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Liberté - Page 1277

  • Oslo-Nanterre: la vie contre la mort

     

    Lundi 25.07.11 - 11.54h

     

    La Norvège est en deuil, nous sommes tous en pensée avec elle. L'attentat d'Oslo est inqualifiable, les motivations de son auteur, aussi. À partir de là, que dire de plus, qui soit sensé, éclairant sur cette horreur, ne relève pas du remplissage, ni du traditionnel cortège « d'experts », l'un sur l'extrême droite en Europe, l'autre sur les néo-nazis en Scandinavie, un troisième sur le « fondamentalisme chrétien » ?

     

    Cette volonté de remplir, tout de suite étiqueter, révèle notre ignorance. En quoi les métastases fantasmatiques d'un Norvégien isolé doivent-elles nous interroger sur autre chose que sa propre folie ? Le malheur fait partie de l'Histoire humaine, le tragique aussi. Jamais nous ne pourrons les éradiquer.

     

    Je me suis trouvé, le soir même de la tuerie de Nanterre (27 mars 2002), dans la chambre mortuaire. Il y avait là des conseillers municipaux, des élus du peuple, assassinés, en pleine séance, par un forcené. Le peuple de Nanterre, en masse, était venu leur rendre hommage, bouleversé, mais fier d'appartenir à cette commune, plus décidé que jamais (comme les Norvégiens, aujourd'hui), à continuer de vivre son destin commun. La folie des assassins est terrible, mais en aucun cas nous ne devons sous-estimer la puissante volonté des survivants de ne pas se laisser impressionner.

     

    La Suisse, comme la Norvège, est multiculturelle. Elle a choisi de l'être, en tout cas depuis le milieu du dix-neuvième siècle. Elle a, assurément, fait le bon choix : les strates d'étrangers, au fil des décennies, ont construit ce pays avec nous, elles se sont intégrées. La Suisse, en aucun cas, ne saurait se référer à une race pure, un noyau dur qui aurait résisté aux métissages. Sa pluralité est dans sa nature. Cela est valable pour les langues, pour les religions, pour la liberté de culte, le respect de ceux qui croient, ou d'ailleurs ne croient pas.

     

    Il y a très longtemps, avec ma famille, je suis allé en Norvège, jusqu'au Cap Nord. Voyage féerique, soleil de minuit, nous nous disions que ce pays modeste et tranquille ressemblait au nôtre. Cette similitude, aujourd'hui, me semble dépasser très largement celle des paysages : il s'agit d'une démocratie meurtrie dans sa chair. Elle n'a pas, sous prétexte de la folie d'un homme, à rougir de ce qu'elle est, ni surtout de s'être ouvert aux autres peuples du monde. Pas plus que les survivants de Nanterre, arpentant la chambre mortuaire au soir du 27 septembre 2002, à deux pas du Théâtre des Amandiers, où Chéreau mille fois réinventa la vie, n'avaient à rougir d'être ce qu'ils étaient : une communauté humaine désireuse, simplement, de vivre ensemble.

     

    Pascal Décaillet

     

     

     

  • Mitterrand, sur le vif, par Michèle Cotta

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    Notes de lecture - Dimanche 24.07.11 - 16.51h

     

    De mes hauteurs valaisannes, d'où j'écris ces lignes, j'ai le privilège d'avoir depuis tant d'années, authentiquement surgies du grenier, une collection de magazines « L'Express » des années soixante, celui de la grande époque, Jean-Jacques Servan-Schreiber, Françoise Giroud. Quinze mille fois, je l'ai les décortiqués, dégustés. Toujours avec le même bonheur : celui de savourer des analyses politiques n'ayant, avec le recul d'un demi-siècle, pas pris une ride. Les plumes en sont magistrales. Beaucoup d'entre elles sont féminines : Giroud, bien sûr, avec ses éclairs, mais aussi Irène Allier, Catherine Nay (dès 1968) et Michèle Cotta. Nous sommes là dans une aristocratie du journalisme politique français dont le moins qu'on puisse dire est qu'on peine à déceler l'équivalent aujourd'hui.

     

    Déjà, dans ces années soixante, le style Cotta : factuel, dans le sens le plus noble du terme. Jeune journaliste, elle avait décroché la toute première grande interview de François Mitterrand après l'affaire de l'Observatoire (1959), dont il était sorti laminé. Pendant 37 ans, 23 d'opposition, puis 14 d'Elysée, le destin de la journaliste (qui accèdera aux plus hautes fonctions de l'audiovisuel) ne cessera de croiser celui de l'homme politique le plus énigmatique et le plus séduisant de l'après-guerre en France. Publiées en mars, avec une préface inédite, les 868 pages de ses « Carnets de route » avec Mitterrand constituent une lecture passionnante, piquante, rafraîchissante comme l'eau vive puisée directement à la source : celle de ces notes, prises sur le vif, devant servir de canevas à ses papiers de l'époque.

