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Liberté - Page 1432

  • Doux empire

     

    Chronique publiée dans la Tribune de Genève - Jeudi 04.03.10

     

    Ces jours, à Genève, à l’arrière des trams, des bus, en prélude à tous les films, dans les salles de cinéma, la pub des partisans de la loi sur l’énergie. Elle est agréable, rafraîchissante, bien faite : elle préfigure un monde plus doux, plus vert, moins réchauffé, moins imprégné par Marx, Jaurès, le sang des hommes, le tragique de l’Histoire.

    Il serait intéressant de savoir un jour combien les milieux financiers, patronaux, ceux qui représentent les entreprises du bâtiment, ont investi dans cette machine de propagande. Car c’en est une. Omniprésente. Avec, en sus, le soutien d’une coalition de partis politiques où on retrouve les Verts avec la droite. Le cartel des bien pensants, ceux qui tiennent Genève et ont la ferme intention d’y faire, entre eux, de bonnes affaires.

    Rarement disproportion entre les moyens de campagne des uns et des autres n’aura été aussi flagrante. Les Genevois jugeront, dimanche, s’il est aussi impérieux que cela de se mettre à isoler des centaines d’immeubles. Puissent-ils prendre leur décision en conscience, et non sous le doux empire du Nirvana Vert, ce mythe d’une humanité qui sortirait de l’Histoire pour entrer dans un monde meilleur, enfin propre.

    Propagande ? Oui. Alliance de circonstance entre les forces de l’argent et l’onirisme verdâtre. Isolons-nous, citoyens : non du froid, mais des obligations de pensée. Ca revigore.

     

    Pascal Décaillet

     

  • Loques à terre

     

    Chronique publiée dans la Tribune de Genève - Lundi 01.03.10

     

    A l’heure où le parti de leurs aînés s’englue dans un travail d’introspection qui n’en finit pas, les Jeunes Socialistes, à Genève, brillent par leur fraîcheur, leur inventivité, leur envie de faire de la politique de façon joyeuse et percutante, en touchant les gens, sans leur faire la morale.

    Ils sont une petite équipe, parmi lesquels Romain de Sainte Marie, grand garçon souriant à la voix douce. Ils descendent dans la rue, montent des coups, parlent aux gens. Bref, ils en veulent. Avec eux, la vie est en couleur, là où chez leurs aînés, elle apparaît plutôt comme un documentaire noir-blanc sur la neurasthénie dans les mines de Silésie, années cinquante.

    Regardez la campagne sur la loi sur l’énergie, avec ce scandaleux clip des « pour » (financé par qui ?), qu’on nous assène dans toutes les salles de cinéma. Les Jeunes socialistes, eux, tournent une vidéo à zéro franc, remplacent « locataires » par « loques à terre », c’est drôle, c’est vivifiant, et le tour est joué.

    A certains caciques du parti de leurs aînés, ils devraient donner des cours de communication : bien parler, ça n’est pas faire bailler l’auditeur. L’image, ça n’a rien de scélérat. Faire de la politique sans donner l’impression qu’on a envie de se pendre, ça n’est pas interdit. Aimer la vie, l’image, ça ne relève pas, jusqu’à nouvel ordre, du Code pénal. Vous ne trouvez pas, Monsieur Longet ?

     

    Pascal Décaillet

     

     

     

  • La vie qui recommence

     

    Chronique publiée dans le Matin dimanche - 28.02.10

     

    Il est un peu fou, mais il est génial. Il dit toujours la même chose, et chaque fois on l’écoute. Collés. Scotchés. Son verbe à lui est la bonne aventure, « éparse au vent crispé du matin » (Verlaine), il est chaleur et lumière, je ne partage pas le dixième de ses convictions, mais chaque entretien avec lui est une fenêtre sur la vie qui recommence. Oui, Jean Ziegler a du charisme. Il fait partie des gens que je préfère : ceux qu’on déteste.

     

    Un humain n’est pas sur terre pour être aimé, mais pour se battre. Quand nous avons vu débarquer Ziegler, pour l’interview, il revenait d’un meeting à Olten, la ville des gens qui se pendent et des cheminots qui vomissent sur les rails : il avait harangué des militants, la veille, puis avait dormi dans le très riant quartier de la gare. Un « meeting » ! A 75 ans. A l’heure de Facebook, il continue, lui, de faire des meetings. Et devant nous, il ouvre sa valise, et l’after-shave s’est ouvert, et il y en a partout. Un peu Che Guevara, un peu Mister Bean, c’est Jean Ziegler.

     

    Et pendant qu’il prononce les mots irrévocables, étrillant Merz, napalmisant l’UBS, saluant (eh oui !) Stauffer, je me dis que la folie de cet homme-là, qui nous parle des consciences cumulées allant vers la résurrection, vaut mille fois les syllogismes des pisse-froid. Il nous parle, et nous comprenons : en quoi est-ce un crime ? L’image est juste, le verbe brûlant, le rythme saccadé, l’hyperbole nous ensorcelle. Il est fou, et alors ?

     

    Au royaume des raisonneurs et des raisonnables, des conseillers fédéraux qui couchent avec l’algèbre pour enfanter des « solutions », voilà le verbe de l’opprobre et de l’amour, l’appel à la fraternité, voilà l’Imprécateur. Avec Ziegler, l’heure de Léon Bloy  a sonné. Vous avez bien lu : pas celle de Blum. Celle de Bloy.

     

    Pascal Décaillet