Commentaire publié dans GHI - Mercredi 31.05.17
Le mot « Entente », en soi, n’est pas de ceux qui tétanisent le désir et surexcitent les sens. Il sonne bourgeois, salon feutré, rotondité notariale, petite ville de province, cigares, univers de Chabrol. Elle a pourtant la dent dure, cette Entente, depuis huit décennies, dans la politique genevoise. L’air de rien, cette alliance des libéraux, des radicaux, et de ce qu’on appelle aujourd’hui le PDC, aura survécu à la Genève rouge de Léon Nicole, à la Guerre, aux Trente Glorieuses, aux années de récession, à l’émergence de partis contestataires, comme Vigilance ou le MCG. Dure à cuire, oui ! D’autant qu’elle affiche, pour les élections cantonales du printemps 2018, des appétits qui confinent à la voracité. Elle est en ordre de bataille, a son plan, n’attend que d’en découdre. Là où d’autres roupillent.
La grande force de l’Entente genevoise, historique, comme d’ailleurs celle de l’alliance scellée dès 1891, au niveau suisse, entre radicaux et catholiques conservateurs (ancêtres du PDC), c’est de savoir survivre. Inoxydable, en toutes circonstances ! Face à Vigilance (qui triomphait au Grand Conseil en 1985), puis face au MCG (qui n’a cessé de monter entre 2005 et 2013), la bonne vieille Entente a appris à faire le dos rond. Des partis protestataires, elle n’a ni le génie inventif, ni la puissance de transgression, elle le sait, parce qu’elle se connaît. Elle laisse faire. Elle laisse dire. Elle prend note, dans la colère des Gueux, de ce qu’il y a de bon. Elle le récupère. Elle s’approprie les idées. Comme elle a su le faire, ces dernières années, sur la préférence cantonale. Et finalement, elle remporte la mise.
Regardez le combat électoral de 2018. Laissons la gauche. Le MCG n’a plus sa lisibilité d’antan. L’UDC peine à jouer, à Genève, le rôle qu’elle tient au niveau national. Face à eux, l’Entente a réussi à surmonter ses doutes de la dernière décennie. Et elle aligne du beau monde : au PDC, les deux sortants, Serge Dal Busco et Luc Barthassat. Au PLR, Pierre Maudet, qui apparaît comme la locomotive du futur Conseil d’Etat, mais aussi Nathalie Fontanet, actuelle cheffe du groupe, Alexandre de Senarclens, président, et même le délicieux singleton Philippe Morel, chirurgien de renommée internationale, colonel, professeur de médecine, invétéré motard, très populaire. Jeudi 15 juin, le PLR choisira ses candidats parmi ce quatuor.
D’autres, plus tard, des historiens, décortiqueront dans le détail la puissance silencieuse, ancrée dans les réseaux, de cette machine à assimiler. Car c’est sur le terrain qu’il faut la toiser, commune par commune, là où le rayonnement d’une personne compte plus que la guerre des idéologies. La force de l’Entente, c’est la toile de son réseau. Cela fait penser au surnom que portait l’un des trois ou quatre plus grands rois de l’Histoire de France, Louis XI : on l’appelait « l’universelle araigne ». Par sa patience, il avait même eu raison du Téméraire, duc de Bourgogne, l’un des derniers grands féodaux de taille à défier le pouvoir royal. Vive la politique : elle aiguise nos appétits de comprendre.
Pascal Décaillet