     

    On y découvre quoi ? Un exceptionnel combattant politique. L'homme qui ne renonce jamais. L'homme seul, le plus insulté de France, abandonné de tous au lendemain de l'Observatoire ou de Mai 68. L'homme pulvérisé, qui patiemment se reconstruit. L'homme qui connaît par cœur chacune des circonscriptions de la carte électorale française. L'homme qui, très lentement, face aux caciques de la SFIO, face à la deuxième gauche de Rocard, à force d'un acharnement sans pareil, s'impose au sein d'une famille socialiste qui, au départ, n'est absolument pas la sienne. L'homme qui, non seulement, renverse le rapport de forces entre socialistes et communistes, mais finit par reléguer ces derniers, premier parti de France à la Libération, dans un rang mineur.

     

    On y découvre aussi qu'en politique, rien n'est jamais gagné, ni d'ailleurs perdu, qu'il n'y a aucun ami, que tout proche est un traître potentiel, que le danger est partout. Il n'y a ni monarque, ni « Dieu », ni « Tonton », il y a l'aspérité du combat d'un homme seul, à la constante merci du piège, de la chute, de la disparition. Il y a aussi, dans ces carnets, la très grande violence de la vie politique, éliminer l'autre, et avant tout le proche. « 1967 : comme je lui demande comment il compte s'y prendre pour déjouer les assauts de Guy Mollet, alors secrétaire général de la SFIO, qui ne veut pas lui laisser le champ libre à gauche, il me répond : « C'est simple, Guy Mollet pense à m'abattre 23 heures sur 24. Il me suffit, à moi, de penser 24 heures sur 24 à être plus fort que lui » (Page 852, réflexion de Michèle Cotta le 8 janvier 1996, jour de la mort de François Mitterrand).

     

    Au fil de toutes ces notes, Michèle Cotta ne cherche pas à faire du style, ni à prétendre, comme d'autres, tramer une oeuvre littéraire autour du destin, déjà par nature si romanesque, du héros. Et c'est précisément la sobriété de ces carnets qui révèle les lignes de force d'une vie, d'un combat, d'un caractère. Autour du personnage principal, certaines figures, comme Mauroy, sortent grandies. D'autres, comme Rocard, étrillées. On ne peut pas dire, concernant ce dernier, que la narratrice le défende avec acharnement, tout au plus un sobre « bravo » au moment des Accords de Matignon, juin 1988, sur la Nouvelle-Calédonie (page 648).

     

    Quant à la somme phénoménale des intrigues, embrouilles, chausse-trappes, au sein même de la famille socialiste, elle dépasse l'entendement. On mesure, en lisant Michèle Cotta, à quel point la discorde interne est ontologiquement ancrée dans ce parti-là. Qu'il faut pourtant, et impérativement, d'abord contrôler si on aspire ensuite à l'Elysée. Le seul qui soit, jusqu'à nouvel ordre, parvenu, à ce jour, à maîtriser successivement le parti, puis le pays, s'appelle François Mitterrand. On conseillera donc avec beaucoup de diligence cette lecture d'été à Martine Aubry, Ségolène Royal et François Hollande. Et, plus largement, à tous ceux que passionne la politique française, et la figure magistrale du personnage principal de ces carnets.

     

    Pascal Décaillet

     

    *** "Mitterrand, carnets de route", par Michèle Cotta, Editions Pluriel, 868 pages, mars 2011.

  • Comment dit-on « lampiste » en genevois ?

     

    Sur le vif - Vendredi 22.07.11 - 15.07h

     

    Marc Fues, ancien directeur de la Banque Cantonale de Genève, condamné à 180 jours-amendes pour faux dans les titres. René Curti, son adjoint, à 120 jours. Dominique Ducret, l'ancien président, acquitté. Les deux réviseurs aussi. Ce verdict appelle les six commentaires suivants :

     

    1) Il est heureux que ce procès aboutisse à un épilogue.

     

    2) En chargeant MM Fues et Curti, c'est clairement l'échelon de commandement opérationnel, et lui seul, qui est reconnu coupable. On aurait plaisir à savoir pourquoi.

     

    3) En acquittant les échelons de contrôle (interne à l'entreprise, par la présidence du conseil d'administration, et externe par les réviseurs), les juges entendent-ils que ces échelons n'étaient pas au courant de ce qui s'est passé ? Si c'est le cas, ça n'est peut-être pas pénal, mais il faudra, à l'avenir, se passer de confier à ces Messieurs des responsabilités de gestion de cette envergure.

     

    4) L'Etat de Genève, celui des années 2010-2011, était-il vraiment habilité à jouer - et, à certains moments, surjouer - la « partie plaignante » ?

     

    5) L'échelon de contrôle politique, via les différents conseillers - et conseillères - d'Etat impliqués, au fil du temps, dans cette affaire, est-il définitivement à exonérer de toute responsabilité ?

     

     

    6) Comment dit-on « lampiste » en dialecte genevois ?

     

     

    Pascal Décaillet