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Liberté - Page 39

  • "Chroniqueur" : un mot dévoyé par les coqs parisiens

     
    Sur le vif - Dimanche 23.06.24 - 17.37h
     
     
    Loin de moi l'idée d'entamer une carrière d'étrangleur, mais je veux, une fois pour toutes, tordre le cou à cette scandaleuse distorsion d'un mot, depuis quelques années, sur les chaînes privées françaises : le mot "chroniqueur".
     
    François Mauriac, dans le Figaro, puis dans l'Express, était un chroniqueur. Dans une colonne plutôt brève, appelée "Bloc-Notes", il déboulait, croquait un sujet de son choix, brillait par sa plume, sa cruauté, et même un humour qui n'apparaît pas, en première lecture, dans ses romans. Il était en décalage avec le reste du journal, il faisait un court numéro, étincelait, puis tirait sa révérence. On aimait on non, c'était Mauriac. Et surtout, c'était une chronique.
     
    De même, la chronique radio, dense, limitée dans le temps (plus elle est courte, ciselée, meilleure elle est), vous offre l'irruption d'une voix, un timbre, un tempérament. On surgit, à 07.20h du matin par exemple, on ne s'éternise surtout pas, on s'éclipse. Cela aussi, c'est une chronique.
     
    J'en viens au dévoiement du terme, aujourd'hui. Ce que les surexcités parisiens des chaînes privées, toutes orientations politiques confondues (donc celles de la droite dure, comme les autres, j'insiste sur ce point), ont le culot d'appeler "chroniqueurs", n'a strictement plus rien à voir avec la sublime intervention d'un soliste dans un concerto ou une symphonie, celle que l'on retiendra plus que le concert lui-même.
     
    Non, les prétendus "chroniqueurs" à la mode parisienne ne sont que des meutes, toujours recommencées, d'impénitents bavards. Leur existence précède l'essence de l'émission, c'est très Saint-Germain au fond : par nature, il sont là, le thème suit. L'émission, on la construit autour d'eux, et non autour de la primauté d'un sujet. La bande de bavards est là, par définition, elle fait tapisserie. Et aura son mot à dire sur absolument tous les sujets du monde, l'important étant qu'elle ramène sa fraise, loin de toute idée de pertinence, ne parlons pas de compétence, ce sont là des mots d'un autre âge.
     
    Dans ces émissions, on ne se fatigue même plus à inviter des politiques, un de droite, un de gauche, par exemple, dans l'idée de construire le débat démocratique sur l'antagonisme sémantique entre leurs positions. Non, on reste en famille. Entre "chroniqueurs". C'est moins fatiguant à préparer. Moins onéreux en frais de téléphone. Et tellement plus confortable, en termes de consanguinité.
     
    Ce qui arrive à la France, ces jours, dans sa crise démocratique majeure, la vitrine recommencée de ces "chroniqueurs", gladiateurs d'un soir avec une bonne dose de ketchup, en est, à bien des égards, responsable. Voilà des années que le débat démocratique, compétent et bien posé, a cédé la place à des combats de coqs stériles. Il ne faut pas trop s'étonner, si l'image même de la politique, au sens le plus noble, celui d'Aristote, s'en trouve, pour longtemps, dévastée.
     
     
    Pascal Décaillet

  • 22 juin 1974, Sparwasser, Hambourg, 78ème minute

     
     
    Sur le vif - Dimanche 23.06.24 - 10.31h
     
     
     
    Jamais je n'oublierai ce match, il y a cinquante ans et un jour, 22 juin 1974, au Volksparkstadion de Hambourg, dans le cadre du Mondial, entre la BRD et la DDR. Une rencontre de la Coupe du monde avec seulement des Allemands sur le terrain !
     
    25 ans après la naissance des deux Etats (1949), l'Allemagne de l'Ouest, la mythique équipe de Beckenbauer qui gagnera d'ailleurs la Coupe en finale face à la Hollande, affronte... l'Allemagne de l'Est !
     
    J'avais seize ans et deux jours, j'étais à moins de deux ans de ma Maturité, je m'apprêtais à retrouver l'Allemagne pour tout un été. Ce match avait à mes yeux une importance capitale.
     
    Le public connaissait mal l'équipe de la DDR, alors que celle de l'Ouest était déjà une star mondiale. Des Frères de l'Est, on pensait qu'elle ne ferait qu'une bouchée. On a eu tort.
     
    Le monde entier a fait la connaissance, ce jour-là, du football est-allemand. À la 78ème minute, le destin a basculé : Jürgen Sparwasser, 26 ans, attaquant au FC Magdeburg, a marqué. Une joie immense, dans les gradins de l'Est, a éclaté. La DDR, un peu plus de douze minutes plus tard, l'a emporté 1-0 face à l'Ouest. Elle a battu le futur vainqueur du tournoi ! Alors, Sparwasser et les siens se sont payés un tour d'honneur dans le Volksparkstadion de Hambourg.
     
