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Sur le vif - Jeudi 23.10.25 - 10.58hLes mots doivent avoir un sens. Au Proche-Orient, on peut évidemment - hélas - oublier le mot "paix", dont ont cru bon de se gargariser les admirateurs béats de la diplomatie marketing de Donald Trump, lors de la farce de Sharm-El-Sheikh.Il n'y a évidemment aucune paix entre Israël et Palestiniens, je l'écrivais d'ailleurs ici le jour même où se pavanait la vanité costumée du monde, au bord de la mer Rouge. Une pensée pour Cyrano, "C'est la mer Rouge quand il saigne !", toute la prétention de ces inutiles en une formule.Il n'y a aucune paix. Cette dernière ne saurait surgir du ciel, comme l'ouragan Benjamin, décrétée par le puissant du moment, qui n'est autre - statutairement autant que par ses liens familiaux et personnels - que le parrain financier du colon, qui depuis deux ans a tué au moins 67'000 colonisés.Depuis quand la paix, ce mot merveilleux qui implique, d'une part comme de l'autre, désir sincère, révolution des coeurs, long chemin de pèlerinage vers l'ancien ennemi, peut-elle survenir par la magie de celui qui tient la bourse, et les joujoux d'armement, du chef de clan de la partie en conflit qui tient le couteau par le manche ?On peut donc oublier la paix. Mais il faut aller plus loin. Et se garder, presque tout autant, du mot "cessez-le-feu". Pour une bonne et simple raison : le feu n'a pas cessé. Israël a repris le massacre. Des dizaines d'habitats de Gaza, depuis le simulacre de Sharm-El-Sheikh, en ont payé le prix.Israël a-t-il jamais voulu le cessez-le-feu ? A-t-il jamais voulu une quelconque "paix" avec les Palestiniens ? A-t-il jamais voulu, depuis 1948 et en tout cas depuis juin 1967, un quelconque partage des terres, qui soit sincère et non simulé, qui relève du chemin de paix, et non de la fourberie ?La vérité, c'est qu'à l'exception d'admirables hommes, comme Yitzhak Rabin, le pouvoir israélien (à ne pas confondre avec la société civile) n'a JAMAIS voulu la moindre solution politique accordant enfin au peuple palestinien la dignité d'Etat. Cette même dignité qu'à juste titre, les pionniers de 1948, fondateurs de l'Etat d'Israël, avaient obtenue, trois ans seulement après l'anéantissement de six millions des leurs en Europe. Cette même dignité qui fut la leur, le pouvoir israélien la refuse obstinément aux Palestiniens, qui ont tout perdu en 1948.Alors maintenant, ça suffit. Oui, les mots doivent avoir un sens. Non, il n'y a pas de paix au Proche-Orient. Non, il n'y a même pas de cessez-le-feu. Il y a la proie que constituent les habitants de Gaza, laissés en pâture aux retours de feu et de mort, à tout moment, de l'ouragan Benjamin. Par celui qui souffle sur Genève ce matin. Non, celui qui sème la mort, dévaste tout espoir de paix. Sa place n'est pas dans cette terre, qu'on dit trois fois sainte, formule à laquelle je me rallie pour m'y être rendu maintes fois et y avoir, pour la vie, succombé aux charmes de son mystère profond.Non. La place de l'ouragan Benjamin, celui du Proche-Orient, est à La Haye. Et nulle part ailleurs.Pascal Décaillet
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Luther, le père des Allemands
Commentaire publié dans GHI - Mercredi 22.10.25
Il faut de longues années de lectures et d’imprégnation pour parvenir à poser les enjeux de ce que fut, entre 1949 et 1989, la DDR. De nombreux ouvrages, y compris (quel bonheur !) depuis quelque temps en français, nous donnent des pistes. L’une d’entre elles, c’est le rapport des Saxons, des Prussiens et des habitants de la Thuringe à cette prodigieuse aventure que fut, avec Martin Luther, la Réforme.
Voyagez en ex-DDR, en Thuringe principalement (Eisenach, Erfurt, Iéna, Weimar), Luther est partout. Mais aussi Jean-Sébastien Bach, la Bible, les Cantiques, les Psaumes, et des centaines d’ouvrages théologiques. Dans les vitrines, sous vos yeux. Dans les Allemagnes, même les catholiques, même les non-chrétiens, même les gens dégagés de toute attache religieuse, reconnaissent le legs immense de Luther.
