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Sur le vif - Page 1046

  • La Suisse se polarise – Et alors ?

     

    Sur le vif - Lundi 17.01.11 - 12.27h

     

    Le mot qui leur fait peur à tous : polarisation. Il faudrait craindre, « pour la richesse de notre débat démocratique », avancent-ils hypocritement, que la Suisse, dans les quinze ou vingt ans qui viennent, devienne un pays comme un autre, l’Allemagne avec son SPD et sa CDU-CSU, la Grande-Bretagne avec ses travaillistes et ses conservateurs, les Etats-Unis avec les démocrates et les républicains. Cette évolution, pleurnichent-ils, serait « totalement contraire à l’esprit suisse ». Elle serait dangereuse, tueuse de notre démocratie.

     

    Contraire à quel esprit ? Dangereuse pour qui ? Liberticide, en quoi ? Ces trois questions, induites par leurs propres menaces, ils n’y répondent jamais. C’est dommage.

     

    La Suisse est-elle, bel et bien, en voie de polarisation ? Franchement, je n’en sais rien, c’est en effet une hypothèse, mais parmi d’autres, nul d’entre nous ne peut prévoir les mouvements de fond de notre politique fédérale, nul ne peut vraiment influer sur ces variations tectoniques, qui sont celles du temps long. L’Histoire, un jour, les constatera.

     

    Notre propos, ici, c’est la polarisation diabolisée. Et à l’inverse, la gentille concordance sanctifiée. De ce qui ne date que de 1959, on voudrait faire un mythe suisse surgi du fond des âges. C’est méconnaître la réalité de notre Histoire, aussi conflictuelle que celle des pays qui nous entourent : Réforme, Guerres de Religion, République helvétique, mouvements républicains, Sonderbund, Kulturkampf, grève générale en novembre 1918, etc. La Suisse n’est pas l’Histoire d’un peuple heureux, juste un peuple comme un autre, au milieu de l’Europe.

     

    La lutte des classes, les souffrances du monde ouvrier, la misère de la paysannerie de montagne, l’exode rural, le rapport à l’immigration, la lente conquête d’un système de protection sociale, tout cela fut aussi difficile que chez nos voisins, avec les mêmes combats, les mêmes aspérités. La Suisse est un pays comme un autre. Tout au plus avons-nous eu la chance d’échapper aux deux conflits mondiaux du vingtième siècle. Il serait assez singulier de s’en plaindre. Nous eûmes celle, aussi, non négligeable, de ne pas avoir à solder des colonies.

     

    Ce qu’on appelle « concordance » n’a rien d’ontologique, rien de consubstantiel à une quelconque « nature profonde des Suisses ». C’est le résultat d’enchaînements historiques : dès 1891, le premier catholique-conservateur entre au Conseil fédéral, mettant fin à la suprématie radicale ; dès 1943, le premier socialiste ; dès 1959, deux socialistes. N’allez surtout pas croire que les radicaux de 1891 se félicitaient de l’arrivée de Josef Zemp, ni les bourgeois de 1943 de celle d’Ernest Nobs. Ce sont les dents serrés qu’ils ont bien dû accepter ces nouveaux venus.

     

    A chaque fois, ce sont les rapports de force, comme toujours en politique, qui furent déterminants. A chaque fois, c’est à la force du poignet, et contre le gré de l’establishment, que l’opposition se taille une place dans le collège gouvernemental. Donc, cette « concordance », tant sanctifiée, n’est en réalité qu’une coexistence par défaut. Comme des gens forcés d’accepter des colocataires dans leur appartement. Ca n’est sans doute pas un mauvais système, en tout cas il permit de gérer fort correctement le pays pendant les paisibles et opulentes Glorieuses d’après-guerre. Mais c’est une résultante mécanique, rien d’autre. Cette mécanique, oui, si chère à Thucydide, Marx ou Tocqueville.

     

    Il n’est donc pas si certain que l’actuelle tambouille politique permettant à des partis totalement antagonistes de coexister dans un même collège, relève si puissamment du vœu du peuple suisse. On pourrait même gager qu’elle doit beaucoup à une confiscation du pouvoir par les corps intermédiaires. Ceux-là même qui hurlent au loup, au nom quasiment du visage sacré du pays, quand on évoque l’hypothèse, un jour, peut-être, d’ici quelques années, de l’émergence de deux grands blocs, la fameuse « polarisation ».

     

    Ils craignent quoi, en vérité ? La perte de leur pouvoir, pardi ! Cela, et strictement rien d’autre, tout le reste n’étant que paravent. Oui, le savant tissage de ces empires du Centre, ceux qui se retrouvent toujours là, quelles que soient les majorités, riches de leur seule tiédeur, n’ayant d’extrême que le flair animal de leur opportunisme. Ceux-là, oui, ont à craindre de la polarisation. Mais ça n’est pas le bien contre le mal, comme ils tentent de le faire croire. C’est juste un pouvoir contre un autre.

     

    Pascal Décaillet

     

     

  • Saint-Gall – Shanghai, en voiture s’il vous plaît !

