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Sur le vif - Page 247

  • Chancellerie : et si la Bavière avait ses chances ?

     
    Sur le vif - Vendredi 16.04.21 - 14.12h
     
     
    Dans une analyse publiée il y a trois jours (mardi 13.04.21), ici même, et intitulée "La capitale du monde, c'est Munich, pas Berlin !", j'évoquais l'idée que, pour la première fois dans l'Histoire allemande, le Ministre-Président de Bavière puisse nourrir de sérieuses chances de devenir Chancelier fédéral.
     
    Mon analyse allait à l'encontre de l'ensemble des commentaires publiés dans la presse suisse, qui, bien obédients face à la Cour de la Chancelière sortante (l'élection se déroulera le 26 septembre), n'avaient d'yeux que pour le protégé de Mme Merkel, Armin Laschet.
     
    Eh bien, je vous invite à suivre ce qui va se passer dans les heures et les jours qui viennent. Markus Södler, le CSU Bavarois, a ses chances ! Et il pourrait bien les avoir, même si Laschet devait l'emporter auprès des instances internes du parti !
     
    L'enjeu, c'est l'avenir de l'Allemagne. Angela Merkel aura été une Chancelière qui compte. Avec un bilan contrasté (ouverture inconsidérée des frontières à l'automne 2015, mais bonne gestion de la crise sanitaire), mais enfin elle restera dans l'Histoire. Après elle, l'Allemagne a besoin d'une autre personnalité forte. Ca n'est pas rien d'être Chancelier fédéral. Il n'est pas impossible - et c'était le sens de mon papier, il y a trois jours - que la personnalité du Bavarois Söder soit nettement plus puissante que celle du Rhénan Laschet.
     
    Seulement voilà : dans nos bons médias suisses, il faut plaider pour la gentille continuité de l'entourage Merkel. Et surtout pas pour la droite conservatrice bavaroise. Parce qu'elle est la droite. Et parce qu'elle est conservatrice.
     
    J'ignore absolument qui sera le prochain Chancelier. Mais je suis très heureux d'avoir été l'un des premiers, en Suisse, à soulever les problèmes de l'identité profonde de la Bavière, le rôle de trait d'union d'une candidature luthérienne bavaroise à la Chancellerie, l'occasion historique qui s'offre aux Allemagnes : laisser enfin, peut-être, un Ministre-Président de l'Etat libre de Bavière, ce pays profond au sein des nations de langue allemande, accéder à la fonction suprême.
     
     
    Pascal Décaillet

  • Car ce chemin de mort est un chemin de vie

     
    Sur le vif - Jeudi 15.04.21 - 16.48h
     
     
    La guerre qui nous a été déclarée n'est ni territoriale, ni économique, ni sociale. C'est une guerre culturelle. Au sens le plus puissant de ce mot, "culture", celui qui va chercher dans l'humain ce qu'il a de plus profond : son chemin vers la langue (pour reprendre la magnifique titre de Heidegger, Unterwegs zur Sprache), sa liberté de dire et d'énoncer, sa solitude face au champ des mots. La langue n'est pas seulement un instrument : c'est elle qui nous porte, nous élève, nourrit nos rêves. Elle est, comme la musique, souffle et vie, rythme, respiration, silences, ponctuation de la vie qui va.
     
    Si c'était une guerre sociale, je ne prendrais pas parti, tout au moins pas avec la même netteté. Regardez mon panthéon, depuis des décennies : on y trouve aussi bien Pierre Mendès France que Willy Brandt, nous ne sommes pas exactement là dans l'exaltation du libéralisme. Politiquement, je suis nuancé. Culturellement, je suis viscéral, passionné, sans doute élitaire.
     
    Ils ont touché à la langue, tenté le putsch, avec par exemple leur galimatias inclusif. Il n'auraient pas dû. Cela va se retourner contre eux, je crois. Ils touchent en nous quelque chose de trop profond, et cela n'a rien à voir avec les questions de sexe, de genre, de domination/soumission, dont ils voudraient faire le centre du monde.
     
    Mais le centre de la langue, où est-il ? Mystère. La langue n'est pas une boîte à outils, enfin pas seulement. Elle nous enfante. Elle nous accompagne. Elle nous charrie. Elle nous porte en elle. Nous passons, elle demeure. Un peu changée, mais à vrai dire très peu. Elle évolue, bien sûr, mais pas comme ça, pas sur injonctions, pas sur ordres. Ni du pouvoir, ni de ceux qui se figurent (avec quelle prétention) comme des contre-pouvoirs. Alors qu'ils ne font que dupliquer des illusions.
     
    Ils passeront. Nous passerons, tous. Nous vivons, nous allons à la mort. Vivre, c'est apprendre à disparaître. La langue, dans ce chemin, nous accompagne. Comme Simon de Cyrène, elle nous aide à porter. Ca crée des liens. Car ce chemin de mort est un chemin de vie.
     
     
    Pascal Décaillet

  • Gottfried Benn : rigueur, précision, poésie

     
    Sur le vif - Jeudi 15.04.21 -
     
     
    Il faut lire les pages culturelles de la Weltwoche, de même qu'il faut lire celles de la NZZ et de la Frankfurter Allgemeine.
     
    Là, dans l'édition de ce matin (jeudi 15.04.21, no 15), c'est Gottfried Benn (1886-1956). L'un des plus grands poètes de l'expressionnisme allemand. Un Prussien. Remarquable double page, signée Ulrich Gumbrecht, sur la réédition des poèmes selon la version originale (Fischer Taschenbuch, 688 pages).
     
    Benn est un immense poète, et je le dis aux germanistes : il mérite une approche plus complète que les morceaux retenus habituellement dans les anthologies. C'est un Prussien pure souche, habité par l'Histoire de cette nation, fils d'un pasteur luthérien de Mansfeld (l'actuelle Prignitz), il a été médecin (dermatologue), il a servi pendant la Grande Guerre, il s'est engagé dans l'expressionnisme tout en étant un adversaire de la République de Weimar, il a très sérieusement sympathisé avec les nazis, avant de s'en séparer. Disons que sa seule relation avec le régime NSDAP, de 33 à 45, mérite un livre entier, tant elle est complexe. Il meurt à Berlin, en 1956.
     
    Ca, c'est le Benn biographique. Mais il faut entrer dans son écriture poétique. La double page de la Weltwoche nous y invite avec puissance et précision : rares sont les articles de presse qui, au sujet d'un poète, entrent en matière sur l'essentiel : le rythme, le souffle, la prosodie, l'essence même du vers. Gumbrecht, dans cet article, le fait. On est loin des survols et des approximations : on entre dans le ventre du sujet.
     
    J'invite tous les profs d'allemand, dès le niveau fin Collège, à faire lire aux élèves, à haute voix, la poésie précise, concrète et structurée de Gottfried Benn. L'un des repères de la littérature allemande dans la première partie du vingtième siècle.
     
     
    Pascal Décaillet