Sur le vif - Dimanche 14.07.13 - 16.32h
D’abord, le décor, éloquent. La tradition voulait, depuis des années, que le Président de la République française donnât son traditionnel entretien télévisé sur fond de garden-party. Isolé du brouhaha, certes, mais précédé ou suivi d’images festives, avec les traditionnels courtisans et pique-assiettes, entre ronds de jambe et petits fours. De cette extase du paraître, nul n’a jamais été dupe, mais enfin ça faisait au moins joli, parce que si on veut donner dans le genre galerie des glaces ou déjeuner sur l’herbe, télévisuellement, autant avoir des figurants. Et surtout, des figurantes.
Là, face à deux journalistes, un homme seul. Derrière lui, la tristesse d’un gazon de gentilhommière moyenne, cela pourrait être Limoges ou Ambérieu-en-Bugey, l’hôtel particulier d’un notable chez Chabrol, sans doute l’assassin. Hélas, ça n’est que Paris. Les jardins de l’Elysée. Et le Monsieur Loyal, rougeaud comme un provincial, se trouve juste être, par hasard, le chef de l’Etat.
L’homme seul, le gazon maudit, la façade arrière d’un palais qui semble totalement vide, déserté. Ils sont où, les courtisans ? Retournés chez Sarkozy ? Dans ce décor, dont je pense qu’il a dû sous-estimer la désespérance, l’homme seul tente de convaincre. Quatorzième mois au pouvoir, il reste près de quatre ans. Sondages catastrophiques. Juste avant, au moment du défilé (impeccable, somptueux), quelques huées sur les Champs, apparemment des opposants au mariage pour tous. Comportement méprisable, je l’affirme sans faiblir : on ne siffle pas un Président de la République dans l’exerce régalien de ses fonctions, au moment où il salue l’armée de son pays.
L’homme seul connaît les règles. Il sait que l’état de grâce ne dure guère plus longtemps qu’au troisième acte d’une pièce de Claudel, il sait la volatilité de l’opinion. Il a parfaitement conscience, au saut du lit ce matin, que ce 14 Juillet ne sera pas sa fête à lui, ou alors si, mais dans un sens qui n’est pas le plus souhaitable. Bref, il serre les dents, encaisse, affronte. C’est exactement pour cela que les Français ont choisi, à la demande du général de Gaulle en 1962, d’élire désormais leur Président au suffrage universel. Pour avoir, au sommet de l’Etat, non un chef de gouvernement, mais une instance supérieure à cela, décrite avec génie et prémonition le 16 juin 1946 par un Charles de Gaulle qui venait (le 16 janvier) de quitter le pouvoir : c’était l’un de ses plus grands discours, celui de Bayeux.
Il a été hué, il souffre ? Je dis qu’il est là exactement dans le rôle présidentiel de la Cinquième République. Celui du chef de l’Etat, qui partage avec le pays profond les peines et les joies. Jamais aussi bon, dans l’entretien de tout à l’heure, que lorsqu’il incarne les institutions républicaines, respectant le Conseil constitutionnel, rendant hommage aux soldats français au Mali. Jamais aussi médiocre que lorsqu’il descend au niveau gouvernemental, voire ministériel, en nous promettant la reprise pour le semestre prochain, passage obligé de toute parole de pouvoir depuis le choc pétrolier de 1973.
Vous le savez, je suis un partisan de François Hollande, j’aurais voté pour lui, je l’avais maintes fois écrit. Partisan de l’homme pour la fonction suprême, et j’estime après quatorze mois qu’il l’assume avec véritable dignité présidentielle, qui tranche avec les manières orléanistes de son prédécesseur. Partisan de l’homme pour qu’il soit à l’Elysée, mais bien sûr pas partisan de toutes les politiques accomplies en son nom, et dont il doit évidemment répondre. Mais les choix politiques, en France, sont une chose. Le président de la République, dans l’ampleur et l’onction que lui confèrent le suffrage universel, en sont une autre.
J’ai encore une chose à dire. Je n’aime pas la manière dont beaucoup de mes amis suisses parlent de François Hollande. Ses ministres mènent certes, par exemple sur les questions fiscales, par à rapport à notre pays, des politiques qui nous sont insupportables, je suis d’ailleurs le premier à le dire ici. Mais de grâce, ayons l’intelligence, la distance, le minimum de recul de faire abstraction de cela lorsque nous avançons un jugement sur ce Président. Dans l’immensité de sa tâche, je ne suis pas sûr que les affaires suisses occupent, devant le jugement que devra porter l’Histoire, une place bien considérable. Mais je n’aime pas, non plus, ce langage d’irrespect et de quolibets systématiques, d’autant lorsqu’il émane de partisans d’un prédécesseur immédiat qui, du Fouquet’s aux croisières maltaises, en passant par un culte de l’Argent qui n’a rien à faire dans la grande tradition française, n’a franchement pas grandi la fonction présidentielle.
Journaliste suisse passionné, depuis l’âge de sept ans et demi, par la France et son Histoire, je veux réitérer ici mon respect pour cet homme, François Hollande, au moment où il traverse une période particulièrement difficile. Les choix politiques de son gouvernement sont assurément contestables. Mais je n’ai, pour l’heure, rien décelé dans sa stature présidentielle qui puisse mériter le reproche, ou, me concernant, amener un quelconque regret d’avoir souhaité son élection.
Pascal Décaillet