Sur le vif - Mardi 24.06.14 - 17.33h
J’emprunte mon titre au livre inoubliable de Julien Benda qui lui, en 1927, s’en prenait à une autre caste. Pour dire ma colère. L’affaire du groupe de travail mis sur pied en secret par la Chancellerie fédérale, pour plancher sur une révision à la baisse des droits populaires, ne passe pas. Nous les citoyens, oui nous le suffrage universel, devons exiger toute la lumière. Nous, et pas nos élus, surtout pas les parlementaires fédéraux, ceux de ces commissions qui passent leur temps à invalider, corriger, rétrécir tout ce qui vient d’en bas. Pour ma part, ma confiance en eux va diminuant.
Il est temps que ce pays élargisse son débat politique à l’ensemble du corps électoral, et que ce dernier (plus de quatre millions de personnes en Suisse) soit de plus en plus défini comme un organe institutionnel, et non simplement appelé « le peuple », ce qui ne veut rien dire, ou plutôt trop de choses en même temps, comme je l’ai souvent montré dans des articles. A Genève, cela s’appelait « le Conseil général », il est fort dommage que l’appellation soit devenue caduque : elle donnait à la masse électorale une entité institutionnelle, reconnue, de même que l’on dit « le Conseil d’Etat » ou « le Grand Conseil ». Eh oui, le peuple électeur, ça n’est pas une masse informe, c'est un organe de notre système.
L’affaire du groupe de travail ne passe pas. Le Blick d’aujourd’hui publie la liste des membres, où s’amoncellent les technocrates. Un bureau de fonctionnaires, à la Pirandello, qui aurait pour mission de démanteler nos droits populaires. Sous prétexte d’unité de matière, de « droit supérieur », où l’empire du juridisme servirait de paravent à des fins politiques : se débarrasser des textes qui gênent le pouvoir en place. C’est cela, exactement cela, qui est déjà maintes fois tenté à chaque passage d’une initiative devant le Parlement. Cela dont on nous prépare le durcissement, l’officialisation.
Qui nous le prépare ? La Chancellerie ! L’état-major du Conseil fédéral, dont le rôle est la mise en œuvre coordonnée des décisions de l’exécutif. L’ordre de mission à la Chancellerie, qui l’a donné ? Quel Département ? Quel conseiller fédéral ? Quels feux verts du Parlement ? A ces questions, nous les citoyens devons exiger des réponses. Car faute de réponses crédibles et précises, alors s’installera encore plus le sentiment d’être trahi par les clercs. Comme si une nomenclature, à Berne (et aussi dans les cantons) tournait en vase clos. Oublieuse de sa mission première de représenter le peuple.
Au demeurant, ma vision personnelle est qu’il ne faut pas limiter les droits populaires, mais au contraire les étendre. Par exemple, comme je l’ai récemment proposé, faire en sorte que le suffrage universel puisse s’exprimer non seulement en réaction à des décisions parlementaires (référendum), mais, d’ici quelques années, en accord avec les progrès fulgurants des mises en réseaux et des modes de communication, en construction de nouvelles lois. Oui, des lois, élaborées directement, au terme d’un processus qui devrait évidemment être savamment codifié pour que nous demeurions dans l’ordre du démos, et pas celui de la doxa (opinion). Des lois, et plus seulement des changements constitutionnels (initiatives). Oh, ça n’est pas pour demain, il y faudra une ou deux générations, mais je suis persuadé que le temps de la toute-puissance de la représentation parlementaire, hérité de celui des diligences, sera bientôt révolu.
Musique d’avenir, j’en conviens. En attendant, il nous faut toute la lumière du côté de ce qui se magouille à la Chancellerie fédérale. Nous sommes des citoyens, pas des sujets. Ensemble, nous sommes le souverain ultime de ce pays.
Pascal Décaillet