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Liberté - Page 1275

  • Un jour, Christophe Darbellay devra sacrifier Mme Widmer-Schlumpf

     

    Sur le vif - Vendredi 29.07.11 - 11.18h

     

    J'ai lu le Blick d'hier, et ne comprends absolument pas l'insistance de Christophe Darbellay à s'accrocher  à la présence d'Eveline Widmer-Schlumpf au Conseil fédéral. Ou plutôt si, je la comprends : pour d'évidentes raisons tactiques ! Le président du PDC suisse veut garder avec lui le PBD, ce parti né de la crise du 12 décembre 2007, il espère pouvoir constituer, avec cet allié et d'autres, un groupe parlementaire plus important que ses éternels adversaires du PLR au lendemain des élections fédérales. Il ne va donc pas commettre l'erreur, en pleine campagne, de dégommer la conseillère fédérale de ce parti. Admettons. Encore faut-il attendre le verdict du peuple, au soir du 23 octobre, et nul ne peut le prévoir.

     

    Être un brillant tacticien est une chose, on a en a compté des dizaines, justement du côté du MRP (le centre-charnière, d'inspiration démocrate-chrétienne) sous la Quatrième République française. Les gazettes de l'époque, qui s'amoncellent dans mes caves et greniers, ne parlaient que d'eux, les Pfimlin, les Teitgen, les Bidault, les Pleven. Qui, aujourd'hui, se souvient d'eux ? À quoi bon la tactique (certes indispensable), si elle n'est au service d'une vision supérieure de l'Etat ?

     

    Cette vision, je sais que Christophe Darbellay la possède. Mais il doit faire attention aux signaux qu'il donne à sa propre famille politique, la droite suisse. Oui, la droite. La bonne vieille droite, qui commence au PDC et se termine à l'UDC. Il y a, en Suisse, une gauche. Et il y a une droite. Et ceux qui se proclament « centristes », observons l'ensemble de leurs votes. Et l'on constatera très vite que, sur la plupart des sujets, une fois passées leurs jérémiades moralisantes, ils finissent par voter beaucoup plus à droite qu'on ne croirait. Il faudra bien, un jour, que l'on torde un peu le coup à cette mythologie du centre. Relisez absolument les remontrances de Pompidou à son Premier ministre Chaban-Delmas, au lendemain du discours (oh, brillantissime) de ce dernier, le 16 septembre 1969, sur la « Nouvelle Société », un petit chef-d'œuvre signé Simon Nora et Jacques Delors. Chaban y multipliait les gages à la gauche. Pompidou lui a juste dit : « On ne trahit pas son électorat ». Or, l'électorat de Christophe Darbellay, dans les profondeurs du Valais, je ne suis pas sûr qu'il soit exagérément « centriste ».

     

    Signaux internes à la droite : s'accrocher désespérément à une conseillère fédérale arrivée à son poste par le seul jeu de la trahison interne, incarnant d'ailleurs le coup du 13 décembre, c'est se mettre à dos une partie considérable - et pas seulement UDC - de la droite suisse. C'est consacrer une logique de coulisses parlementaires qui, d'année en année, ruine le crédit du Parlement comme grand électeur. Il serait intéressant que Christophe Darbellay songe un jour à rompre avec ce passé, rompre avec cette dame, avec tout ce que sa présence au Conseil fédéral rappelle et signifie. Rompre avec l'apologie du pronunciamiento du 12 décembre 2007, qui fut une inutile brisure au sein d'une droite suisse que les électeurs, en octobre de la même année, venaient pourtant de plébisciter comme jamais.

     

    Ce jour-là, Christophe Darbellay avait choisi de sacrifier Blocher. Bientôt, pour survivre, il devra sans doute sacrifier Mme Widmer-Schlumpf. Ainsi va la politique, infidèle et cruelle. Avec ses griffes, impitoyables, de jeune tigresse.

     

    Pascal Décaillet

     

     

  • Double appartenance

     

    Sur le vif - Jeudi 28.07.11 - 19.24h

     

    Guy Mettan a eu mille fois raison d'utiliser, à l'instant sur la RSR, le mot « double appartenance » pour parler des Valaisans de Genève. Ces milliers de Valaisans (combien sont-ils exactement ?) dont les parents, ou les grands-parents, ou eux-mêmes sont venus s'installer dans la ville de Calvin. Depuis, en tout cas, la seconde partie du dix-neuvième siècle, avec de puissantes poussées migratoires à la fin de chacune des deux Guerres mondiales.

     

    Double appartenance, oui. Les Valaisans de Genève aiment leur canton d'origine, d'un amour parfois plus intransigeant encore que certains indigènes. Et ils aiment profondément Genève. Comme les Jurassiens, les Fribourgeois de Genève, aiment Genève. Comme les Italiens, les Espagnols, les Albanais de Genève, aiment Genève. Oui, les identités sont cumulables, il n'y a nul reniement de l'un à s'éprendre aussi de l'autre.