    Moins de deux heures plus tôt, le "Auferstanden aus Ruinen" avait précédé le "Deutschland über alles". Tout cela, dans une ambiance de respect mutuel : deux équipes d'un même peuple se faisaient face. Willy Brandt, le plus grand Chancelier allemand de l'après-guerre, orfèvre de l'Ostpolitik, venait hélas de quitter le pouvoir à cause de la stupide Affaire Guillaume. L'ambiance, entre les deux Allemagnes, était au rapprochement.
     
    J'étais constamment dans les Allemagnes à cette époque-là, je peux vous dire que l'ignoble mépris de l'Est par certains Allemands de l'Ouest n'est venu que plus tard, avec les années Reagan, puis Bush Senior, et les années Kohl à l'Ouest. L'importation en Europe de cet insupportable anticommunisme américain, manichéen. Il aura pour conséquence le phagocytage pur et simple de l'Est par le glouton Kohl, c'est cela, cette vulgarité-là du capitalisme occidental, qu'on appelle "Réunification".
     
    On en voit les résultats aujourd'hui, sur la carte des dernières élections européennes.
     
    Je fais partie des gens qui se passionnent viscéralement pour ce qui fut, entre 1949 et 1989, une partie intégrante de l'Histoire des Allemands. Ceux, simplement, qui se trouvaient à l'Est.
     
    Mais des Allemands, à 100%, de langue et de culture allemande, de caractère allemand, comme les autres Allemands.
     
     
    Pascal Décaillet
     
     

     

  • À mon âge, mais à bout de souffle : la Cinquième République !

     
    Sur le vif - Samedi 22.06.24 - 11.36h
     
     
    Pendant toute mon enfance, puis toute mon adolescence, puis de longues décennies comme adulte, j'ai admiré la Cinquième République française. Il est vrai que j'en ai exactement l'âge, étant né au moment du retour aux affaires du Général de Gaulle, juin 58, après douze ans et demi d'absence du pouvoir.
     
    Partisan d'un Etat fort, j'ai pleinement compris le renforcement de l'exécutif amorcé en 1958, déjà intégralement décrit, avec une précision visionnaire rare, douze ans plus tôt, lors du Discours de Bayeux, le 18 juin 1946, alors que le Général avait quitté le pouvoir depuis cinq mois.
     
    Ce renforcement autour d'un homme fort a permis le retour de l'Etat, la fin (dans des conditions complexes et difficiles) de la guerre d'Algérie, le retour à une politique étrangère indépendante et souveraine, notamment face à l'atlantisme, la réconciliation franco-allemande. Donc, oui à la Cinquième République, oui au Président élu au suffrage universel (référendum de 62), et surtout un immense oui à de Gaulle.
     
    Hélas, 66 ans après sa naissance, je dois reconnaître que la Cinquième n'est plus à la mesure des besoins de la France. Les habits du Général sont beaucoup trop grands pour ses successeurs, à commencer par l'actuel titulaire de la charge. Surtout, la focalisation de tous les esprits sur un seul homme ne correspond absolument plus aux besoins actuels de la France. On a déjà vu cela avec les Gilets jaunes, dont les légitimes revendications de démocratie directe n'ont absolument pas été écoutées. On le voit, plus que jamais, dans la crise actuelle.
     
    Le pire, ce sont les médias, et notamment les ineffables chaînes privées. D'interminables tables rondes de "chroniqueurs", qui ne chroniquent rien du tout, mais bavardent, se harponnent, s'étripent, s'éviscèrent. Ils parlent de quoi ? De Macron, de Macron, et encore de Macron ! Va-t-il s'en sortir ? Est-il pris à son propre piège ? Cohabitera-t-il ? Démissionnera-t-il ?
     
    Au lieu de parler du pays profond, des trois thèmes centraux que sont la souveraineté nationale, la souveraineté économique (agricole et industrielle), et surtout l'impérieuse nécessité de réguler l'immigration, nos chroniqueurs nous abreuvent de supputations sur les intentions du Prince. Au lieu de parler du peuple français, ils n'en finissent pas de nous produire du Points de vue et Images du monde sur le locataire de l’Élysée.
     
    Ils ont tort. Le héros de l'histoire, le personnage principal, celui qui est en souffrance, c'est le peuple français. Lui à qui il faut enfin donner la parole, mais pas en lui précipitant des législatives anticipées à la veille des vacances ! Non, la France doit, comme le sollicitaient les Gilets jaunes, inventer un système à elle pour donner la parole au peuple, directement sur les thèmes. Quelque chose à l'image de ce que nous connaissons - et apprécions tant - en Suisse. Mais c'est à elle de l'inventer, selon son génie propre.
     
    Tout cela, c'est un changement de système. Plus qu'un simple aggiornamento. Un pas de la République vers le peuple profond. Tout cela, oui, pourrait lancer les fondements, si les Français le veulent, d'une Sixième République.
     
     
    Pascal Décaillet