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Sur le vif - Page 51

  • Christian Grobet (1941-2023) : un homme d'Etat

     
    Sur le vif - Lundi 18.12.23 - 14.25h
     
     
    Christian Grobet, qui vient de nous quitter à l'âge de 82 ans, était l'un des très rares politiques que j'ai connus à mériter le nom d'homme d'Etat. Il y avait lui, il y avait Delamuraz, il y avait Furgler, il y avait Tschudi. Pour ne prendre que la Suisse, bien sûr.
     
    J'ai fait la connaissance du député socialiste Grobet il y a 45 ans. Le Journal de Genève, pour lequel je rédigeais des piges à côté de l'Uni, m'avait envoyé couvrir un débat politique, un soir, dans un bistrot des Pâquis. Il y avait Grobet. Il m'avait impressionné par sa précision, sa ténacité, son sens du concret.
     
    Trois ans plus tard, en 1981, il accédait, pour douze ans, au Conseil d'Etat. C'est dire que pendant quatre ans, il y eut Chavanne et lui, dans la même équipe. Je n'ai jamais été socialiste, mais j'ai toujours admiré ce vieux parti de notre Histoire politique suisse, quand il combat pour la justice sociale, ce qui est tout de même son ADN. Je suis moins sensible, on le sait, à la dimension sociétale, plus récente, moins populaire à mes yeux.
     
    Au Journal de Genève, dès le milieu des années 80, on m'envoyait couvrir les projets de grands chantiers. Une "conférence de presse" de Christian Grobet, en ces années-là, c'était monter dans son bureau, quatre ou cinq journalistes, guère plus, au sixième ou septième étage de la rue David-Dufour. Grobet dépliait une carte de chantier, et nous expliquait ce qu'il comptait faire ! C'est tout. Par chance, j'avais appris, enfant, à lire une telle carte : mon père était ingénieur en génie civil, je l'ai suivi tant de fois sur les chantiers.
     
    Grobet, un homme d'Etat, pourquoi ? Il était socialiste, et diablement ancré. Mais je vous jure que, toute sa vie, il a agi au nom de l'intérêt supérieur des habitants du Canton, ou tout au moins ce qu'il se figurait tel, et non en fonction de préférences partisanes.
     
    Un homme d'Etat, pourquoi ? Jamais, de toute ma vie, je n'ai entendu cet homme parler d'autre chose que de l'objet politique même qui l'occupait, et justifiait notre rencontre, pour une interview. Il était un torturé du sujet, il traitait le thème et rien d'autre, il agissait en bâtisseur, au service de Genève.
     
    Un homme d'Etat, pourquoi ? Les années 80 étaient, à Genève, de grande puissance libérale, surtout dans les milieux immobiliers. Grobet, avec son jacobinisme volontariste, était au fond un homme très seul. Sans un caractère inflexible, celui du plus grand combattant qu'il m'ait été donné de connaître en politique, il n'aurait jamais pu s'imposer. Il fut contesté, vilipendé (notamment par ma si chère et si talentueuse consoeur Françoise Buffat, hélas elle aussi disparue), mais nul ne contestait son envergure.
     
    Christian Grobet respirait l'Etat. Il était en altitude d'Etat. Il était un homme de devoir et de rectitude, un guerrier d'un courage indépassable. Je n'ai pas connu Willy Brandt, ni Pierre Mendès France. Mais Grobet était de cette trempe-là. Puisse Genève se souvenir de lui comme l'un de ses serviteurs les plus ardents, les plus méritants.
     
    A son épouse, sa famille, ses proches, ma plus vive sympathie.
     
     
    Pascal Décaillet
     

  • Des guerriers, pas des figurants !

     
    Sur le vif - Lundi 11.12.23 - 14.15h
     
     
    Avec les gentils de la droite municipale qu'elle a face à elle, courbant l'échine avec sourire et résignation, la gauche en Ville a encore de beaux jours.
     
    La campagne 2025 devra avoir d'autres tonalités que cet effacement timoré devant l'arrogance du pouvoir, le clientélisme systématisé, l'automatisme des subventions aux ineffables "associations".
     
    La politique est un combat. Pas une Revue où on se tourne soi-même en dérision.
     
    La droite municipale, si elle envisage un jour une Reconquista, aura besoin de guerriers. A deux ou trois exceptions près, nous n'avons vu dans l'opposition municipale, samedi, que d'aimables figurants.
     
     
    Pascal Décaillet
     

  • Callas : une femme, au milieu d'autres humains

     
    Sur le vif - Lundi 04.12.23 - 15.52h
     
     
    Adolescent, j'écoutais toujours la Tribune Musicale de France Musique. Ils passaient l'extrait d'une oeuvre, en cinq ou six versions, et il y avait tout un aréopage de spécialistes pour se pâmer, grincer des dents, critiquer tel second violon, s'étriper autour du tempo d'un Furtwängler ou d'un Toscanini. J'adorais cette émission.
     
    Un jour, ils avaient passé Callas. Et, dans le même aria, Tebaldi et quelques autres. Franchement, entre Callas et Tebaldi, je n'aurais pas tranché. Les deux étaient sublimes, tout simplement.
     
    Ensuite, il y a l'école des musicologues aux oreilles extraordinairement affinées, qui s'échinent sur tel ou tel contre-ut. C'est bien, mais le grand public est largué. Tenez, j'avais un excellent confrère au Département d'allemand, à l'Université. Ensemble, on allait écouter des Lieder de Strauss, il me semble que c'était au Victoria Hall, entre 1976 et 1980. Il avait une oreille dingue. Il parvenait toujours à trouver un défaut sur une note, une syllabe. Je me disais : "Il est extraordinaire, mais...... ce concert l'a-t-il simplement rendu heureux ?".
     
    Maria Callas, sur le strict plan vocal, celui des performances purement techniques, était-elle la plus grande ? Franchement, je peux vous en citer quatre ou cinq autres, de son niveau.
     
    Alors, quoi ?
     
    Alors, la femme. Alors, l'interprète. Alors, la folle exigence, dès l'adolescence, avec son propre corps, sa propre voix. Alors, le destin. Alors, la tragédie. Alors, Euripide, Pasolini, Médée. Alors, nous tous, face à elle. Non comme une diva, bien qu'elle le fût, au-delà de toute mesure. Mais comme une femme. Humaine, jusqu'au cri. Au milieu d'autres humains.
     
     
    Pascal Décaillet