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  • 6 décembre 1992: la Raison contre le Sentiment


    Edito paru ce matin dans le Giornale del Popolo - Lundi 03.12.12
     
     
    « Dimanche noir ». J’entends encore, comme si c’était hier, les mots terribles, les mots glaçants de Jean-Pascal Delamuraz, en fin d’après-midi, ce dimanche 6 décembre 1992. J’étais correspondant parlementaire à Berne, j’avais couvert, avec mes collègues de la RSR, la plus formidable campagne de la Suisse de l’après-guerre. Je ne suis pas sûr d’en revivre une de cette dimension : nous avions l’impression, sans doute exagérément d’ailleurs, que la Suisse avait rendez-vous avec son destin.


     
    Au printemps, j’avais accompagné Jean-Pascal Delamuraz à Porto, pour la signature de l’EEE. Il y avait Jacques Delors, Genscher, Roland Dumas, il faisait beau, nous avions l’impression que tout allait aller tout seul, que la ratification populaire, six mois plus tard, ne serait qu’une formalité. Terrible erreur ! Occupés à regarder le vaste monde, nous avions simplement oublié le fantôme du Commandeur : la Suisse, la Vieille Suisse, le pays profond. Le 6 décembre, à 15.22h, il s’est poliment rappelé à notre bon souvenir. Pendant les deux derniers mois de campagne, septembre et octobre, j’avais suivi Delamuraz un peu partout, mais aussi Blocher, et je me suis bien rendu compte, à mesure qu’approchait l’échéance, que ça allait être beaucoup plus difficile que prévu. Et pour la majorité du peuple, et pour celle des cantons. Les derniers jours, à partir du 1er décembre, nous ne nous faisions déjà presque plus d’illusions.


     
    Quelque chose, dans la deuxième partie de l’automne, avait tourné. La puissance de la Raison (Vernunft), incarnée par la rhétorique exceptionnelle d’un Delamuraz, avait trouvé face à elle l’intensité du sentiment (Gefühl), génialement servie par Blocher. L’un nous parlait de l’extérieur, de l’Europe, de la grandeur du continent, du métissage, de l’échange. L’autre, simplement, nous parlait de nous. De l’intimité de notre appartenance au pays. Il le faisait dans la langue des gens, avec la force de l’image, la drôlerie des intonations, les mots de la fureur, de la colère. La Suisse romande, dans sa majorité, méprisait cela, parlait de populisme, n’éprouvait que mépris pour ces paysans reculés. Le 6 décembre, 15.22h, le verdict est tombé. Je le sais : c’est moi, à la RSR, qui ai fait à chaud le premier commentaire. J’étais – sans doute sous l’influence de Delamuraz – fervent partisan de l’Accord. Pour moi, comme pour la plupart de mes collègues romands, ce fut comme une douche glacée.


     
    Et ce jour-là, pas question d’invoquer la « solidarité latine ». Avec ses 61,5% de non, le Tessin votait comme la majorité du pays. Il n’y avait, aux côtés des cantons romands, que les deux Bâle. Mais aussi, phénomène très intéressant, pas mal de villes alémaniques. La césure n’était pas seulement celle de la Sarine. Elle répondait à une autre lecture, plus subtile, de nos différences internes. Des thèses de doctorat, sur le sujet, se sont multipliées.


     
    Vingt ans après, quid ? Jean-Pascal Delamuraz, que je continue, malgré cet échec, de tenir pour l’homme d’Etat le plus important que j’aie côtoyé, nous a quittés en 1998, beaucoup trop jeune. Christoph Blocher a conquis le pouvoir, réalisé la plus grande progression de l’après-guerre. Aujourd’hui, il est moins en avant, mais n’est pas mort ! La Suisse s’est engagée dans les bilatérales, et elle a eu raison. A plusieurs reprises, le peuple a légitimé cette méthode, moins spectaculaire, plus pragmatique, plus suisse. On le sait aujourd’hui, l’idée européenne en Suisse (et d’ailleurs en Europe !) s’est effondrée. L’Union s’est agrandie trop vite, le déficit démocratique de l’institution est flagrant. Les Suisses ne veulent pas entendre parler d’adhésion. Et sans doute seraient-ils aussi très sceptiques s’ils devaient voter sur l’idée, avancée par Christophe Darbellay, d’un EEE bis.


     
    La suite, nul d’entre nous ne peut vraiment l’imaginer. L’ouverture à l’Europe peut disparaître, comme elle peut renaître. Demeure, pour moi, le souvenir d’une campagne inoubliable. Delamuraz contre Blocher ! La Raison contre le Sentiment. J’ai plus appris, pendant ces quelques mois de 1992, que pendant les années qui avaient précédé. Cette campagne aura été, pour toujours, fondatrice de ma passion pour la savoureuse complexité de la politique suisse.


     
    Pascal Décaillet

     

  • Taxer, taxer, et toujours taxer !

     

    Sur le vif - Dimanche 02.12.12 - 14.58h

     

    "Nous devons étudier des pistes de recettes nouvelles."

     

    Charles Beer - Le Matin dimanche

     

    Non, non et non, M. Beer. Les recettes nouvelles des socialistes, les vôtres, celles, aquatiques, de M. Deneys ou celles de Mme Emery-Torracinta (qui proposait d'étatiser le sol dans la campagne du 17 juin), les Genevois n'en veulent pas. Cessez de ne voir les solutions qu'à travers de nouvelles taxes et de nouveaux impôts.