C’est un legs théologique. Mais c’est aussi un legs linguistique majeur (sa traduction de la Bible en 1522 ouvre l’ère de la littérature allemande moderne), Et c’est un legs national. Luther est, avec Beethoven, l’un des plus grands de tous les Allemands.
Pour comprendre ce que fut la DDR, mais aussi ce que sont la Prusse, la Thuringe et la Saxe depuis 1989, il faut passer par Luther. Puis, par la philosophie prussienne du dix-huitième. On y trouvera d’autres valeurs fondatrices que celle du profit, de l’exploitation de l’autre, et de la prévarication. Cette Autre Allemagne, c’est le cœur vibrant de l’Allemagne elle-même.
Pascal Décaillet
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La Saxe-Anhalt, vous connaissez ?
Commentaire publié dans GHI - Mercredi 22.10.25
Publié le 15 octobre, le baromètre électoral des intentions de vote dans le Land de Saxe-Anhalt, capitale Magdeburg, au centre de l’ex-DDR, est un séisme. Les élections régionales – les plus importantes en Allemagne, Etat décentralisé comme la Suisse, avec fort pouvoir des Länder – n’auront certes lieu que le 6 septembre 2026. Et, certes encore, il ne s’agit que d’une photographie des intentions de vote aujourd’hui. Mais séisme, quand même. L’AfD, qui avait déjà cartonné aux dernières élections et fait un tabac dans toute l’ex-DDR, culmine à 40% d’intentions de vote. La CDU, 26%. Die Linke, le parti très vivant de la gauche radicale, est troisième à 11%. Le SPD, le parti historique de Willy Brandt, 6%, à égalité avec l’incroyable Alliance Sahra Wagenknecht « Für Vernunft und Gerechtigkeit », Pour la Raison et la Justice, les libéraux (équivalent du PLR) tutoient le plancher avec 3%, à égalité avec les Verts (3%). En clair, l’AfD est plus de treize fois plus forte que les Verts.
La Saxe-Anhalt : je connais très bien cette région, qui s’est forgée au cours des siècles autour du bassin de l’Elbe. Ce qu’on a appelé, pendant quarante ans (1949-1989), la « DDR », l’Allemagne de l’Est, était en fait la réunion de trois grandes identités historiques : la Prusse, la Saxe, la Thuringe. Allez absolument visiter la Saxe, comme d’ailleurs toute l’ex-DDR : vous y trouverez une Allemagne très différente de l’image d’opulence donnée par l’Ouest dans les années de reconstruction et de miracle économique. L’ex-DDR, la Saxe notamment, est une région pleine de vie et d’ambitions collectives, de haute tenue culturelle, riche de toute l’Histoire industrielle, théologique, spirituelle, artistique des Allemagnes. Mais elle est aussi, hélas, la grande victime de la Réunification, ou plutôt (les mots doivent avoir un sens) de l’absorption gloutonne, vulgaire, méprisante, de l’Allemagne de l’Est par le capitaliste rhénan Helmut Kohl, atlantiste devant l’Eternel.
Ce phagocytage, sous les applaudissements béats de toute la crétinerie néo-libérale née de la chute du Mur, ces perroquets des Anglo-Saxons, nombreux en Suisse d’ailleurs, qui ne cessaient de nous annoncer « la victoire définitive du capitalisme ». Ah, les sottes gens ! Cette génération de décérébrés qui n’avaient à l’esprit (ou ce qui en tient lieu) que le Nasdaq, le mythe californien, la destruction de l’Etat, des nations et des ambitions collectives citoyennes.
La Saxe-Anhalt est l’une des régions ayant le plus souffert de la brutalité de la « Réunification ». Tout le système social, associatif, culturel, de la DDR, a été jeté aux orties. Seule devait régner l’arrogance du marché. A cela s’ajoute, je le dénonce depuis l’automne 2015, la folie du « Wir schaffen das » d’Angela Merkel, dont le tissu social de la Saxe-Anhalt a été l’une des plus grandes victimes. Aujourd’hui, cette région est paupérisée, elle se sent seule, peu écoutée par le pouvoir fédéral. Elle a besoin d’une nouvelle donne, à la fois nationale, protectionniste et sociale. Alors, oui, elle plébiscite d’AfD. Vous pouvez hurler tant que vous voudrez. Mais ces 40% sont là, c’est un fait. On ne le contournera pas.
Pascal Décaillet