     

    Sur le vif - Dimanche 16.01.11 - 18.52h

     

    Il vient d’avoir une belle image, le Flandrin des glaciers, à l’instant, sur la RSR : commentant le passage de Thomas Müller, PDC saint-gallois de longue date, maire de Rorschach, conseiller national, à l’UDC, ce qui est un vrai sale coup pour la démocratie chrétienne suisse, Christophe Darbellay a parlé d’un grand écart digne d’un déménagement de Saint-Gall à Shanghai !

     

    Il se pourrait bien que pour certains, dans les années qui viennent, le voyage Saint-Gall – Shanghai se banalise au point de devenir la règle, une sorte de pèlerinage, ou de sortie de contemporains. Le mot « PDC » n’existe, au niveau fédéral, que depuis 1971. Auparavant, dans les cantons où cette mouvance était encore connotée de quelques valeurs, on l’appelait, et c’était bien plus clair, « les conservateurs ». C’est un très beau mot, plus fier, plus digne, plus franc, tout comme d’ailleurs « les réformateurs », ou même « les révolutionnaires ». En politique, il n’est point de honte à afficher la couleur. Celle des conservateurs, ce fut longtemps le noir.

     

    Alors voilà, si Thomas Müller juge bon de grimper dans l’express de Shanghai, c’est qu’il doit bien avoir de solides raisons. A l’aile droite du PDC, côté Valais, mais aussi Suisse centrale, Suisse orientale, ainsi que dans une frange non négligeable du PLR, il y a des gens qui ont besoin de repères plus clairs. Pour les derniers cités, ils commencent à en avoir un peu assez de la florentine complexité de la pensée de Fulvio Pelli. Alors, la directissime pour Shanghai les chatouille et les gratouille de plus en plus.

     

    Encore un ou deux coups comme ceux du 28 novembre dernier, où l’axe PDC-PLR a joué la copie contre l’original, et, d’ici dix ou quinze ans, le Saint-Gall – Shanghai sera noir de monde. Il faudra même réserver, pour être sûr d’y avoir une place.

     

    Pascal Décaillet

     

  • Libéraux genevois : un parfum nommé « Venin »…

     

    Sur le vif - Samedi 15.01.11 - 19.11h

     

    A Genève, c’est connu, les libéraux s’aiment entre eux. Torride. Limite charnel. D’ailleurs, « amour », ça se dit « love », et justement, ils se lovent tellement ils s’aiment. Comme des vipères au fond d’un panier. Vous pouvez relire tout Mauriac, Thérèse, le Sagouin, tout Racine aussi, tout Bazin et toutes ses histoires de Folcoches, vous n’aurez jamais le dixième des fureurs intestines, chez les libéraux.

     

    Je sais, Frère lecteur, ce que tu penses. Tu te dis que, si j’avance ça, comme ça, un samedi en fin d’après-midi, un de ces jours où l’hiver ressemble à l’été, la trahison à la fidélité, la Tunisie à une démocratie, c’est que j’ai bien quelques miettes de biscuit. Un petit exemple. Ca tombe bien : j’ai.

     

    Mercredi dernier, 12 janvier, 11.11h, un député libéral saisit la Commission des finances de trois questions délicieusement assassines sur le fait d’avoir équipé la Police genevoise de téléphones portables iPhone. On sait à quel point le principe des « questions », en technique parlementaire, permet de tenir la dague en se drapant dans l’apparence de la candeur. D’autant que le texte du député rappelle à quel point ces téléphones ne sont pas fiables pour une police.

     

    Ce qui est amusant, c’est que les conseillers d’Etat concernés sont Mark Muller pour l’approvisionnement, mais aussi Isabel Rochat, comme ministre de tutelle de la Police, l’un et l’autre libéraux. Honneur, donc, à ce député pour sa très grande distance face à son propre parti.

     

    Ca n’est pas tout. Le surlendemain, jeudi 13 janvier, 14.09h, le président du Grand Conseil, qui se trouve être libéral, rend public un communiqué où il s’exprime son mécontentement face au rôle du Conseil d’Etat dans la rédaction de la brochure explicative sur l’amnistie fiscale (votation cantonale du 13 février 2011). Il se trouve, bien sûr par hasard, que l’homme visé, président du Conseil d’Etat, s’appelle Mark Muller. Et qu’il est libéral.

     

    Ce même jeudi 13 janvier, 21.16h, mon estimé confrère Marc Moulin nous annonce en ligne, sur le site de la Tribune de Genève, que l’ancien député libéral Jean-Michel Gros prépare un recours auprès de la Chambre administrative de la Cour de justice au sujet de cette brochure. On y apprend aussi que le député Olivier Jornot, auteur du projet d’amnistie, et accessoirement libéral, juge « déloyal » le comportement du Conseil d’Etat dans cette affaire de brochure.

     

    Petits meurtres entre amis ? Oui. Chez ces gens-là, on a la lame intestine, l’esprit de famille, le meurtre rituel, l’extase silencieuse. Ce qui serait vraiment fou, c’est que le député libéral ayant posé la question sur les iPhone et le président du Grand Conseil ne soient qu’une même personne. Ce qui tournerait au délire théâtral, c’est que cette seule et unique personne soit, par hasard, régulier compagnon et commensal de Jean-Michel Gros. Par exemple, en début de semaine. Au royaume des vipères, le venin est roi. Au royaume des couleuvres, on avale. Dans l’empire des signes, on ouvre grands les yeux. On retient son souffle. Et on admire.

     

    Pascal Décaillet