Sur le vif - Lundi 18.12.23 - 14.25h
Christian Grobet, qui vient de nous quitter à l'âge de 82 ans, était l'un des très rares politiques que j'ai connus à mériter le nom d'homme d'Etat. Il y avait lui, il y avait Delamuraz, il y avait Furgler, il y avait Tschudi. Pour ne prendre que la Suisse, bien sûr.
J'ai fait la connaissance du député socialiste Grobet il y a 45 ans. Le Journal de Genève, pour lequel je rédigeais des piges à côté de l'Uni, m'avait envoyé couvrir un débat politique, un soir, dans un bistrot des Pâquis. Il y avait Grobet. Il m'avait impressionné par sa précision, sa ténacité, son sens du concret.
Trois ans plus tard, en 1981, il accédait, pour douze ans, au Conseil d'Etat. C'est dire que pendant quatre ans, il y eut Chavanne et lui, dans la même équipe. Je n'ai jamais été socialiste, mais j'ai toujours admiré ce vieux parti de notre Histoire politique suisse, quand il combat pour la justice sociale, ce qui est tout de même son ADN. Je suis moins sensible, on le sait, à la dimension sociétale, plus récente, moins populaire à mes yeux.
Au Journal de Genève, dès le milieu des années 80, on m'envoyait couvrir les projets de grands chantiers. Une "conférence de presse" de Christian Grobet, en ces années-là, c'était monter dans son bureau, quatre ou cinq journalistes, guère plus, au sixième ou septième étage de la rue David-Dufour. Grobet dépliait une carte de chantier, et nous expliquait ce qu'il comptait faire ! C'est tout. Par chance, j'avais appris, enfant, à lire une telle carte : mon père était ingénieur en génie civil, je l'ai suivi tant de fois sur les chantiers.
Grobet, un homme d'Etat, pourquoi ? Il était socialiste, et diablement ancré. Mais je vous jure que, toute sa vie, il a agi au nom de l'intérêt supérieur des habitants du Canton, ou tout au moins ce qu'il se figurait tel, et non en fonction de préférences partisanes.
Un homme d'Etat, pourquoi ? Jamais, de toute ma vie, je n'ai entendu cet homme parler d'autre chose que de l'objet politique même qui l'occupait, et justifiait notre rencontre, pour une interview. Il était un torturé du sujet, il traitait le thème et rien d'autre, il agissait en bâtisseur, au service de Genève.
Un homme d'Etat, pourquoi ? Les années 80 étaient, à Genève, de grande puissance libérale, surtout dans les milieux immobiliers. Grobet, avec son jacobinisme volontariste, était au fond un homme très seul. Sans un caractère inflexible, celui du plus grand combattant qu'il m'ait été donné de connaître en politique, il n'aurait jamais pu s'imposer. Il fut contesté, vilipendé (notamment par ma si chère et si talentueuse consoeur Françoise Buffat, hélas elle aussi disparue), mais nul ne contestait son envergure.
Christian Grobet respirait l'Etat. Il était en altitude d'Etat. Il était un homme de devoir et de rectitude, un guerrier d'un courage indépassable. Je n'ai pas connu Willy Brandt, ni Pierre Mendès France. Mais Grobet était de cette trempe-là. Puisse Genève se souvenir de lui comme l'un de ses serviteurs les plus ardents, les plus méritants.
A son épouse, sa famille, ses proches, ma plus vive sympathie.
Pascal Décaillet