

    J'encourage chacun d'entre nous à nous livrer sa pensée. Et à lutter, avec la dernière énergie, contre les étiquettes et les catégories : "Celui-là est de gauche, de droite, pro-Trump, anti-Macron", etc. Nous n'avons, nous, les citoyennes et citoyens libres de ce pays, aucune bannière particulière à défendre, si ce n'est celles de notre indépendance, de notre refus des classifications, et de notre liberté. Ne sont-elles pas les plus belles ?

     

    Pascal Décaillet

     

  • Les voix arabes, où sont-elles ?

     

    Sur le vif - Mercredi 29.01.20 - 15.45h

     

    J'ai connu, dans ma jeunesse, un temps - plutôt court - où existait une forme de conscience arabe dans le monde. Lorsqu'une partie du monde arabe était attaquée, ou humiliée, on entendait d'autres voix arabes prendre sa défense.

    Un homme, unique au vingtième siècle, avait réussi cela : c'était Nasser. Son discours sur Suez, en 1956, son charisme, son intelligence, son emprise sur les foules, ses dons oratoires, son attitude d'Etat face à tous les extrémismes de son propre pays, avaient fait de lui un homme d'exception.

    Alors oui, il y eut un temps, entre la fin des années 60 et le début des années 70 (peut-être entre juin 1967 et octobre 1973, donc entre deux Guerres, celle des Six-Jours et celle du Kippour), où put fuser, dans le monde, l'idée d'une Nation arabe. Sans que les contours de cette dernière, au demeurant, ne fussent jamais définis avec exactitude : on savait toute la pluralité antagoniste - et pas seulement dans l'ordre religieux - qui se cachait sous l'identité arabe.

    Aujourd'hui, 29 janvier 2020, nous sommes face à un "plan de paix" américain qui relève de la farce et de la provocation. Jamais, depuis 1948, en tout cas depuis 1967, l'identité palestinienne n'a été aussi cyniquement niée, au profit du colon. Et en ce jour de deuil, de tristesse, de désespoir pour une partie essentielle des Arabes du Levant, où sont-elles, les autres voix arabes, pour dire leur solidarité ?

    Ami de cette région du monde, où je me suis souvent rendu, ami de tous les peuples qui s'y trouvent, je cherche vainement, aujourd'hui, l'esquisse d'une conscience arabe, au-delà des frontières, au-delà des intérêts financiers, au-delà de ces richesses qui fossilisent l'esprit et pétrifient les âmes. C'est là, le vrai drame arabe d'aujourd'hui.

     

    Pascal Décaillet

     

  • Robert-la-Morale

     

    Sur le vif - Mercredi 29.01.20 - 13.53h

     

    Les petits numéros d'indignation de Robert Badinter sont de plus en plus insupportables.

    Oh, je ne parle pas du fond. Il est, en effet, totalement inacceptable de brandir la tête d'Emmanuel Macron - comme, d'ailleurs, celle de qui que ce soit - sur une pique. L'ancien ministre de la Justice a raison de le dénoncer.

    Mais le problème n'est pas là. Vous avez vu ce ton ? N'oublions jamais que nous avons affaire à un avocat pénaliste, qui fut en son temps l'un des meilleurs de France. Il maîtrise l'art de convaincre, il connaît à fond les registres du théâtre, il excelle dans l'usage de la feinte. Un homme qui a réussi, avant 1981, à sauver des têtes, est un maître dans l'ordre du drame. Il sait quel visage prendre, quel sentiment jouer. Il module sa voix. Il intériorise la colère. Tout cela est de l'ordre d'une composition. Et ça marche : l'immense majorité des gens vous diront que Robert Badinter, conscience vivante de l'Esprit des lois, est un type formidable.

    Je ne partage pas ce point de vue. Oh, j'ai admiré cet homme naguère : adversaire acharné, toute ma vie, de la peine de mort, j'ai applaudi lorsque, la première année du règne de François Mitterrand, le Garde des Sceaux Badinter a fait voter la loi d'abolition. Rien que pour cela, l'homme a sa place dans l'Histoire.

    Mais je n'aime pas le Badinter d'aujourd'hui. Oh, je sais, c'est délicat à dire lorsqu'il s'agit d'un brillant nonagénaire, dont le courage, la lucidité, les qualités intellectuelles sont indiscutables. Mais, désolé, j'aime de moins en moins le systématique numéro d'indignation qu'il nous livre sur les écrans. Cet homme de qualité est devenu Robert-la-Morale. Cet avocat a changé de robe, pour endosser celle du Procureur. On l'entend de moins en moins analyser, de plus en plus s'étrangler d'indignation.

    Ce grand acteur calcule à merveille son effet. Il a saisi, mieux que d'autres, la grammaire du petit écran. Il prémédite, avant d'entrer en scène, comme jadis avant le prétoire, ce que seront son visage, ses yeux, les tonalités de sa voix. Bref, il plaide. Et, comme il connaît le temps court de l'antenne, il nous évite l'exposition, pour nous livrer uniquement le moment passionnel. Ce petit numéro peut avoir une fois, deux fois, son charme. A la dixième fois, la ficelle devient visible. A la quinzième, elle est insupportable.

    Puisse ce grand esprit venir à nous avec l'étendue de sa culture, et la puissance intrinsèque de ses arguments. Souvent, nous serons avec lui. Puisse-t-il en faire un peu moins - en tout cas, moins systématiquement - dans le petit numéro préparé où le plaideur fronce le sourcil, rentre le regard, va chercher dans sa voix la gravité du Commandeur. Et nous laisse, comme Dom Juan, face aux feux de l'Enfer.

     

    Pascal Décaillet