     

    Oui, il y a la magie d'un lien direct entre le Valais et Genève, ne me demandez pas lequel, je serais incapable de vous l'expliquer. Toute ma famille est Valaisanne, une branche d'Orsières, l'autre de Salvan, tous mes ancêtres, à perte de vue, sur les arbres généalogiques. Je les aime, je me sens leur héritier, et pourtant j'aime Genève. Même si chaque entrée en Entremont, ou du côté du Trient, ou dans les splendeurs du Haut Val de Bagnes, me serre intensément le cœur.

     

    Catholique, je n'ai jamais ressenti à Genève le moindre ostracisme. Ni le moindre mépris. Les quelques protestants de « la haute » que j'ai pu fréquenter, à commencer par mon professeur, Olivier Reverdin, me sont toujours apparus d'une infinie délicatesse quant à la pluralité confédérée de leur ville. Il y a, de Gletsch aux Saintes Maries de la Mer, un petit miracle qui s'appelle le Rhône. J'ai toujours cru à la loi des fleuves et des bassins, d'extraordinaires géographes et poètes en ont si bien parlé.

     

    Bravo à Pierre Maudet, le Maire, d'honorer les Valaisans de Genève, aux Bastions, le 1er Août prochain. On dit qu'ils sont plus nombreux qu'en ville de Sion. J'ai la chance de faire partie de ceux d'entre eux qui ont un point d'attache dans le Vieux Pays, d'où j'écris ces lignes. Mais peu importent les bornes. Il n'y a, au fond, ni départ ni retour. Ni exil, ni royaume. Il n'y a que la richesse d'un cœur d'homme, ou de femme, à s'ouvrir à deux identités. La première et la dernière. Celle d'où l'on vient. Celle où l'on vit. Celle où l'on meurt. Celle où l'on aime.

     

    Pascal Décaillet

     

     

     

     

     

     

  • Candidats, un peu de culture sur vos partis, SVP !

     

    Sur le vif - Jeudi 28.07.11 - 12.42h

     

    Journaliste politique, j'ai toujours adoré les périodes électorales. Elles prêtent à la déraison, la démesure. Elles fermentent. Révèlent les caractères. Âgé de 45 ans au moment des législatives de mars 1978 (où tout le monde donnait la gauche gagnante, et voyait Mitterrand devenir Premier ministre de Giscard), le phénoménal Jacques Chirac a sauvé et la droite et Giscard (qu'il détestait déjà), en serrant un million de mains pendant la campagne ! Physiquement, ça fait mal : la main est un savant réseau de nerfs, de muscles et de cartilages qu'on ne peut pas impunément maltraiter. Bien que catholique, j'ai toujours détesté les carnavals. Mais j'ai toujours adoré les bonnes vieilles campagnes électorales républicaines. Elles ont le goût, incomparable, du cassoulet. J'aurais tellement aimé vivre celles des radicaux ou des socialistes, dans d'improbables villages du Sud-Ouest, sous la Troisième République. Ou les ultimes meetings de Mitterrand, toujours à Toulouse, l'avant-veille du second tour.

     

    Il y a quatre ans, septembre-octobre 2007, en direct sur le plateau de « Genève à chaud », sur Léman Bleu, j'ai reçu, l'un après l'autre, les 97 candidats genevois au Conseil national ! Ils avaient chacun quelques minutes pour convaincre, et devaient répondre, à la fin, à un petit quizz sur l'Histoire et les grandes orientations de philosophie politique de leur parti. Le meilleur, de très loin, à ce petit jeu fut l'UDC Eric Leyvraz, vigneron à Satigny, véritable encyclopédie, incollable. Le moins bon fut.....

     

    J'ai l'intention, cette année, de reconduire cette expérience du quizz. Pas seulement pour la petite note de détente (c'est un quizz souriant, of course) après le questionnement politique. Mais aussi parce que je suis sincèrement persuadé que ceux qui se lancent en politique, aujourd'hui, ne connaissent pas suffisamment l'Histoire politique suisse, celle de leur canton, celle de la Confédération. Ils peinent à citer les grands hommes, et pourtant nous en avons eus. Ils méconnaissent de façon crasse le dix-neuvième siècle, période constitutive de notre univers politique. Ils manquent d'arguments historiques et philosophiques. Donnent souvent l'impression d'être un peu là par hasard. Ou par accointement familial. Ou par copinage Facebook. Je les encourage donc, dès maintenant, à se renseigner sur l'Histoire de leurs partis, l'Histoire genevoise, ou vaudoise, ou valaisanne, l'Histoire suisse, qui est proprement passionnante. De remarquables ouvrages, ces dernières années, dépoussiérés de l'éternelle mythologie de Guillaume Tell, ont été consacrés à ces sujets. Pensons, par exemple, au boulot titanesque d'un Olivier Meuwly.