     

    Avant de parler de "recettes nouvelles", il faut aller jusqu'au bout de l'exercice des économies dans le train de vie de l'Etat. Notamment dans les états-majors. Mme Künzler a-t-elle vraiment seize chargés de communication? Vos directeurs, au primaire, ne pourraient-ils pas enseigner un peu?

     

    Une pensée, M. Beer, pour tous ceux dont le salaire ne tombe pas à la fin du mois. Les petits entrepreneurs, par exemple, qui n'ont pas de salaire, mais éventuellement un bénéfice net, une fois payées leurs charges écrasantes. AVS, pleins tubes. 2ème pilier, pleins tubes, pour ceux qui arrivent à en contracter un. Pour les indépendants, pas de possibilité de cotiser au chômage. Frais de locaux, investissements en matériel, taxe professionnelle, assurances pour les employés. Aucune garantie d'emploi, d'ailleurs pas d'emploi, juste des mandats, qui peuvent s'interrompre à tout moment.

     

    Ces gens-là, tous secteurs confondus, ont choisi d'attaquer le monde du travail en hommes et femmes libres, debout. Ils ont choisi de courir le risque économique. Certains d'entre eux ont tout simplement peur de tomber malades. Ces gens-là, et aussi les salariés du privé, ils se pourrait qu'ils trouvent un peu fort de café  l'idée que la fonction publique, aussi nobles soient ses revendications, puisse descendre dans la rue. Par dessus la tête, aussi, l'idée de nouvelles taxes. Ah, les socialistes, on vous dit bonjour, vous nous proposez déjà une taxe en nous serrant la main! Taxer, taxer, et toujours taxer!

     

    Non, M. Beer, l'heure n'est pas aux nouvelles recettes. Regardez bien du côté de votre Département. Encore un petit effort, s'il vous plaît, Monsieur le Ministre des vastes états-majors. Vous verrez, c'est parfaitement possible. Il y a même encore pas mal de marge de manoeuvre.

     

     

    Pascal Décaillet

     

     

     

  • Quand le PLR confisque la démocratie

     

    Sur le vif - Samedi 01.12.12 - 12.02h

     

    Citoyen de ce canton, je suis réservé sur la bonne vieille traversée de la rade, version UDC, et lui préfère largement la vision plus ample d’une traversée du lac, celle qui pourrait enfin donner à Genève sa ceinture périphérique. Je voterais donc non, sans doute, au projet de l’UDC. Mais je demande à pouvoir voter ! En se camouflant, comme je l’ai souligné ici même mercredi, juste après le communiqué du Conseil d’Etat, derrière un insupportable jargon juridique, avec des histoires « d’initiative normative » auxquelles personne ne comprend rien, le gouvernement de ce canton montre son vrai visage : il cherche à éviter que le peuple se prononce. Affaiblir l’image d’un parti d’opposition gouvernementale. Il ne fait évidemment pas du droit, mais bel et bien de la politique. Une politique honteuse, petite, défensive, recroquevillée, à l’image de cette équipe 2009-2013 qui restera l’une des plus timides de l’après-guerre.

     

    Citoyen de ce canton, je ne suis pas sûr d’être très convaincu par l’initiative des socialistes sur les allègements fiscaux. Mais je demande à pouvoir voter ! La majorité de droite du Grand Conseil, en invalidant ce texte, a montré qu’elle avait peur du peuple. Détestable.

     

    Citoyen de ce canton, petit entrepreneur moi-même, je ne suis pas sûr d’être partisan de l’initiative des syndicats demandant l’instauration d’une police du travail. Mais je demande à pouvoir voter ! Et hier, qui a-t-on retrouvé, une fois de plus, pour nous brandir des histoires de droit supérieur (la tarte à la crème quand on veut empêcher le peuple de s’exprimer) ? Le PLR ! Encore et toujours le PLR. Pas seulement lui certes, mais assurément il détient le record des demandes d’invalidations. Terrible signal, confortant dans la population l’image d’un parti d’élites, de notables, tentant de refuser la démocratie directe, timoré face aux signaux qui pourraient surgir d’en bas. Finalement, grâce à l’UDC, le texte est passé. Mais le PLR ne sort pas grandi de ce combat, surtout lorsqu’un député, changeant miraculeusement de casquette alors que le Grand Conseil siégeait encore, signait, comme directeur de la Chambre de commerce et d’industrie, un communiqué hallucinant, qui dénonçait « un putsch contre le partenariat social ».

     

    Le vrai putsch, Cher Jacques Jeannerat, toi dont je partage la plupart des idées, c’est lorsque des corps intermédiaires, sous le couvert d’un sabir juridique, masquant évidemment des intentions politiques, confisquent au peuple le droit de se prononcer sur des initiatives ayant obtenu les signatures. Cela donne, Cher Ami, un signal terrible dans la population. Celui de castes de copains et de coquins. La démocratie directe, très chère au cœur des Suisses, est un petit trésor fragile. On ne joue pas comme cela avec elle. Elle est un défi d’une partie du peuple (les initiants, ceux qui bravent la pluie et le froid dans les récoltes de signatures), lancé au peuple tout entier, le démos, le corps électoral de l’ensemble des citoyens. Un défi du peuple au peuple ! Moins les corps intermédiaires s’en occuperont, mieux notre démocratie se portera. Les spectacles d’invalidations, ou de tentatives d’invalidations, donnés ces derniers temps à Genève, avec au premier rang le PLR, sont pitoyables. Puisse le corps électoral, l’automne prochain, s’en souvenir.

     

    Pascal Décaillet