Sur le vif - Lundi 08.08.11 - 15.40h
Loin de moi, très loin, l'idée de remettre en question la santé mentale des édiles de la Ville de Genève. Que la Grâce se répande sur leurs âmes, oui la Grâce, celle de Calvin, je veux bien leur épargner Claudel, le deuxième pilier de Notre-Dame, certains d'entre eux prendraient cela pour une institution de prévoyance. Je leur fais grâce, aussi, de Port-Royal, qu'ils risqueraient de considérer comme un projet d'agrandissement de la Nautique. Oui, saints, trois fois saints soient ces temporels. Que les ailes de la Prédestination ont commis, avec l'aide discrète du suffrage universel, à leurs nobles tâches.
Seulement voilà. Il y avait déjà la Restauration, celle du 31 décembre 1813, avec ses canons. Et puis, il y a l'autre restauration, avec un petit « r », avec ses canons de rouge ou de blanc, ce détestable résidu de catholicisme qui s'appelle la bonne humeur, celle d'avant 1536, celle où l'on rigole et où l'on chante, la foi du tavernier et celle du charbonnier, cela porte un très beau nom, comme une célérité russe : cela s'appelle un bistrot.
Niché dans l'ombilic le plus intime de l'officialité calvinienne genevoise, à côté de laquelle la regrettée DDR alignait des airs de furies carnavalesques, se trouve, justement, un bon vieux bistrot, oh plutôt luxueux pour mériter ce nom, mais enfin un endroit où il fait bon se réfugier : Chez Glôzu. Là aussi, je vous passe le personnage, auquel plus de trois décennies de complicité me lient, ses frasques, ses fantasmagories, les numéros de jonglage qu'il annonce et qu'il ne fait jamais, ses travestissements en généraux soviétiques, le velouté de sa voix lorsqu'il chante « Syracuse », le chef-d'œuvre de Bernard Dimey. Un personnage. Une tronche. Un caractère. Une sublime et romanesque tête de lard.
Alors voilà, les édiles, moi je trouve bien quand ils s'occupent de Restauration, tous les 31 décembre. Mais je n'ai jamais exactement compris, ni aux Eaux-Vives, ni à la Perle du Lac, ni chez le général Glôzu, en quoi les affaires de restauration, avec ce petit « r », si modeste et si dérisoirement charnel, devaient relever de leur compétence. Car enfin, si le Verbe se fait Chair, je n'ai pas encore lu qu'il ait prétention à la Chère. À cela s'ajoute que poser son cul sur les bancs d'un estaminet ne confère pas automatiquement le droit d'en assumer la gérance, ni la Régence. Et qu'il faudrait peut-être changer un peu cela. Et que, ma foi, à moins qu'on nous prouve qu'une horde de rats pestiférés et sanguinaires aient envahi la cave, il ne me dérangerait pas qu'on foute une paix royale au Sieur Glôzu.
Et qu'on le laisse faire son boulot, qu'il sait si bien faire. Comme un Seigneur des bas étages. Au royaume du caniveau, les poussières d'étoile sont reines. Souveraines. Comme sur les épaulettes d'un général soviétique. J'ai dit.
Pascal Décaillet