     

    Je le dis tout net : je ne supporte pas d'avoir face à moi un démocrate-chrétien ignorant du Kulturkampf, de Léon XIII, du Sillon, ou même de la Revue Esprit. Idem, un radical n'ayant jamais entendu parler de James Fazy, ou Druey, ou Joseph Barman. Ou n'ayant pas lu au moins quelques livres sur le radicalisme sous la Troisième République, la loi de 1905, l'Affaire Dreyfus, etc. Ou un libéral ignorant de Tocqueville. Ou un socialiste ne connaissant ni Jaurès, ni Blum, ni Mendès, ni Mitterrand, ni Olof Palme, ni Kreisky, ni Willy Brandt, ni notre admirable Tschudi, ni André Chavanne. Je parle ici des partis qui ont une Histoire. Je pourrais donc évidemment ajouter l'UDC, avec la grande figure agrarienne d'un Minger. Et puis ? Et puis, je crois bien que c'est tout.

     

    Pour parler net, j'en ai marre de l'inculture. J'aime, quand je parle avec un politique, laisser rouler la conversation sur d'autres choses, plus ancestrales, plus fondatrices, que le seul projet de loi du moment. J'aime pouvoir évoquer de grandes figures. Un jeune homme, récemment, m'a ébloui par son univers de références sur son propre parti : le PDC fribourgeois Emmanuel Kilchenmann. Mais il y en a aussi chez les socialistes (Grégoire Carasso), chez les radicaux (Murat Julian Alder, Philippe Nantermod, et plein d'autres). Je perçois moins cette épaisseur dans certains partis monothématiques, trop récents pour avoir une Histoire.

     

    Soyons clairs : il ne s'agit pas d'érudition. Il ne s'agit pas de singes savants. Il s'agit juste, quand on choisit, par exemple, d'adhérer à un parti dont l'étiquette est aussi lourde de références que « démocrate-chrétien » de savoir au moins, un minimum, d'où est issue cette mouvance en Suisse ou en Europe. Avoir tout de même un peu entendu parler du Zentrum bismarckien, ou d'Adenauer, ou de la Democrazia Cristiana d'après-guerre. Savoir qui furent Kurt Furgler ou Maurice Troillet. S'être un peu frotté aux 43 années d'opposition, et de rude combat, des catholiques conservateurs, en Suisse, entre 1848 et 1891. Il existe, pour cela, d'excellents livres. Nos Histoires cantonales, notamment, par quantité d'admirables mémoires et thèses, ont été puissamment revisitées, ces dernières années, par de jeunes chercheurs. Pourquoi les secrétariats des partis politiques, toutes tendances confondues, ne proposent-ils pas ce genre d'ouvrages à leurs jeunes (ou moins jeunes) adhérents ? Ces secrétariats, je le dis, sont aujourd'hui trop gestionnaires, pas assez agitateurs d'idées.

     

    Je ne propose pas des examens d'entrée dans les partis, il y aurait là comme un élitisme censitaire contraire à l'indispensable variété de représentation de la population. Mais enfin, si j'étais secrétaire de parti (ce qu'à Dieu, rassurez-vous, ne plaise), je peux vous dire que j'aurais, avec chaque postulant, un sacré entretien de départ sur ce qu'il a dans le ventre. Évidemment, nul aujourd'hui ne s'y prête, trop content de faire gonfler la liste des nouveaux adhérents.

     

    Les partis politiques sont, depuis la Révolution française, une noble et grande chose. Il est essentiel que les aspirations des uns et des autres puissent se fédérer en quelques grands courants, pas trop, sinon c'est l'atomisation, l'individualisation, la dilution des repères, des frontières. Or, la démocratie, ça n'est pas le « tous d'accord », encore moins le « tous copains ». Non, c'est la confrontation des idées. Par la dialectique. Par l'argument. Par la rencontre avec la population. La gauche, ça existe, elle a même donné, au vingtième siècle, certaines des plus grandes figures de l'Histoire européenne. La droite, idem. Le centre, j'ai un peu plus de peine à lui percevoir une identité propre. Mais enfin, que tous ces grands courants s'interpellent et se combattent, en connaissance de leurs valeurs respectives, de leurs Histoires, c'est cela la grandeur du combat politique. Les passerelles, c'est tout à la fin, une fois qu'on s'est battu. Les poser d'emblée comme nécessaires, c'est abdiquer ses valeurs avant même d'avoir livré bataille.

     

    Pascal Décaillet