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Sur le vif - Page 765

  • Hamlet à la Traverse : épuration, clarté, talent

     

    Sur le vif - Samedi 10.01.15 - 18.17h

     

    Une salle sobre, sans décor. Huit jeunes, garçons et filles, 16 à 25 ans. Ils disent Hamlet, tout en le jouant, le texte de Shakespeare, dans un mélange de quatre traductions, dont celle, sublime, du poète Yves Bonnefoy. Ils le jouent, mais j’insiste : ils le disent. Si bien, avec un telle mise en valeur des syllabes, que la petite musique élisabéthaine nous trottinera encore longtemps dans la tête après l’heure et demie de représentation. J’en ai rêvé, de ce texte, la nuit dernière, j’ai vu apparaître, non le fantôme du roi, mais des personnages d’hier, comme des notes de partition, par bribes, dans la nuit d’encre.

     

    J’ai bien dû voir dix fois Hamlet dans ma vie, dix versions, ce qui est assez normal pour un homme de 56 ans. Il y en eut, hélas, des touffues, toutes de poussière et d’archaïsme, au point que l’enjeu n’apparaissait pas. A quoi sert la mise en scène, si ce n’est, avant toute chose, avant le style et l’esthétique, à mettre en valeur les lignes de puissance et de tension d’un texte ? Eh bien hier soir, à la Traverse, grâce au Travail de Maturité d’une jeune fille de 18 ans, Anna Rossmann-Kiss, grâce à son fantastique effort de clarification , grâce à la précision de ses angles de départ, la filiation et la question de la génération, j’ai vu un peu plus clair dans ce texte, l’un des moments majeurs de l’Histoire du théâtre.

     

    Cette réussite dans l’ordre du sens, Anna l’obtient par un constant travail de sobriété et d’épuration. Rien, dans le visuel, qui serait de nature à détourner le spectateur de l’absolue primauté du texte. Les huit jeunes comédiens sont remarquables, ils ont travaillé diction et respiration, ils ont surtout intégré l’exactitude des enjeux, épousé les angles de mise en scène. Ils jouent le même spectacle, racontent la même histoire. Au service d’une même clarté. Du coup, plusieurs acteurs pour un seul Hamlet, et ainsi pour d’autres personnages, mais en quelques secondes, au début de chaque scène, le spectateur rétablit, identifie, en un mot comprend.

     

    J’allais vous dire d’aller le voir, ce Hamlet. Hélas, il n’y avait que trois représentations, de jeudi à ce soir 19h. A moins qu’ils ne décident de prolonger demain dimanche. L’entrée est libre. Il y a un chapeau. Je n’oublierai pas cette mise en scène. Et n’exclus pas que nous soyons amenés à reparler d’Anna Rossmann-Kiss, 18 ans, dans des questions liées à la chose théâtrale, dans les quelques décennies qui nous attendent.

     

    Pascal Décaillet

     

     

    *** Hamlet, nouvelle volée. Par la Compagnie du Préau et la Maison de Quartier des Pâquis. Mise en scène : Anna. Avec Louis, Kenza, Louise, Woody, Isaline, Arcadi, Christelle et John.

     

     

  • Deuil, prière, lumière

     

    Mercredi 07.01.15 - 14.38h

     

    Aujourd’hui à Paris, l’horreur s’est produite. Avant toute chose, il nous faut penser aux victimes, leurs proches, leurs familles. Et puis, il nous faut penser à ceux qui restent en vie après la mort des gens qu’ils aiment, cette étincelle qui à tout prix demeure, quelque part dans la nuit barbare.

     

    La question, en ce 7 janvier 2015, n’est pas de savoir si on aimait ou non Charlie Hebdo, je dirais même qu’elle n’a aucune importance. La question, c’est qu’à des dessins, ou des écrits, on a répondu par des armes. A l’insolence, on a opposé le visage de la mort. Aux sales gamins de la provocation, on a ôté la vie. Oui, un pas est franchi. Une barrière de civilisation.

     

    Pour le reste, nous verrons. Aujourd’hui, deuil et prière. Hommage aux victimes. De grâce, rien d’autre. Ajouter de la haine à la haine serait entrer dans le jeu des auteurs. Stigmatiser une religion pratiquée en France par des millions de personnes, en Suisse pas des centaines de milliers, serait aussi odieux qu’inacceptable, vous connaissez mon point de vue sur le sujet.

     

    En ce jour de deuil, je pense à la tuerie du Parlement de Nanterre, sur les lieux de laquelle je m’étais rendu, le 27 mars 2002, pour une émission spéciale avec mon ami Fabrice Junod. Là, c’était des élus municipaux, en pleine séance, qu’on avait massacrés. La lumière des survivants, le soir même du drame, avait dépassé en puissance l’obscurité glacée de l’acte. Parce que, ce soir-là, Nanterre pensait à l’essentiel : demeurer ensemble dans la République. Continuer à la construire. Garder son calme. Sans doute la seule réponse à la barbarie.

     

    Pascal Décaillet

     

  • Asile : une proposition irresponsable

     

    Sur le vif - Mardi 06.01.15 - 14.58h

     

    Il n’est pas question ici de sous-estimer l’ampleur de la tragédie syrienne. La masse des réfugiés doit nous sensibiliser, en Suisse comme ailleurs. Et les cris d’alarme du HCR (Haut-Commissariat aux Réfugiés) doivent être entendus. Mais pour autant, il ne faut pas accepter n’importe quoi. C’est hélas le cas de la proposition de faire accueillir cent mille réfugiés syriens par la Suisse, émanant de 500 personnes et 27 organisations.

     

    Comment ont-ils pu nous sortir ce chiffre ? En quel honneur un pays de huit millions d’habitants devrait-il consentir un tel effort ? La moindre règle de trois, effectuée en cinq secondes, obligerait l’Allemagne, pays de 80 millions d’habitants, à accueillir dans la même proportion un million de réfugiés syriens. Et la France, entre sept et huit cent mille. Que notre petit pays donne l’exemple, d’accord. Qu’il maintienne sa tradition d’accueil, d’accord. Qu’il déploie même, en cas de tragédie intense (nous y sommes, avec la Syrie), des efforts d’exception, d’accord. Mais désolé, Mesdames et Messieurs les signataires de cette lettre, la Suisse n’a pas à porter seule le poids de la misère du monde.

     

    Dès lors, articuler un tel chiffre relève soit de l’inconscience, soit de la pure et simple provocation. En allant chercher dans des algèbres aussi stratosphériques un nombre aussi disproportionné, les signataires de la lettre, et les « 27 organisations » discréditent leur démarche. C’est dommage, profondément. Parce que la situation en Syrie est catastrophique, mérite notre mobilisation et nos efforts. Mais dans une échelle qui reste à la mesure de la taille et de la démographie de notre pays.

     

    Pascal Décaillet